Le mode de production capitaliste et les institutions étatiques et para-étatiques organisent une socialisation, planification des activités, sur un mode anti-démocratique. Les mouvements d’émancipation ne peuvent éluder les questions de socialisation élargie, de leur auto-organisation, des structures politiques de démocratie étendue nécessaires. Cela dépasse la notion de coopération soulignée par les auteur-e-s. D’autant, comme elles et ils l’indiquent aussi, en parlant du niveau européen, le mouvement d’émancipation, le mouvement ouvrier est très en retard face à la coordination transnationale des entreprises, du patronat et de la bourgeoise, face à leur « internationalisme » excluant…
Sans oublier que toute politique remettant en cause la propriété lucrative, le droit exorbitant des entreprises, le pouvoir de la classe dominante se heurtera, et quel qu’en soit le cadre institutionnel, à des réactions violentes de la bourgeoisie, des autres États, des institutions internationales…
En introduction, Verveine Angeli, Thomas Coutrot, Guillaume Etiévant, Michel Husson, Pierre Khalfa, Daniel Rallet, Jacques Rigaudiat, Catherine Samary, Aurélie Trouvé soulignent, entre autres, « les politiques d’austérité qui entretiennent la crise mènent à la déflation, qui à son tour aggrave la crise ». Elles et ils expliquent pourquoi un retour critique sur la construction européenne est nécessaire, les limites de la logique libre-échangiste, le tournant constitué par l’adoption de l’Acte unique en 1986, l’inscription au cœur des traités du droit de la concurrence, l’éviction des peuples et des citoyen-ne-s, le néolibéralisme installé, le fédéralisme autoritaire, l’imbrication des systèmes productifs, et introduisent sur les débats autour de la sortie de l’euro, du mouvement social européen et du « désobéir pour reconstruire ».
Sommaire :
- De continuité en ruptures : la longue marche du néolibéralisme
- L’euro, machine à diverger
- L’austérité une erreur ? Non : un projet
- La sortie de l’euro, un remède illusoire
- Le mouvement social européen en chantier
- Désobéir aux traités pour refonder l’Europe
Après être revenu-e-s sur l’histoire de la construction européenne, les continuités et les ruptures, les contradictions, les auteur-e-s analysent, de manière très pédagogique, l’euro « machine à diverger ». Elles et ils font ressortir que « le projet est en fait de faire fonctionner la monnaie unique comme un instrument de discipline salariale ». La présentation « des mécanismes de la divergence » est facile à lire sans être simpliste.
J’ai notamment apprécié le chapitre 3 : « L’austérité une erreur ? Non : un projet ». Les auteur-e-s rappellent, entre autres, que « La pression des marchés financiers sur les États est organisée par les États eux-mêmes ». C’est en effet se tromper soi-même que de penser que les dirigeants européens se trompent. Il y a bien une fuite en avant ultralibérale et productiviste. Il ne faudrait pas gâcher une si bonne crise !!! C’est un nouveau monde que cherchent à créer les élites dominantes, un monde dans lequel la démocratie et ses risques seraient contenus, où le fédéralisme se fait plus autoritaire car fondé sur une discipline financière qui ne sert que les intérêts des dominants, « un fédéralisme autoritaire néolibéral, au sein duquel la souveraineté des États est à la fois mise en commun et entre parenthèses par un système de contraintes juridiques soustraites à la pression démocratique ». Sans oublier les projets « de donner aux multinationales de nouveaux outils juridiques … afin de pouvoir poursuivre les États dont les initiatives réglementaires entraveraient la course au profit maximum »
Je partage les analyses sur le remède illusoire que serait la sortie de l’euro. Au delà du renchérissement de la dette, du mirage de la compétitivité-prix, de la boucle infernale des dévaluations-inflation-austérité, de la valorisation de la souveraineté nationale qui ne saurait être confondue avec la souveraineté populaire, des illusions probables sur la bourgeoisie nationale (voir les conséquences des compromis avec la bourgeoise au Chili par exemple, ou lors des décolonisations), de l’oubli des antagonismes entre « capital et travail » au niveau national, etc., euro ou pas, mener une autre politique impliquera « un bras de fer avec les institutions internationales et les marchés financiers ».
Comme les auteur-e-s du livre, je considère que le mot d’ordre de sortie de l’euro est une inversion des fins et des moyens, est contradictoire aux politiques de nécessaire, pour la transition écologique, comme pour la réorientation et la satisfaction des besoins.
Verveine Angeli, Thomas Coutrot, Guillaume Etiévant, Michel Husson, Pierre Khalfa, Daniel Rallet, Jacques Rigaudiat, Catherine Samary, Aurélie exposent les mobilisations en Europe, leurs limites, les expériences en cours dont celle des Indigné-e-s des Balkans avec leurs « plénums civiques, multinationaux », l’état du syndicalisme, les Forum sociaux européens confrontés à l’institution particulière qu’est l’Union européenne, l’Alter sommet, les réseaux dans les domaines de la santé, du logement, de l’éducation, le Blockupy Francfort…
Les auteur-e-s concluent sur des perspectives de désobéissance aux traités, de coopérations entre les peuples, de refus du dumping social et fiscal (et donc d’une convergence qu’il faudra imposer), des nécessaires décisions communes pour une transition écolo-énergétique…
Hier, certains courants pour l’émancipation parlaient des États-Unis Socialistes d’Europe, plus modestement nous sommes confronté-e-s à une construction historique de combats et d’institutions communes, de coopérations et de solidarités européennes, c’est pourquoi il faut refuser « cette Union-là »
Un livre pour débattre. Au delà des commentaires du début de cette note, des analyses étayées qui prennent en compte les contradictions en œuvre, soulignent les limites et les possibilités des mouvements sociaux, engagent des pistes de réflexion sur la désobéissance, la rupture, en gardant en ligne de mire les nécessaires solidarités.
Et une argumentation solide sur le débat de la sortie de l’euro, préconisée comme mot d’ordre, comme impératif, par certain-ne-s, au nom quelque fois d’une « ruse de la raison internationaliste » qui me semble plus relever de la ruse de l’irraison nationaliste et de la survalorisation des frontières nationales dans la mondialisation. Par ailleurs, au delà des divergences sur cette question, c’est bien la construction d’hypothèses stratégiques qu’il convient de construire ensemble.
En complément possible, le dossier Europe du n°21 de ContreTemps, Comme si les lendemains qui chantent imposeraient un présent qui déchante
Attac, Fondation Copernic : Que faire de l’Europe ?
Désobéir pour reconstruire
LLL – Les liens qui libèrent 2014, 175 pages, 14 euros
Didier Epsztajn