Au sujet de l’ouvrage de Wilhelm Reich, initialement publié en 1934 (sous le pseudonyme de d’Ernst Parell), soit une année après l’arrivée au pouvoir en Allemagne du Parti national-socialiste dirigé par l’infâme Adolph Hitler, l’éditeur écrit, sur la quatrième de couverture, ce qui suit :
« Un livre qui n’a pas perdu de son actualité. Comment reconstruire le mouvement ouvrier, le mouvement des salariéEs, qui est sur la défensive depuis les années 1980, depuis la victoire de la mondialisation néolibérale ? Les questions soulevées par Reich et la façon d’y répondre peuvent s’appliquer à d’autres mouvements sociaux. »
« Plus généralement, comment expliquer que, malgré la dégradation de ses conditions d’existence, malgré les actes cyniques et insupportables des pouvoirs en place, malgré l’état effroyable du monde, la masse de la population – et, en premier lieu, les travailleurs et les travailleuses – ne se mobilise pas pour mettre fin au système qui les exploite et les opprime ? Comment expliquer que, pire encore, une bonne partie de celle-ci soutient des gens qu’elle devrait combattre sans concession ? »
Étais-je réellement en présence de cet ouvrage, « toujours actuel » (selon l’expression consacrée), susceptible d’apporter des réponses solides et contemporaines à trois interrogations fondamentales (celles formulées dans les deux paragraphes précédents) qui tournent autour de la reconstruction d’un vaste mouvement politique, regroupant les « gens d’en bas », mouvement susceptible de renverser l’épouvantable ordre social-économique et politique des « gens d’en haut », en cette période qui se prolonge depuis les années quatre-vingt du siècle dernier ou malgré l’adoption et l’application des détestables politiques de régression sociales qui les afflige, les larges masses continuent à « soutenir » ces dirigeant.e.s qu’elles devraient plutôt combattre, sans accepter le moindre recul ?
« Mouvement ouvrier », « mouvement de salariéEs », « mettre fin au système qui les exploite », qu’est-ce à dire ?
« Reconstruire », « s’appliquer à », « expliquer », « ne se mobilise pas », « soutient des gens qu’elle devrait combattre », il s’agit là d’un choix de mots et de verbes qui, loin d’être passifs, semblent indiquer la direction des actions à mettre en branle qui auront pour effet de conduire l’humanité inévitablement et irréversiblement vers un avenir émancipateur, égalitaire, ayant enfin supprimé les lendemains qui déchantent ? Bon, appliquons les freins à cet enthousiasme prométhéen !
Le livre de Wilheim Reich intitulé Qu’est-ce que la conscience de classe ? aborde, en partie, certains aspects qui ont concouru à la perte d’influence du mouvement révolutionnaire prolétarien auprès des larges masses. Reconnaissons-le, le mouvement communiste international n’a pas été en mesure de renverser le capitalisme, ni non plus de vaincre la bourgeoisie. Pourquoi en est-il ainsi ? Reich avance la piste suivante : la bureaucratisation des dirigeants révolutionnaires (p. 91). Ce qui n’est pas faux. Mais, il existe d’autres facteurs susceptibles de nous aider à comprendre pourquoi la révolution bolchévique a achoppé une fois les anciennes élites dirigeantes limogées et renversées. La « masse » ne souhaitait pas réellement faire la révolution communiste. Pourquoi donc ? Reich y répond comme suit : « Or, le sentiment des larges masses est décisif : elles redoutent la violence, désirent la paix et la tranquillité et ne veulent donc pas entendre parler de communisme. » (p. 114).
Soyons clair, ce livre, hélas n’offre aucune « recette » pour « reconstruire le mouvement ouvrier et reprendre l’offensive ».
Force est de reconnaître que nous vivons dans une société au sein de laquelle nous retrouvons des individus assujettis au régime salarial prolétarisé. L’acteur collectif incarnant ou représentant ce groupe est inexistant. Voilà pourquoi les luttes sociales actuelles ne se métamorphosent pas en luttes sociales visant la transformation radicale de la société. L’ancien mouvement porté par une mystique libératrice radicale a été littéralement dissout sans guère laisser de traces apparentes. Le problème que nous rencontrons de nos jours peut s’énoncer de la manière suivante : comment se réalise dans le monde contemporain des sociétés dites développées le lien entre le moi et le collectif ? Et comment donc repérer à nouveau cet insatiable acteur collectif supposé détenir des réponses sur l’avenir qui nous guette ? Seul l’écho de ces interrogations nous revient au visage en ce moment…
Yvan Perrier
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