Le réveil est brutal pour de nombreuses personnes à Montréal. Encore une hausse de taxes et celle-là au-delà du taux d’inflation. Depuis des années, il y a augmentation régulière du coût de la vie (électricité, taxes municipale et scolaire, assurance habitation et automobile, alimentation, logement, etc.). Pourtant, pour une grande partie de la population, les salaires ne progressent pas ou ne suivent pas la hausse globale du coût de la vie. L’équation est facile à effectuer, nous assistons à une érosion progressive, mais constante, de la capacité de payer d’un nombre important de personnes et de familles. De ce fait, une augmentation de la taxe municipale, ne serait-elle que de 3,3%, représente une mise sous pression accrue du citron qui s’ajoute à toutes les augmentations précédentes et un sacrifice supplémentaire à encaisser.
Par cette hausse, on demande plus aux propriétaires afin, dit-on, d’offrir plus de services à la population. Oui, mais à quel prix ? Ici, rien de neuf sous le soleil. Au contraire. Ce genre de discours est récurrent, bien qu’il prenne différentes formes. Les mots sont souvent piégés et la pensée fallacieuse. C’est, la plupart du temps, avec les meilleures intentions qu’on s’inscrit dans ce type de logique. Mais de quel type de logique s’agit-il ? En fait, il ne s’agit que d’une apparence de logique, car ce discours plonge ses racines dans ce qu’il est convenu d’appeler « la pensée sacrificielle ».
De quoi s’agit-il ? Comment reconnaît-on ce genre de pensée ? La pensée sacrificielle commande le sacrifice et ce dernier, comme le précise justement le psychothérapeute Bernard Lempert dans un livre intitulé Critique de la pensée sacrificielle, est le maître du discours. La pensée sacrificielle se reconnaît, notamment, à sa propension à nier, relativiser, amoindrir ou esquiver la question des impacts réels de décisions politiques, économiques ou autres et par un enfermement dans le monde des idées (idéologie). Lorsque la pensée sacrificielle découle d’une idéologique dominante, ce qui est chose courante, elle s’inscrit alors dans un cadre de références communes ou largement partagées et intériorisées par les sociétaires, ce qui la rend difficile à débusquer. Dans ce cas, elle s’impose comme normativité sociétale. Dès lors, elle passe souvent inaperçue et pour cette raison endort l’esprit critique. La pensée sacrificielle, surtout lorsqu’elle est idéologique, amène à confondre la réalité avec le cadre de références communes idéologique. Le réel est alors vu et compris à travers ce filtre déformant. Ce n’est donc plus avec la réalité que nous traitons, mais avec une construction mentale de celui-ci.
À mon sens, l’administration Plante est tombée dans le piège de la pensée sacrificielle. On demande à une partie de la population, les propriétaires, de payer encore un peu plus. Ici, on perd de vue la capacité réelle de nombreux propriétaire de pouvoir débourser davantage, ne serait-ce qu’une centaine de dollars annuellement, mais qui s’ajoute à toutes ces autres « petites » augmentations qu’ils ont dû absorber au cours des années. En fin de compte, trop souvent, ce sont les locataires qui devront encaisser le coût. Il est essentiel de regarder en face les conséquences réelles d’une telle augmentation et non l’esquiver par des propos du type « J’assume mon budget ». Ici, on personnalise le budget. Pourtant, il s’agit avant tout du budget de la ville de Montréal et celui-ci concerne toute la population. Dans ce sens, ce n’est pas « le budget de Valérie Plante ». Le dépôt d’un budget gouvernemental est un exercice public. La personnalisation de ce qui relève de la vie publique est assez caractéristique de la pensée sacrificielle. Je ne prête pas de mauvaise intention à Valérie Plante et à son administration, mais sous-jacent à ce type de pensée il y a les sacrifices demandés ou exigés.
Personnellement, j’ai toujours consenti de bon cœur à payer taxes et impôts, car la solidarité collective m’apparaît comme un gage du bien commun, du bien de toutes et de tous, mais il ne faut pas perdre de vue les conséquences potentielles d’imposer des augmentations et donc la capacité de payer des individus, des familles, des propriétaires. Jusqu’où va-t-on presser le citron ?
C’est pourquoi j’invite l’administration de Valérie Plante (pour qui j’ai voté) à bien réfléchir et évaluer les impacts réels des augmentations imposées à la population montréalaise, car nombreuses sont les personnes qui en feront les frais. Je comprends qu’il n’est pas toujours aisé de trouver la juste ligne d’intervention, mais osons nous questionner et faire preuve d’un peu d’humilité plutôt que de défendre bec et ongle l’indéfendable.
Nelson Tardif
Artiste en art visuel, intervenant social et auteur
Un message, un commentaire ?