tiré de : Entre les lignes et les mots 2021 - Lettre n°25 - 20 juin : Notes de lecture, textes, pétitions
Il y a quelques années, j’ai été sollicitée pour composer la musique du film Syrie, le cri étouffé de Manon Loizeau et Annick Cojean (à visionner ici).
Française d’origine syrienne militant pour la liberté du peuple syrien et son autodétermination, je connaissais déjà l’horreur des prisons du régime syrien, l’utilisation systématique de la torture et du viol comme moyen de destruction du peuple syrien, et ces frissons d’horreur en pensant que le corps d’une femme pouvait être un terrain de guerre.
Mais en plus de la violence subie par ces femmes dans leur corps et leur intégrité, j’ai été révoltée par les témoignages anonymes de ces femmes, comme une parole silencieuse, étouffée, par leur refus de témoigner à visage découvert, comme si elles devaient avoir honte de leur sacrifice, comme si elles étaient coupables d’être victimes.
Cette double violence, cette double peine, de nombreuses personnes en ont parlé lors du mouvement contre le viol et les violences sexuelles #metoo. Je comprends cette humiliation, cette douleur indicible. Je comprends la difficulté extrême de dénoncer des proches ou des amis de la famille ou des collègues de travail mais la parole et la justice sont absolument nécessaires pour réparer les blessures et c’est notre devoir, en tant que société, d’encourager la parole et d’être à l’écoute de cette souffrance. Je suis révoltée quand en France, une jeune femme victime de violences sexuelles peut mettre une vie à se débarrasser du poids de cette violence.
Mais que penser alors de la situation des prisonnières syriennes qui n’ont pas été violées par des proches, mais par notre ennemi à tous, par les soldats d’un régime dictatorial qui cherche précisément à briser notre société en souillant le corps des femmes, en humiliant leurs maris, leurs familles, en punissant la société entière pour son affront au travers de ce qu’ils ont de plus sacré, le corps de leurs mères ou de leurs filles.
Refuser la parole à ces femmes, refuser leur témoignage, c’est non seulement infliger à ces femmes une souffrance supplémentaire, mais c’est aussi offrir la victoire au régime de Bashar al-Assad.
Ces femmes doivent obtenir justice comme toutes les victimes de tortures dans les prisons syriennes, rescapés ou morts en martyrs. Et nous continuerons à nous battre pour que ces crimes abjects soient jugés et que leurs auteurs soient punis.
En attendant ce jour qui finira bien par arriver, il me semble absolument nécessaire de reconnaître à ces femmes, à leur force, à leur sacrifice, le droit de dire, de dénoncer et de crier. Ces femmes sont des héroïnes. Nous devons leur rendre hommage.
J’ai demandé au rappeur et chanteur palestinien Osloob d’imaginer l’histoire d’une prisonnière politique « Mariam » et de raconter son histoire qui pourrait être celle de nombreuses, beaucoup trop nombreuses femmes syriennes depuis 10 ans et que j’ai mise en musique accompagnée du contrebassiste Claude Tchamitchian.
Naïssam Jalal
https://blogs.mediapart.fr/naissam-jalal/blog/100621/pour-les-prisonnieres-syriennes
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