Pour Lucien Bouchard, le PQ aurait été trop à gauche et aurait ainsi entraîné le mouvement souverainiste sur cette voie sans issue. Si on doit juger l’arbre à ses fruits, les politiques du gouvernement péquiste de 1994 à 2003 n’ont pas répondu souvent aux intérêts de la majorité. Au contraire. Lucien Bouchard et les autres responsables du gouvernement péquiste ont réussi à casser l’élan populaire qui s’était manifesté lors du référendum de 1995 en donnant la priorité à la lutte au déficit zéro. Ils sont ainsi parvenu à faire reculer les aspirations à l’indépendance du Québec. Leurs politiques ont semé la passivité et le sentiment d’impuissance. Ces politiciens ont rapidement attribué au peuple lui-même, les effets nocifs de leurs politiques. Puis, nombre d’entre eux se sont retirés dans leur terre.
Lucien Bouchard s’est inscrit dans le courant des chefs démissionnaires : après Pierre-Marc Jonhson, ce fut la sienne, puis celle de Boisclair, puis de Marois, puis de Landry... puis celle d’un aspirant-chef du PQ, Legault. On se rappellera les autres néolibéraux qui ont aussi sévi au PQ : Facal, Brassard et autre Chevrette... qui sont revenus dans l’actualité en se proclamant « lucides » et en exigeant que la majorité populaire se plie aux politiques de la minorité possédante.
C’est toute cette brochette de néolibéraux qui, au pouvoir de 1994 à 2003, ont appliqué des politiques de coupures des dépenses sociales en santé et en éducation, qui ont permis l’extension de la déréglementation en environnement avec le saccage des forêts et des campagnes qui en a découlé, qui ont baissé les redevances des minières, qui ont défendu le libre-échange...
Aujourd’hui des successeurs de ces politiciens néolibéraux dirigent le gouvernement péquiste à Québec. Ce gouvernement est certes minoritaire, mais il se revendique de ces mêmes orientations à commencer par le culte du déficit zéro.
Sur le terrain national, depuis le départ de Jacques Parizeau, certains éléments de la droite technocratique ont quitté le parti. D’autres ont transformé le souverainisme péquiste, en autonomisme de fait engonçant le Parti québécois dans l’impuissance stratégique de l’alternance provincialiste. Cette aile a hégémonisé totalement le PQ et a laissé si peu d’espace aux indépendantistes qu’elle a amené nombre de ces derniers à militer à la construction d’organisations ou de réels partis indépendantistes.
Les départs en série de cette aile néolibérale fédéralisante, la formation de la CAQ, la dispersion des indépendantistes dans nombre de petites organisations et la gestion néolibérale de l’actuel gouvernement Marois finiront-ils par réveiller ceux et celles qui se contentent encore de se faire bercer par des discours nationalistes inconséquents ? Ces péquistes malgré eux en finiront-ils avec les refrains sur le vote stratégique en période électorale ? On peut en douter. En effet, alors que les responsables et ministres affirment que l’unité des souverainistes ne peut se faire qu’à l’intérieur du Parti québécois, des chantres de l’unité â tout prix, incapables de comprendre les redéfinitions nécessaires du champ politique, se font suppliants pour nous inviter à partager leur impasse, celle de la répétition ad nauseam, du pareil au même : appuyer le PQ pour négocier avec lui des espaces qu’il voudra bien consentir aux partis indépendantistes comme la voie royale de la relance du mouvement ou pour la création de raccourcis faciles vers l’indépendance du Québec. De telles perspectives sont illusoires et funestes.
Car, chercher l’unité à tout prix avec l’élite nationaliste et autonomiste qui règne au PQ, c’est refuser de comprendre qu’il faut en finir avec l’hégémonie des couches oligarchiques qui contrôlent ce parti. Il n’y aura pas d’accession à l’indépendance du Québec si la direction du mouvement demeure dans les mains de néolibéraux ou de sociolibéraux. La majorité populaire du peuple québécois ne sera pas mobilisé par un secteur de la classe politique qui n’hésite pas à s’attaquer à ses intérêts les plus immédiats. La résurgence d’un mouvement indépendantiste enraciné dans la majorité populaire découlera de l’articulation du projet d’indépendance à un projet de société égalitaire qui est aussi un projet d’extension de la démocratie rejetant les institutions actuelles pour celles d’une véritable république sociale faisant toute sa place à la souveraineté populaire.
Le mouvement indépendantiste au Québec doit être reconstruit autour de ces axes stratégiques. Il doit s’articuler aux luttes de résistance du mouvement syndical, du mouvement des femmes, du mouvement écologique, du mouvement étudiant et des autres mouvements sociaux qui se mobilisent aujourd’hui pour une transformation sociale véritable et contre les politiques d’accaparement cupide de l’oligarchie régnante. L’indépendance du Québec peut donner un horizon inspirant à l’ensemble de ces luttes.
À un bloc social dirigé par des secteurs nationalistes de la bourgeoisie québécoise et de la petite bourgeoisie, bloc dans lequel les autres secteurs nationalistes de la population sont réduits à jouer le rôle de classes-appui, il faut opposer une véritable alliance de classe qui part des intérêts de la majorité des travailleuses et des travailleurs et des mouvements sociaux dans laquelle cette majorité se mobilise. Développer une telle perspective nécessite pour les indépendantistes d’être de tous les combats pour l’amélioration des conditions d’existence du peuple, donc de rompre radicalement avec les politicienNEs qui agissent à l’encontre de ses intérêts. Elle nécessite également d’en finir avec la recherche de raccourcis se contentant du moindre mal, qui devient rapidement pire que prévu et qui nous place dans la situation de recommencer les mêmes opérations tactiques improductives encore et encore. Cela fait maintenant des décennies que l’on réussit à enfermer nombre d’indépendantistes dans une telle impasse.
Lucien Bouchard affirmait cette semaine au journal Le Devoir : « C’est le boulevard le plus large qui permettra d’arriver à la souveraineté. C’est pour un peuple qu’on fait ça. Tout le monde doit se sentir bénéficiaire de la grande aventure. » Le peuple a attendu assez longtemps les sauveurs de cet acabit. Sa libération nationale et sociale sera le produit de sa mobilisation autonome. L’heure n’est pas au bricolage d’une unité factice, mais bien à la redéfinition des alliances et objectifs stratégiques.