Autrement dit, on considérait que cette ingérence au sein de la souveraineté canadienne, au nom de soi-disant impératifs économiques, ne faisait qu’en définitive servir les intérêts d’une minorité possédante et était contraire à l’intérêt général. Dans un tel contexte, l’invitation privilégiée de 10 éminents chefs d’entreprises de chaque pays ne confirmait que plus froidement la prééminence indéniable qu’a l’économie sur le social dans les hautes sphères du pouvoir nord-américaines. Ajoutons à cela la militarisation de l’Amérique du Nord et les questions relatives au libre-échange, à la déréglementation et à la privatisation et le portrait ne pouvait qu’alarmer. Il faillait s’y attendre, les ingrédients perfides de la recette néolibérale n’allaient certainement pas s’absenter des discussions de cet opulent rendez-vous !
Instrumentalisation des pions sur l’échiquier du pouvoir
C’est sans contredit l’obsession sécuritaire paranoïaque des chefs d’État en présence qui a concouru à l’absurdité des forces déployées sur le terrain, puisqu’il n’y a rien de moins que 3000 policiers qui furent officiellement mobilisés au sein de ce petit village envahi d’une kyrielle de caméras. Et cela, sans parler de l’incessante surveillance aérienne et maritime qui environnait le sommet. Les manifestants, pour leur part, n’étaient que 1500. Le contraste était foudroyant. Certains osaient même l’amplifier.
À titre d’exemple, il y en avait quelques-uns qui, artistiquement, faisaient revivre le surréalisme en arborant costumes absurdes et déguisements clownesques afin de marquer leur refus péremptoire de la réalité qu’entraîne avec lui le modèle dominant. Il y avait de quoi rendre les agents de la « paix » ridicules dans leur surarmement. Le rassemblement était donc festif et pacifique, à l’exception d’une pognée d’agitateurs un tant soit peu plus agressif. Ces derniers, chez qui la rage n’est pas sublimée, semblent d’ailleurs incarner l’un des symptômes inhérents à une société qui, au détriment de toute réflexion sur les causes du sentiment d’exclusion de cette part croissante de la population, s’axe de plus en plus sur la coercition.
C’est dire à quel point l’oppression suffit à taire les conséquences d’un système lorsqu’il sert nos intérêts. À la fin de cette journée de manifestations, le premier ministre Stephen Harper poussa l’audace jusqu’à afficher une attitude des plus condescendantes à l’égard des manifestants, en signifiant aux médias qu’ils étaient « pitoyables ». Mais quel respect de la divergence d’opinion ! Pourtant, même les trois chefs de l‘opposition, soit dit en passant majoritaire, avaient émis de multiples inquiétudes au sujet du PSP. Comme si tout le monde baignait dans l’erreur sauf ces trois chefs d’État conservateurs et leurs convives avides de profits !
Par ailleurs, il était somme toute aberrant de constater le combat absurde entre les manifestants et les policiers, puisqu’au fond, cela détournait à nouveau le débat sur un affrontement primitif entre des hommes et des femmes qui n’ont à la base rien les uns contre les autres, pendant que les trois amigos se complaisaient confortablement dans un château fortifié aux frais du peuple. Cette image révèle une chose : lorsque le pouvoir institue un mur d’hommes en les instrumentalisant contre d’autres hommes, tel un alignement de pions robotisés qui obéissent servilement à des ordres, l’être humain se mue en chose et sa liberté s’évapore.
Des solitudes qui ont soif de vivre ensemble
Au cours de toutes ces manifestations, rappelons-nous que l’esquisse d’un autre monde possible se dessine toujours en toile de fond. Le 20 août 2007 n’y échappe pas. Vers 15 h 00, plusieurs jeunes se sont assis en cercle afin de discuter ensemble de leur désir ardent de transformer le monde. Ils se sont réunis pour partager les luttes qui les animait, conscientiser les autres à leur cause respective et faire du réseautage afin d’édifier des passerelles reliant chacune de leur solitude. Au-delà de l’isolement vers lequel on tend, de l’hétérogénéité des groupes et des diverses factions en présence, ces jeunes étaient à la recherche de dénominateurs communs qui pourraient enfin les unir dans la construction d’une alternative empreinte des valeurs qui les font respirer. Pour enfin rompre avec l’impuissance, il faut plus que jamais collaborer à ces rencontres qui jettent les bases de notre projet sociopolitique. Le Forum social québécois de cette fin de semaine nous attend donc en grand nombre et rien ne pourra vaincre notre insatiable soif de solidarité si l’on se rassemble !