Inquiétantes disparitions
Depuis 2012, nous assistons à une énorme vague de compressions visant les experts scientifiques du gouvernement, au ministère de l’Environnement, mais aussi à celui de Pêches et Océans. Non seulement ce démantèlement de nos institutions scientifiques amenuise nos connaissances, mais il mine par le fait même la crédibilité des efforts faits au cours des dernières années en matière d’environnement. Ici, au Québec, c’est l’Institut Maurice-Lamontagne (IML) et la Biosphère qui ont été touchés - deux instituts voués à la recherche et la sensibilisation sur les milieux aquatiques et le Saint-Laurent. Par-delà de la perte d’emplois au sein de ces établissements (près de 35 à l’IML et 25 à la Biosphère), on assiste à une conséquence encore plus néfaste : l’entrave au libre partage des connaissances et données scientifiques. Force est de constater que la totalité des équipes d’experts en écotoxicologie de l’IML a été mise à la porte. Ces coupes réduisent notre capacité à comprendre et à quantifier l’impact des polluants comme les hydrocarbures sur la santé des organismes marins et les océans où ils vivent. Ceci est inquiétant dans un contexte où le Canada ne cache pas son intérêt pour l’exploitation des ressources naturelles de l’Arctique ou même du golfe du Saint-Laurent (notamment les hydrocarbures). Devrait-on y voir des compressions stratégiques visant à éviter que les recherches scientifiques ne viennent entraver le développement de certaines filières énergétiques du Canada ?
Poser la question, c’est y répondre, compte tenu de la rapidité à laquelle avancent les projets industriels au regard de l’incapacité de la recherche à suivre la cadence tout en produisant des études robustes.
Les fondements même de la science (qui signifie « connaissance ») sont l’observation de notre environnement (au sens large), la formulation d’hypothèses touchant certains phénomènes observés et l’investigation rigoureuse de ces hypothèses afin de les confirmer ou de les réfuter. La récolte de ces informations nous permet de mieux comprendre notre monde et d’ainsi faire avancer nos connaissances scientifiques.
Ces connaissances sont par la suite partagées par l’entremise des centres du savoir, comme les universités ou autres établissements d’enseignement. Ce partage de nos connaissances scientifiques est un élément clé de la prise de conscience collective qui a fait progresser constamment les civilisations et la société moderne de manière générale - c’est dire toute l’importance de la science !
Malheureusement, le contexte actuel dans lequel se retrouvent les institutions de recherche et ministères fédéraux est de moins en moins propice au partage de toutes les connaissances scientifiques accumulées au fil des ans. C’est donc toute une banque de données scientifiques et de savoir que nous sommes en train de perdre à petit feu avec les différentes mises à pied auxquelles nous assistons.
Pire encore, peut-être, la diffusion de toutes ces connaissances se perd aussi (avec la fermeture du musée de la Biosphère), alors que nos chercheurs, forts de leur expertise, sont remerciés et voient leurs projets de recherches annulés. Ce faisant, on, démantèle tout un réseau d’échanges et de collaborations scientifiques.
Repositionner la science
La science ne devrait pas être à la merci de valeurs politiques et devrait plutôt circuler librement, balisée par un cadre scientifique rigoureux. Bâillonner la science, comme on le fait actuellement, c’est priver les citoyens des connaissances nécessaires pour prendre des décisions éclairées. Nous devons donc repositionner la science au coeur des débats environnementaux qui font rage notamment sur les changements climatiques, l’érosion de la biodiversité, le lien entre santé et problèmes environnementaux, la préservation de nos habitats naturels, etc.
C’est dans cette optique de démocratisation des connaissances scientifiques que nous, membres du Cercle scientifique David Suzuki, avons pris part à une table ronde, il y a quelques mois, portant sur les enjeux scientifiques canadiens et que nous écrivons ces lignes aujourd’hui. Nous sommes soucieux que la science puisse occuper une place importante au sein de notre société, et ce, dans le but de nous doter des outils nécessaires pour faire face aux défis de notre époque, notamment ceux d’ordre environnemental, et de nous permettre de prendre des décisions s’appuyant sur des connaissances rigoureuses.
Le Canada connaît l’une des plus grandes crises environnementales de son histoire, non pas en raison d’une catastrophe naturelle, mais bien des décisions politiques de son gouvernement actuel. La science est l’objet d’attaques soutenues au Canada. Il faut donc lui redonner sa juste place afin que nos décisions et cheminements reflètent toutes nos connaissances scientifiques acquises, d’hier à aujourd’hui.
Il nous apparaît donc primordial de rétablir les postes perdus dans nos institutions scientifiques afin que les connaissances et expertises scientifiques accumulées au cours des dernières décennies ne soient pas rangées au placard. L’expertise acquise au fil du temps, qui a su hisser le Canada aux sommets de la science environnementale mondiale, doit perdurer. Les programmes de biosurveillance à longterme, créés il y a maintenant des dizaines d’années et qui permettent de comprendre les changements environnementaux que connaît notre pays sur une vaste échelle temporelle, doivent aussi être préservés avec le maintien des équipes de recherche qui en assurent le suivi. Enfin, nous sommes d’avis que la loi C-38 devrait être abrogée et faire place à une loi permettant de protéger la liberté d’action et d’expression scientifique.
Ont signé cette lettre les membres du Cercle scientifique David Suzuki, un regroupement de scientifiques bénévoles
Diane Bastien
Marie-Christine Dubé
Jérôme Dupras
Christophe Gamsonré
Lyne Morissette
Éric Notebaert
Dominique Paquin
François Reeves
Jean-Patrick Toussaint
Jonathan Verreault.