Édition du 17 décembre 2024

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Québec

Politique énergétique 2030 du Québec : l’étonnante absence d'une stratégie de transport soutenable.

Auteurs : Évariste Feurtey, Louis-Étienne Boudreault, Gilles Bourque, Simon-Philippe Breton, Réal Reid, Carol Saucier, Bernard Saulnier, Lucie Sauvé.

Dans un contexte planétaire où les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont le résultat d’une dépendance massive aux carburants fossiles, la minimisation des risques financiers, environnementaux et sociaux des changements climatiques passe par l’adoption de politiques de substitution énergétique drastiques. Cas enviable à l’échelle internationale, quasiment la moitié de la consommation d’énergie totale du Québec et 99% de son électricité provient déjà de sources renouvelables. Hydro-Québec prévoit des surplus de 8.3 TWh/an en moyenne jusqu’en 2023. Une politique énergétique moderne ne devrait-elle donc pas tirer avantage d’une telle situation pour réduire la dépendance aux combustibles fossiles ? Le Québec ne pourrait-il pas mieux se positionner aujourd’hui comme un leader mondial de l’électrification des transports ?

Pour réussir sur le plan industriel, il est nécessaire d’allouer les meilleures ressources pour déployer des technologies innovantes d’abord sur son marché intérieur avant de chercher à percer le marché international. Le succès industriel d’Hydro-Québec actuel repose d’abord sur le fait que le Québec a su se positionner et développer sa filière hydroélectrique dans les années 1950-60, grâce à une volonté politique forte, visionnaire et audacieuse. C’est de la même façon que le Danemark et l’Allemagne ont mis en place dès les années 70-80 les conditions du succès de leur industrie éolienne compétitive et innovante.

Le gouvernement déclare dans la Politique énergétique du Québec (PEQ) 2030 que l’électrification des transports et l’efficacité énergétique sont deux de ses plus grandes priorités. Or, les budgets qui leur sont consacrés sont loin des 3.4 milliards de dollars investis seulement en 2015 par Hydro-Québec dans le projet La Romaine. Pourquoi la PEQ2030 privilégie-t-elle de nouveaux complexes hydroélectriques, alors qu’Hydro-Québec affirme que la filière éolienne est maintenant compétitive avec les « nouvelles productions classiques » ? 1.

Les incohérences de la PEQ2030 sont également présentes dans le programme Roulez électrique qui offre un incitatif moyen de 5000$ par véhicule, pour atteindre un objectif de 100 000 véhicules électriques en 2020. Or, plusieurs spécialistes estiment que ces objectifs ne pourraient être réalisés que si ce budget était cinq fois plus élevé qu’actuellement. De plus, est-il raisonnable de croire que cette seule solution permettrait de réduire fortement les GES du parc automobile, alors que les Québécois ont acheté en 2016 plus de VUS que de véhicules classiques ?

Le gouvernement n’a pas hésité à injecter 1 milliard de dollars US pour aider Bombardier à faire décoller la C-Series. Or, Bombardier a développé récemment la technologie de monorail Innovia pour le transport urbain et aéroportuaire, qu’elle a mis à la disposition de la Chine. Pourquoi un déploiement de transport intermunicipal n’a-t-il pas été négocié pour le Québec ?

Certes, la PEQ2030 annonce plusieurs projets de transport public majeurs, dont celui de la Caisse de dépôt et placement du Québec (REM, estimé à 5,9 milliards de $) pour desservir l’aéroport Trudeau, l’ouest de l’île et le centre-ville de Montréal via le pont Champlain. Toutefois la planification et le financement de ce projet ont fait l’objet de sévères critiques du BAPE. Entre autres, rien n’indique que cette nouvelle infrastructure permettra de résorber la congestion automobile à Montréal, et on ne connaît pas le bilan carbone de son cycle de vie. Par ailleurs, il serait déplorable que la division des groupes environnementaux autour de ce projet soit instrumentalisée pour saper la crédibilité de cette institution, essentielle, qu’est le BAPE.

N’oublions pas enfin que, selon la PEQ2030, la participation d’Hydro-Québec en termes de transport se limiterait à la mise en place d’infrastructures et d’équipements, sans plus ! Dans un même temps, cette politique renforce des choix d’investissements de production visant à exporter toujours plus d’électricité sur les marchés extérieurs. Or, cette stratégie « casino » fait peser un risque inconsidéré sur les revenus de l’État. À l’évidence, l’avoir-propre et les ressources d’Hydro-Québec devraient permettre d’entreprendre une plus grande diversification des options de transport public écologiquement responsables sur le marché intérieur.

Un chantier colossal et prioritaire serait celui des transits autour des grandes agglomérations urbaines. Le Québec dispose avantageusement de la capacité industrielle nécessaire (dont Hydro-Québec et Bombardier) pour mener à terme un plan agressif de collectivisation des transports à l’échelle nationale. Encore faudrait-il que nos décideurs soient conscients de l’urgence de mobiliser nos forces vives en ce sens. La priorité serait de déterminer les meilleures mesures à implanter (par la modélisation) et d’effectuer ensuite un suivi de leur efficacité, pour ne pas dépenser inefficacement des fonds publics. L’enjeu est stratégique. Il s’agit de garder notre avance « énergétique » et de créer une industrie verte dans les secteurs des transports collectifs et individuels. Il serait dommage que le Québec se laisse damer le pion par plusieurs pays européens qui, même s’ils partent de plus loin, consacrent beaucoup plus de moyens pour atteindre leurs objectifs stratégiques d’indépendance énergétique. Les surplus d’électricité récurrents d’Hydro-Québec permettent d’alimenter sans délai, avec imagination et audace, l’incontournable chantier du transport soutenable. L’enjeu est de mettre en œuvre un nouveau pacte social, tel que celui entrepris dans les années 1960 et de se donner un plan d’électrification réfléchi et responsable faisant partie d’une stratégie de transport plus globale et efficace. Ce qu’il faut pour réussir ce défi, c’est une volonté politique de placer les priorités au bon endroit.

Informations sur les auteurs et auteure
Louis-Étienne Boudreault : PhD., Université de Bordeaux, France.
Gilles Bourque : PhD., Chercheur à l’Institut de recherche en économie contemporaine.
Simon-Philippe Breton : PhD., Université d’Uppsala, Suède.
Évariste Feurtey : PhD, Sciences de l’environnement, Université du Québec à Rimouski (2007-2014). Co-chercheur du Rapport de recherche Développement territorial et filière éolienne.
Réal Reid : Ingénieur, spécialiste en énergie.
Carol Saucier : Sociologue, professeur retraité, Département sociétés, territoires et développement, Université du Québec à Rimouski, Chercheur principal du Rapport de recherche intitulé Développement territorial et filière éolienne, Centre de recherche sur le développement territorial(CRDT), 2009.
Bernard Saulnier : Ingénieur à la retraite, Institut de recherche d’Hydro-Québec (1977-2006).
Lucie Sauvé : Professeure titulaire, Directrice du Centre de recherche en éducation et formations relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté, Université du Québec à Montréal.

NOTES
1.Cf. Rapport-bilan d’Hydro-Québec sur 15 ans d’éolien au Québec : http://www.collectif-scientifique-gaz-de-schiste.com/accueil/texteschoisis/Rapport%20bilan_HQ_2016.pdf

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