Tiré d’Agence médias Palestine.
Sameera Abu Rmeleh franchit des montagnes de gravats et de débris pour atteindre ce qui reste de sa maison dans le camp de réfugiés de Jénine. C’est une journée froide et pluvieuse dans le nord de la Cisjordanie, et le camp est presque méconnaissable. Du béton brisé, des voitures incendiées, des douilles de balles et des corps sans vie de chiens errants bordent les rues à perte de vue. À une centaine de mètres de là, des bulldozers et des véhicules blindés israéliens se déplacent avec détermination.
« Ce qui se passe actuellement est bien pire que la deuxième Intifada », déclare Abu Rmeleh. « C’est comme à Gaza : aucune des maisons du camp n’est plus habitable. Mais nous n’irons nulle part. Nous sommes prêts à vivre dans des tentes si nécessaire. Nous l’avons déjà fait. »
Abu Rmeleh fait partie des 20 000 Palestiniens déplacés de force de leurs foyers dans le camp de Jénine ces dernières semaines en raison d’une opération militaire israélienne en cours dans la région. Prenant le peu qu’elles pouvaient emporter, les familles ont fui à pied dans les premiers jours de l’invasion, le long d’un chemin de terre détruit par les bulldozers israéliens, tandis que les soldats bloquaient les entrées et les sorties du camp.
Depuis lors, les routes traversant le camp ont été détruites, y compris les principales voies d’accès à l’hôpital public de Jénine. Les forces israéliennes ont également détruit les infrastructures d’approvisionnement en eau, d’assainissement et de télécommunications, et ont même rasé un quartier résidentiel entier par des explosions contrôlées.
L’opération « Mur de fer » en est maintenant à sa cinquième semaine et s’est étendue à trois autres camps de réfugiés dans le nord de la Cisjordanie, déplaçant 20 000 personnes supplémentaires des camps de Tulkarem, Nur Shams et Al-Far’a. L’armée israélienne affirme cibler les groupes de résistance armés dans ces zones, mais n’a produit que peu de preuves de ses succès à cet égard. Et tandis que les soldats détruisent les infrastructures civiles sur le terrain, des avions de chasse et des drones lâchent des missiles depuis le ciel.
Comme beaucoup d’autres personnes déplacées du camp de Jénine, la famille d’Abu Rmeleh est hébergée par des amis et des proches dans la ville voisine. Mais même en dehors du camp, la sécurité est un concept fragile. Les habitants craignent des représailles israéliennes pour avoir hébergé des personnes déplacées par l’assaut. Des tireurs d’élite israéliens sont postés sur les toits du camp et aux alentours, surplombant les ruines. Des rapports récents indiquent que l’armée a donné aux troupes en Cisjordanie toute latitude pour tirer sur tout ce qui est jugé « suspect ».
Abu Rmeleh est consciente de ces risques, mais hausse les épaules lorsque je lui demande si elle craint de se faire tirer dessus en retournant au camp pour récupérer certains de ses effets personnels. « Je m’en fiche », dit-elle. « Je suis déjà morte. »
Non loin de là, un adolescent nommé Adham semble tout aussi impassible. Lors de l’attaque actuelle du camp, les forces israéliennes ont détruit la maison de sa famille et tué son ami Mohammed, âgé de 17 ans. Debout devant les ruines d’une maison, il secoue une bombe de peinture, laissant un nouveau graffiti sur les décombres. Autour de lui, certains des bâtiments démolis ont déjà été tagués par des soldats israéliens avec le slogan nationaliste hébreu « Am Yisrael Chai », faisant écho à des scènes similaires à Gaza.
Remarquant mon photographe et moi-même sur la route déserte à l’intérieur du camp, Adham nous tend un tract que l’armée israélienne avait distribué ici. Imprimé en arabe, on peut y lire : « Le terrorisme a détruit le camp. Rejetez les militants. Ils sont la cause de la destruction. C’est vous qui payez le prix de votre sécurité et d’une vie meilleure. »
Pour beaucoup à Jénine, ce message n’est ni nouveau ni convaincant. La plupart des habitants du camp sont les descendants de familles expulsées de la région de Haïfa par les milices sionistes et les forces israéliennes lors de la Nakba de 1948. Au fil des décennies, Jénine est devenue un épicentre du militantisme et de la résistance palestiniens, ses rues ayant été ravagées par des invasions et des sièges israéliens répétés, notamment lors de la deuxième Intifada au début des années 2000, lorsque les bombardements israéliens et les affrontements avec les combattants de la résistance ont dévasté le camp.
Alors que les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne ont mené une campagne de six semaines pour réprimer les groupes armés et reprendre le contrôle du camp, le ministre de la Défense israélien a présenté cette dernière opération israélienne comme l’application des « leçons tirées » de Gaza. Et Israël envisagerait maintenant de rendre permanente sa présence dans le camp.
« Ce qui se passe ici est une version réduite de Gaza »
À l’entrée du camp, l’entrée de l’hôpital gouvernemental de Jénine est marquée par une fresque de Shireen Abu Akleh, journaliste d’Al Jazeera tuée par balle par les forces israéliennes en 2002 alors qu’elle couvrait une précédente incursion militaire dans le camp. À l’intérieur de l’hôpital, le Dr Mustafa Hamarsheh, directeur médical, décrit une situation de plus en plus intenable.
« Beaucoup de nos 500 membres du personnel ne peuvent même pas atteindre l’hôpital », explique-t-il : à moins d’arriver en ambulance, les troupes israéliennes les arrêtent fréquemment aux points de contrôle, les fouillent et les refoulent souvent. Au début de l’incursion, plusieurs membres du personnel médical ont été blessés lorsque les soldats ont encerclé l’hôpital, assiégeant l’établissement. L’armée s’est depuis retirée des lieux, mais la peur persiste.
« La plupart des patients ont tout simplement trop peur pour essayer de venir ici », explique Hamarsheh. « Notre capacité d’accueil est aujourd’hui réduite de 50 % ».
Depuis le début de l’année 2025, les forces israéliennes ont tué au moins 70 Palestiniens en Cisjordanie, dont 10 enfants, selon le ministère palestinien de la Santé. Rien qu’à Jénine, 38 personnes ont été tuées, dont un ami de Hamarsheh âgé de 70 ans qui avait fui le camp après l’incursion mais qui était revenu pour inspecter sa maison.
« Son âge ne faisait aucun doute ; il n’était clairement pas un combattant », dit Hamarsheh. « Pourtant, lorsqu’il est arrivé chez lui, les forces israéliennes l’ont tué. Il a reçu une balle dans l’abdomen et a été laissé là [se vidant de son sang] pendant une heure. Aucune ambulance n’a pu l’atteindre ; elles n’ont tout simplement pas pu passer. »
Bloquer les ambulances est une pratique courante, explique Hamarsheh. Les médecins sont obligés d’attendre aux points de contrôle, ce qui fait que les patients se vident de leur sang avant de pouvoir être évacués. La destruction des routes et des infrastructures ne fait qu’aggraver la crise.
« Ce qui se passe ici est simplement une version réduite de Gaza », dit-il. « Une campagne délibérée pour détruire, rendre la vie invivable et envoyer un message à tous les habitants du camp et de la ville : partez. Quittez la Cisjordanie. Allez ailleurs. »
Après avoir parcouru les rues autour de l’hôpital gouvernemental de Jénine, mon photographe et moi décidons d’essayer d’entrer dans la partie ouest du camp, le soi-disant « nouveau camp ». Ici aussi, des jeeps militaires israéliennes rôdent le long du périmètre, leurs moteurs vrombissant alors qu’elles sillonnent les rues. Alors que nous approchons, des habitants nous préviennent qu’il y a un tireur d’élite dans cette zone.
À la limite du camp, le propriétaire d’une petite supérette, qui a été déplacé de l’intérieur du camp mais qui tient maintenant son magasin à la frontière extérieure, aperçoit nos gilets de presse et nous fait signe d’entrer dans l’appartement derrière le magasin. Il appartient à sa mère, qui l’accompagne.
Sa voix se brise lorsqu’elle raconte ce qui est arrivé à sa fille l’un des premiers jours de l’incursion : elle était sortie d’une rue latérale près du magasin, et s’est retrouvée directement sur le chemin de soldats israéliens qui ont tiré une balle qui lui a déchiré le bras. Les chirurgiens l’ont recousue avec des plaques de platine, mais elle ne pourra plus jamais bouger sa main, dit la vieille femme en faisant défiler des photos du bras déchiqueté de la jeune fille.
Soudain, nous entendons des coups de feu. Cinq, peut-être six coups de feu retentissent juste devant la boutique. Nous sursautons. La famille se précipite vers l’arrière de l’appartement et nous la suivons. Le son – fort et perçant – indique que les coups de feu ont été tirés à quelques mètres de là.
Selon un échange dans un groupe WhatsApp local, les forces israéliennes tiraient sur des personnes qui tentaient de retourner dans le camp pour récupérer leurs affaires. Peu de temps après, une autre personne à vélo tente d’entrer et essuie une nouvelle rafale de tirs, qu’elle évite.
Pendant environ trois heures, nous restons à l’intérieur de l’appartement derrière la supérette, à l’abri avec la famille palestinienne. Dehors, les rues sont calmes, mais la tension est palpable. Après quelques concertations, les travailleurs du Croissant-Rouge nous escortent enfin hors du camp.
« Nous sommes livrés à nous-mêmes »
Fin janvier, l’opération militaire israélienne s’était étendue bien au-delà de Jénine. Le 29 janvier, une frappe aérienne israélienne a touché un quartier très peuplé du village de Tammoun, près du camp d’Al-Far’a, tuant au moins dix Palestiniens. Peu après, les forces israéliennes ont attaqué Qalqilya et sa périphérie, intensifiant l’offensive et renforçant le contrôle sur tous les principaux districts du nord de la Cisjordanie.
À Tulkarem, qui borde la Ligne verte entre Israël et la Cisjordanie, la situation n’est pas moins instable. Depuis le début de la guerre à Gaza, les bulldozers et les drones ont ravagé le camp de réfugiés à maintes reprises, endommageant les routes, les maisons et les devantures de magasins. L’extension de l’opération « Mur de fer » a déplacé les trois quarts de la population du camp au cours des dernières semaines.
Je visite la région pour la troisième fois depuis le 7 octobre, en compagnie de l’ONG allemande Medico. Cette fois-ci, les partenaires locaux de Medico, membres de Jadayel, le Centre palestinien pour l’art et la culture, distribuent des couvertures et des oreillers aux familles récemment déplacées. Ils opèrent indépendamment de l’Autorité palestinienne, invoquant sa bureaucratie comme un obstacle qui retarde inutilement la distribution de l’aide.
En chemin, je rencontre Muayyad Shaaban, le chef de la Commission de l’Autorité Palestinienne pour la Résistance à la Colonisation et au Mur. Il insiste sur le fait que l’Autorité Palestinienne fait ce qu’elle peut, distribuant 400 à 500 repas par jour aux familles déplacées du camp. Mais il n’hésite pas à appeler un chat un chat. « Il ne s’agit pas d’une opération de sécurité, mais d’une opération politique », dit-il, en faisant valoir que la plupart des personnes tuées et blessées dans les camps n’avaient rien à voir avec la résistance armée. « Tout cela fait partie du cadeau de Netanyahu à l’extrême droite en échange du cessez-le-feu à Gaza : il donne à [Bezalel] Smotrich tout ce qu’il veut. »
Shaaban suggère que l’opération militaire en cours dans le nord de la Cisjordanie prépare en réalité le terrain pour quelque chose de bien plus important : l’annexion. Et les pièces du puzzle s’assemblent. L’intensification de la violence des colons soutenus par l’État a contraint plus de 50 communautés rurales palestiniennes à fuir leurs terres depuis le 7 octobre, et les colons ont établi plus de 40 nouveaux avant-postes au cours de la même période.
Pendant ce temps, l’une des premières mesures prises par Donald Trump à son retour à la Maison Blanche a été d’annuler les sanctions de l’administration Biden contre Amana, une importante organisation de développement des colons. Ces jours-ci, les Palestiniens soupçonnent de plus en plus que Washington pourrait bientôt reconnaître officiellement la souveraineté israélienne sur la Cisjordanie, reconnaissant ainsi sur la scène internationale ce qui est depuis longtemps une politique israélienne d’annexion de facto.
Dans un centre d’hébergement de Shweikeh, dans la banlieue nord de Tulkarem, un homme nommé Bahazat Dheileh décrit les difficultés croissantes pour acheminer des fournitures aux personnes dans le besoin. Les demandes les plus urgentes des familles déplacées, dit-il, concernent le lait maternisé et les couches.
Selon Dheileh, les forces israéliennes ont empêché les familles de prendre quoi que ce soit avec elles alors qu’elles fuyaient le camp. Cela a aggravé une situation humanitaire déjà désastreuse, tout comme le blocage par Israël de l’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA), qui a rendu la distribution de l’aide plus fragmentée que jamais.
Non loin de là, dans le jardin à l’arrière de la maison de son frère, Abdellatif Sudani regarde dans le vide. Il y a trois semaines, il a finalement quitté le camp de Tulkarem avec son fils et sa fille. Il avait insisté pour rester lors de chaque précédente incursion israélienne, ignorant les avertissements de partir, mais cette fois-ci, c’est différent. « Les rumeurs disaient que l’armée prévoit de rester », dit-il.
Mais ce n’est pas ce qui l’a poussé à partir ; ce sont ses enfants qui l’ont convaincu. « Qui va nous protéger ? », demande-t-il d’une voix monocorde. « Nous sommes livrés à nous-mêmes. »
Hanno Hauenstein est un journaliste et auteur indépendant basé à Berlin. Ses travaux ont été publiés dans des publications telles que The Guardian, The Intercept et Berliner Zeitung.
Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : +972 Magazine
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