J’avais estimé la victoire de la petite poupée préfabriquée, préformatée, merchandisée et livrée avec un répertoire de réponses toutes faites et capitalistiquement jovialistes à environ 60 contre 40. Cela laissait amplement la possibilité pour les camarades qui ne disposaient pas de Gravol (Nausicalm en France) ni de pince-nez de rester chez eux, même si je préférais de loin ceux qui votaient anti-Le Pen. Les résultats officiels étant de 66 contre 34, on pourra lire avec intérêt l’article de Frédéric Lordon De la prise d’otages, où il démonte le fascisme soft qui consiste à faire voter par injonction plutôt que par conviction. Les élections ne devraient-elles pas être le lieu par excellence de l’expression de sa conviction intime ? Ce délire qui consiste à aligner son vote selon une expectative alimentée par des médias et des sondages dénature totalement l’exercice et le transforme en prophétie autoréalisante.
Par ailleurs, un taux d’abstention de 25 % additionné à un taux de votes blancs et de votes nuls de 12 % en dit long sur l’attrait représenté par les deux chevaux dopés de cette dernière course. Le joli vendeur de voitures usagées a déclaré qu’il ferait tout pour « que les électeurs n’aient aucune raison de voter pour les extrêmes ». Cela n’est pas nécessairement rassurant parce qu’on ne sait pas ce qu’il empruntera à l’extrême droite pour lui couper l’herbe sous le pied. D’autant que les grandes déclarations à la « mon ennemi, c’est la finance » ont la valeur des promesses d’ivrogne.
Les Québécois se rappellent amèrement la promesse du chef Libéral Couillard qui jurait la main sur le cœur que son gouvernement n’aurait plus rien à voir avec le gouvernement précédent, celui de Jean Charest. Résultat des courses : non seulement poursuit-il les mêmes politiques, mais il le fait avec le même personnel.
La marche de Le Pen n’a été que ralentie, certainement pas freinée. En 15 ans, le score des fachos a plus que doublé et il y a tout lieu de se demander si, grâce aux quinquennats successifs de droite (Chirac, Sarkozy, puis Hollande), au lieu d’une Le Pen qui s’est normalisée, on n’a pas affaire à un normal qui s’est lepénisé. L’article de Julien Salingue sur le sujet mérite le détour.
Le seul mouvement vraiment en marche depuis 2002, c’est celui de Le Pen. La décomplexion des idées d’extrême droite, les « manifs pour tous », les milices du genre GUD n’ont pas subi de régression sous les différents régimes de droite qui se sont succédé. Et ce n’est certainement pas un ennième énarque convaincu que les riches le sont par vertu et les pauvres par vice qui changera la donne. Le travail extra-parlementaire et extra-médiatique qui attend les tenants de la démocratie républicaine est énorme, car l’hégémonie que le 1 % a construite est nauséabonde et violente (celle qui sort tout son arsenal militaro-policier lors des rencontres des G20) et alimente une contre-hégémonie (celle des fachos) tout aussi répressive, alors qu’à côté nait difficilement une autre contre-hégémonie écosocialiste et pacifique.
LAGACÉ, Francis
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