Après avoir pris ma carte de membre, je me retrouve dans une instance nationale au Cégep du Vieux-Montréal. Après les délibérations de la journée, auxquelles j’ai participé avec l’enthousiasme naïf d’un jeune qui commençait à s’impliquer en politique et la conviction que le pouvoir était à portée de main puisque des centaines de jeunes comme moi venions de devenir membres de l’UFP et que ce parti comptait maintenant plus de 600 membres.
François Cyr, militant de longue date et alors président de l’UFP, avait constaté mon enthousiasme et était venu me parler pendant la traditionnelle bière de soir de congrès. Il m’avait dit essentiellement deux choses. D’abord, qu’on ne fondait pas un parti en vue des prochaines élections, on le faisait en vue de la prochaine génération. C’est dans 20 ans, disait-il en 2002, qu’on récoltera les fruits de ce qu’on plante aujourd’hui. Ensuite, il me disait qu’il fallait toujours, en politique, faire preuve d’une « patiente impatience », c’est-à-dire de tout faire pour gagner demain tout en sachant qu’on travaille avec un horizon qui se compte en décennies.
Depuis lundi, je ne peux m’empêcher de me dire que, peu importe où est rendu François Cyr, il doit être fier de voir qu’on est en train de concrétiser sa prédiction. Par contre, ne croyez pas que la victoire dans 10 comtés pour Québec solidaire été facile. Voici tout le chemin que nous avons parcouru :
L’élection de 2003 avec l’UFP : Bienvenue dans la marginalité
Ma première élection était celle de 2003. Je m’y suis impliqué en tant que « directeur de campagne » dans le comté de Laurier-Dorion. Le titre est évidemment entre guillemets parce que les seules personnes dans l’équipe de campagne étaient le candidat (William Sloan) et moi-même. On n’avait pas un sou pour la campagne et nos affiches étaient des feuilles 8½X14 collées sur les boîtes à malle avec de la colle composée d’eau et de farine.
Mes espoirs de prendre le pouvoir et de changer le Québec ont rapidement été déçus à la soirée électorale : l’UFP n’avait obtenu que 1,06% des votes. Les militants et militantes de longue date étaient néanmoins satisfaits puisque le DGEQ allait nous rembourser 50% de nos dépenses électorales puisque nous avions dépassé le seuil du 1% au niveau national. Je venais de comprendre pourquoi l’impatience se devait d’être patiente.
Les élections de 2007 et 2008 avec Québec solidaire : le difficile accouchement
C’est en février 2006 que va être fondé Québec solidaire. Je suis alors militant de l’UFP dans la région de Québec. Nous venons d’accueillir une nouvelle génération de membres qui se sont politisés durant la grève étudiante de 2005, alors la plus grande grève étudiante de l’histoire du Québec, dans laquelle beaucoup de membres de l’UFP vont s’impliquer. L’UFP compte alors près de 2000 membres et le congrès de fondation de Québec solidaire ajoutera à ce nombre les 2 000 membres d’Option Citoyenne et 1000 nouveaux membres qui se joindront suite au congrès de fondation. Nous sommes alors près de 5 000 membres gonflés à bloc pour l’élection de 2007.
J’aurai la chance d’organiser le bureau national de Québec solidaire durant l’élection de 2007. Je constaterai chez beaucoup des nouveaux membres le même enthousiasme naïf que j’avais à mes débuts dans l’UFP. Ceux et celles qui voyait une victoire solidaire durant l’élection de 2007 seront déçus : Québec solidaire n’obtiendra que 3.6% et arrivera derrière le Parti Vert. Je me souviens d’un candidat qui était vraiment triste de voir qu’il avait obtenu moins de 2%, 50% derrière le gagnant, alors qu’il était certain de sa victoire. Les ex-membres de l’UFP étaient très heureux d’avoir plus de tripler le pourcentage. On a alors pu populariser le concept de « patiente impatience ».
Avant l’élection de 2008, François Cyr viendra me voir pour que je prennes sa place de candidat de Québec solidaire dans Marie-Victorin. De son côté, il veut se consacrer à faire élire Amir. Le travail des militants et militantes de Québec solidaire apporte son premier fruit : malgré un score national de 3,8%, nous réussissons à faire élire Amir Khadir dans Mercier. À Québec solidaire, « la game vient de changer ». La parole de Québec solidaire existera à l’assemblée nationale et nous aurons accès au débat des chefs. Beaucoup de militants et militantes de longue date passent alors le relais à une nouvelle génération de membres.
Les élections de 2012 et 2014 : les premiers pas de Québec solidaire
La présence d’Amir à l’assemblée nationale fera rapidement doubler les appuis à Québec solidaire et amène une vague de nouveaux membres. Québec solidaire verra encore une nouvelle génération de membres arriver durant la grève étudiante de 2012 et l’élection qui la suivra. À la fin de l’élection de 2012, Québec solidaire obtient deux sièges (Françoise David viendra rejoindre Amir), 6% du vote et compte 13 000 membres.
Québec solidaire consolidera ses acquis de 2012 dans les années suivantes. À l’élection de 2014, Manon Massé vient rejoindre Françoise et Amir et QS terminera avec 7.6% du vote.
L’élection de 2018 : Québec solidaire dans la cour des grands
Entre 2014 et 2017, Québec solidaire s’essouffle un peu. Son nombre de membres diminue à 10 000. En 2017, avec l’arrivée de Gabriel Nadeau Dubois et le départ de Françoise, le relai est passé encore une fois à une nouvelle génération de membres et Québec solidaire retrouve un nouveau souffle avec l’arrivée de 4 000 nouveaux membres.
Dans les mois qui suivent l’arrivée de Gabriel, Manon va devenir co-porte-parole et Amir va annoncer qu’il quitte le parlement. C’est un Québec solidaire 2.0, qui compte sur 20 000 membres, qui se présentera à l’élection de septembre 2018. Les résultats de l’élection de 2018, où QS obtient 16.1% et 10 député-e-s, confirment ce que beaucoup de personnes voyaient depuis quelques mois (et que François Cyr m’avait prédit en 2002) : Québec solidaire est maintenant le 3e parti politique en importance au Québec.
On a créé l’UFP en 2002 en ayant comme objectif de former le gouvernement en 2022. À chacune des 5 élections où Québec solidaire était présent, nous avons travaillé pour gagner l’élection. Les résultats de chacune de ces élections ne nous ont pas déçus parce que nous cultivions cette « patiente impatience ». Aujourd’hui, le rêve que François Cyr me partageait en 2002 devient plus que jamais possible. C’est à nous de travailler avec impatience dans les prochaines années pour que notre patience soit récompensée.
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