Édition du 17 décembre 2024

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Québec

Penser autrement la survivance culturelle du Québec

Une idée résume le Québec et son histoire : survivance. Contre l’empire britannique, cette survivance avait pris la forme d’un refus viscéral de l’assimilation à la culture et au mode de vie Anglais. Depuis l’Acte de Québec, en passant par la fondation du Parti Québécois, jusqu’à l’élection de la CAQ et la résurrection inattendue du Bloc Québécois, cette volonté de survivance s’est traduite par la nécessité d’affirmer la différence culturelle québécoise au sein de l’Amérique du Nord et un rejet du multiculturalisme canadien.

Mais ce sont surtout les débats actuels sur la réforme des politiques d’immigration et sur la laïcité qui ont mis en évidence le rôle structurant de l’idée de survivance. Car, ce qui a longtemps hanté le Québec, à savoir la disparition comme peuple, serait, à en croire certains, en phase de devenir une réelle possibilité. Et ce serait sous le double effet corrosif de la diversité et de l’immigration dite de masse que nous serions en train d’assister à la mort programmée de l’identité québécoise. C’est pourquoi le gouvernement de la CAQ et certains intellectuels et chroniqueurs entendent désormais faire de la survivance culturelle du Québec l’urgence politique de l’heure : la politique est désormais sommée de traduire la volonté du peuple québécois de persévérer dans son être.

Le Québec comme problème

Dans la configuration culturelle et démographique actuelle, le Canada ne serait plus à lui seul le problème du Québec, mais le Québec serait devenu un problème pour lui-même. C’est maintenant de l’intérieur de la société québécoise que viendraient les menaces : l’interculturalisme, le bonjour-hi, l’immigration de « masse », et bien entendu l’islamisme que certains comme Christian Rioux, Mathieu Bock-Côté, Joseph Facal, lient causalement à l’islam.

Il n’y a rien d’illégitime dans la volonté d’un peuple de défendre son identité et les différentes manifestations de sa culture. Mais lorsqu’une telle défense s’inscrit dans une perspective romantique, qui renvoie seulement au passé et à ce que fut le Québec et les Québécois, comme si l’être québécois était a priori défini à jamais et donc coulé dans le bêton, je dis qu’une telle affirmation de soi est non seulement aveugle à la dimension temporelle de l’identité, mais surtout elle ouvre la porte à sa proche déchéance. Il y a une politique de la survivance qui travaille contre l’avenir d’un peuple : c’est celle qui refuse d’articuler l’héritage et les exigences du présent, celle donc qui n’est pas attentive à l’effet du temps sur l’évolution démographique et culturelle d’une société, engendrant par cette indifférence même une forme de dissonance identitaire.

Certains propos du premier ministre - « Au Québec, c’est comme ça qu’on vit »- et les critiques du Multiculturalisme comme religion politique sont la parfaite expression de cette dissonance identitaire, qui se définit par une surdétermination de ce que fut le Québec et les Québécois au détriment de ce qu’est le Québec et de ce qu’il est en train de devenir. Or, il me semble que la tâche du politique ce n’est pas seulement de ressasser un imaginaire du passé, mais de prendre aussi la mesure du présent et de relever les défis auquel celui-ci nous confronte.

Le Québec qui vient

En ce qui concerne l’identité plus précisément, ce serait une erreur politique de nier que le Québec est de fait une société multiculturelle. Même si, aujourd’hui, on ne prenait pas en considération les communautés ethnoculturelles, le Québec n’en demeurait pas moins une société multiculturelle composée d’une majorité culturelle francophone et des minorités culturelles anglophones et autochtones. De même, non seulement les manières de vivre au Québec ont évolué, mais elles se sont mélangées, sous l’effet de l’immigration, avec d’autres manières de vivre, entrainant ainsi diverses formes de brassages ou de métissages culturels. De sorte qu’il existe maintenant d’autres Québécois dont les manières d’être et de vivre sont au confluent de cultures diverses.

Il en ressort une identité que l’on pourrait qualifier de kaléidoscopique. Celle-ci, en principe, ne conteste pas la primauté et la valeur symbolique de la culture francophone majoritaire. Elle exige cependant des représentants de la culture majoritaire une forme de reconnaissance non pas seulement factuelle mais aussi institutionnelle. Or, justement, nous vivons aujourd’hui une véritable crise de la reconnaissance institutionnelle des minorités nationales et, surtout, des minorités ethnoculturelles. Sortir de cette crise, qui rend instable la démocratie québécoise, nécessite que nous relevions ensemble le défi suivant : penser une politique de la reconnaissance qui intègre à la fois les exigences de la survivance et les exigences de la diversité. Mais pour ce faire, il faudra avant tout rompre avec la conception essentialiste de l’identité québécoise. 

Amadou Sadjo Barry

Professeur de philosophie

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