Luke Savage, Jacobin, 18 août 2020
Traduction, Alexandra Cyr
La course à la nomination était déjà profondément polarisée. Aucun enjeu n’a plus divisé les Démocrates que la réforme de l’assurance maladie. Plusieurs dans l’électorat ont été induits.es en erreur parce que le débat prétendait porter sur des politiques articulées autour de questions comme « est-ce que les gens devraient avoir une option entre les assurances privées et un plan gouvernemental » ? Ou « qu’en est-il des plans actuels négociés entre les syndicats et les entreprises » ?
Il a aussi semblé que le débat portait sur les stratégies. Pour beaucoup de libéraux et libérales, c’était la meilleure manière d’attaquer l’enjeu de fond : sauver le pragmatisme contre la « parfaite » proposition de la gauche.
De ce point de vue, la position de B. Sanders qui place très évidemment Medicare pour tous et toutes au centre de toute solution, devient caduque, disqualifiée parce qu’elle est présentée comme maximaliste ou au mieux naïve à cause de l’opposition qu’elle soulèverait au Congrès. Ainsi, la position donnée comme réaliste se trouve quelque part entre l’Affordable Care Act (Obama Care) et Medicare pour tous et toutes.
Mais, comme c’est si souvent le cas en politique américaine, ce qui semble un débat de bonne foi en matière de politique et de stratégie, en fait porte principalement sur quelque chose de plus vrai, soit sur le poids démesuré de l’influence des entreprises donatrices (de fonds au Parti) et ce qui semble une urgence incontournable chez les libéraux et libérales, s’agenouiller devant elles.
L’environnement politique étant tellement dominé par les industries, les lobbyistes et les organisations des possédants.es, B. Sanders a élaboré une stratégie de confrontation directe qui seule peut avoir quelque succès.
La position qui se prétend réaliste est évidemment aussi naïve car elle se frappe au réflexe démocrate de la triangulation quand il s’agit d’assurance maladie et elle se plante toujours en aboutissant à une autre série de changements mineurs et de petites corrections à un système structurellement incapable de livrer à toute la population les soins dont elle a besoin.
Difficile d’imaginer une meilleure louange de cette évaluation que la récente révélation que les Démocrates allaient se retirer de la position qu’ils ont défendu jusqu’à maintenant si J. Biden devait être élu en novembre. En théorie, J. Biden soutien une option publique c’est-à-dire un plan d’assurance géré par le gouvernement en compétition avec les plans privés. Mais, le journal Hill a rapporté cette semaine que : « Après la campagne électorale, quand les projecteurs se déplaceront vers le Congrès, la proposition (d’une option publique d’assurance) devrait être adoptée même si c’est avec une faible marge au Sénat et malgré l’opposition farouche des groupes industriels. À ce moment-là, même l’enjeu de l’adoption du plan Biden comme contreproposition, (à celle de B. Sanders) fera peur. Des assistants.es des Démocrates au Congrès et des conseillers.ères externes qui surveillent l’évolution de cette affaire ont accepté de nous parler sous le couvert de l’anonymat. Tous et toutes s’attendent à ce que le Parti commence par de modestes propositions d’ajustement à l’Obamacare l’an prochain. Il n’y aurait pas de proposition d’option publique dans l’espoir de gains immédiats. Un de ces assistants au Sénat souligne que si les Démocrates y regagnent la majorité se sera grâce aux voix dans des États plus républicains et qu’il y aura plus de modérés.es dans le caucus ».
Autrement dit, le plan réputé plus facile à faire adopter par les Démocrates serait abandonné dès janvier prochain, les dirigeants capitulant devant les compagnies d’assurance et les membres du Parti plus conservateurs pour, avec l’idée de protéger le futur. Nous ne sommes qu’en août, donc il n’y a pas d’administration démocrate en place pour assumer cette reddition. Mais on voit bien les similitudes avec ce qui s’est passé en 2009 et 2010 alors qu’ils ont laissé tomber complètement l’option publique.
Comme d’habitude, les libéraux et libérales ne se battront pas pour des réformes acceptées du bout des lèvres surtout que l’opposition ne cesse de se renforcer. Si on en croit les derniers reportages nous serons face au retour de la manœuvre. Maintenant comme dans le passé il n’y a pas de négociations Démocrates qui puissent venir à bout de la résistance des compagnies d’assurance alors même que des millions de personnes perdent leur assurance : elles sont prêtes à renoncer à leurs profits.
Cette résistance est inévitable. Donc, l’affrontement direct avec ces pouvoirs corporatifs, est la seule option victorieuse possible. Même avec le raz-de-marée démocrate de 2018 l’obstruction systématique au Sénat à privé le Parti de l’introduction de l’option publique.
On ne peut pas s’attendre à un autre raz-de-marée cette année. Il est donc prévisible que la marge de manœuvre des Démocrates au Congrès ne sera pas suffisante pour passer à travers l’opposition
acharnée de l’industrie. Il n’y aura pas non plus tout l’enthousiasme nécessaire pour arriver au nombre de votes voulus.
On ne s’est jamais attendu à ce que Medicare soit un programme facile. Mais il est assez clair qu’une campagne démocrate qui endosserait avec conviction son élargissement à toute la population serait, malgré tout, plus facile à faire adopter que celle qui promeut avec mollesse des compromis qui ne seront que des compromis de plus. B. Sanders avait raison : « Toujours Medicare pour tous et toutes ou vous êtes battus.es ».
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