tiré de : FUGUES INFOLETTRE | #605 | 23 mars 2017 Publié le 20 mars 2017 Denis-Daniel Boullé
« Le lobby gay n’a plus sa raison d’être. Aujourd’hui, tu peux te marier, embrasser ton chum où tu veux. De façon générale, le système est de ton bord. Nous vivons au Québec la société la plus tolérante au monde à l’égard des minorités. »
« Je ne suis pas une victime. Ça ne m’a pas nui. Je ne me sens pas discrédité, intimidé ou quoi que ce soit. Toutes les victimes ont ma sympathie, mais ce ne sont pas tous les gays qui sont des victimes. »
« ll y a un lobby très structuré au Québec et ces gens-là ont intérêt à créer une industrie de la victime. »
« Jamais je n’ai connu autant de sensualité avec les hommes qu’au Maroc. D’abord, la division de la société en fonction du sexe dans ce pays-là fait qu’on se retrouve pratiquement toujours juste entre hommes, alors que les femmes sont constamment séparées de nous [...] . »
Voilà quelques commentaires de l’animateur accompagnant sa sortie du placard médiatique. L’homme préfère l’attaque (peut-être une stratégie commerciale) pour vendre son dernier livre.
Si, comme lui, on peut se féliciter de vivre dans un pays des plus « tolérants » au monde, force est de lui rappeler que la tolérance contient la condescendance, et marque nettement une distance avec l’acceptation. Le Québec peut faire figure de proue en matière d’acceptation, c’est clair, mais il reste du chemin à faire. Que l’animateur aille embrasser son chum ou même le tenir par la main dans certains quartiers de Québec ou de Montréal, ou dans certains villages, pour comprendre que si c’est mieux, ce n’est pas encore « plus mieux » qu’il le pense.
L’animateur a la fâcheuse propension – comme d’autres – à croire que si cela n’a pas été difficile pour lui de vivre son homosexualité, il en serait donc de même pour tous les autres. Incapable de se décentrer de son nombril, il ne peut imaginer qu’il existe autre chose que son bout de jardin. Pourtant il a voyagé, au Maroc dont il garde le souvenir ému de cette homosensualité, cette société où les femmes ont tendance à être absentes. Il est vrai que le Maroc (pourrais-je dire avec une pointe de sarcasme) est reconnu mondialement pour son ouverture aux LGBTQ.
L’animateur affirme qu’il ne s’est jamais senti victime. Lorsque que l’on choisit le confort du placard, on ne risque pas d’être victime de quoique ce soit. Mais, le plus « intéressant », c’est le glissement dans ses propos de victime qui deviendrait synonyme pour lui d’activisme, ou, pour citer Éric Duhaime, du fameux « lobby gai », expression qui est née et qui fait fureur dans les partis d’extrême-droite européens et dans les milieux les plus conservateurs aux États-Unis, pour dénoncer les avancées sociales pour les LGBTQ.
Être militant n’a pourtant rien à voir avec être victime. Être engagé socialement dans une cause n’implique pas qu’on soit victime de quoi que ce soit. Avoir une conscience sociale — c’est-à-dire un regard qui va un peu plus loin que son bout de jardin, un peu plus loin que son nombril — n’a rien à voir avec une attitude ou une posture de victime.
Je suis toujours surpris par ceux qui se sont tus pendant des années, qui n’ont pas levé le moindre petit doigt pour faire avancer les droits des LGBTQ, bien protégés par les portes étanches de leur placard, et qui sortent à l’air libre, profitant des gains obtenus par d’autres, souvent de hautes luttes. On pourrait s’attendre à tout le moins à un merci pour ceux et celles qui ont pavé le chemin. Non, c’est plus simple de donner des leçons. Devons-nous rappeler à Éric Duhaime que sans le travail de ces militants, il serait surement encore dans le placard.
Je ne considère pas appartenir à aucun lobby. J’écris pour un magazine gai, j’ai des amis et des connaissances dans tous les groupes LGBTQ et jamais je n’ai eu le sentiment qu’ils et qu’elles jouent la carte de la victime. Ils et elles ont, travaillé d’arrache-pieds, avec la conscience et la conviction que la solidarité, l’engagement, le partage, peuvent faire une différence pour eux et elles et pour les autres.
Et leur conscience face aux réalités dépassent largement les frontières du Québec. Ils et elles sont engagé(e)s face à ce qui se passe ailleurs dans le monde. C’est aussi grâce à eux et elles qu’Éric Duhaime peut enfin en parler ouvertement de son homosexualité et, ironie du sort, leur cracher dessus.