Ces pratiques ont constitué la réponse des autorités à la montée du mouvement Occupy et à sa mise en question de la richesse et des privilèges politiques des 1%. Les choix tactiques du mouvement Occupy impliquaient l’installation de campements pacifiques, ainsi que l’organisation de manifestations de masse. Ces deux types de pratiques sont censés être garantis par le Premier amendement [de la Constitution, datant de 1791]. Cet amendement est connu sous le nom de Bill of Rights. Il interdit au Congrès des États-Unis – et, de fait, à la législation des différents États et aussi aux pouvoirs des exécutifs et des instances judiciaires – d’adopter des lois qui limitent la liberté d’expression, celle de la presse ou, encore, le droit de « s’assembler pacifiquement ».
Toutefois, en quelques semaines, les exécutifs municipaux des villes de la côte Est à la côte Ouest des Etats-Unis ont envoyé la police antiémeute – qui faisait un usage régulier de ses menottes en plastique qui coupent la circulation sanguine aux poignets, qu’elle sortait des gilets pare-balles – harceler et arrêter les manifestant·e·s du mouvement Occupy et les expulser des rues.
Sous le couvert de préoccupations portant sur la « santé et la sécurité publiques », tous les maires ont ordonné à la police d’évacuer les campements. Cette justification sonne étrangement aux oreilles puisque, année après année, ces mêmes maires ont pratiqué des coupes budgétaires dans les finances des hôpitaux publics, réduit les aides sociales pour le chauffage, ainsi que fermé des centres pour sans-logis. Des pratiques qui ont réellement mis en danger la « santé et la sécurité publiques », et cela pour des millions d’Américains.
Le nombre total d’arrestations d’activistes du mouvement Occupy s’élève maintenant à 6477, depuis le 17 septembre 2011.
Le traitement dont le mouvement Occupy a été l’objet par les élus et l’application de la loi par ceux-ci envoient aux activistes un message sans aucune équivoque : « Vous avez tout à fait le droit à la liberté d’expression, mais si vous essayez d’en faire usage, nous ferons tout ce que nous pourrons pour vous en empêcher ! »
Cette attaque implique également des élus – dont la plupart d’entre eux sont membres du Parti démocrate, lequel clame son soutien aux droits des travailleurs – qui utilisent toutes les ressources de la loi pour s’assurer de pouvoir sévir à volonté contre les manifestant·e·s.
A Chicago, où l’OTAN et le G8, club des gouvernements les plus puissants du monde, doivent se réunir dans le cadre d’un sommet conjoint en mai 2012, le maire de la ville, Rahm Emanuel, est allé le plus loin [Rahm Emmanuel a été élu maire de Chicago en février 2011, il est entré en fonction en mai 2011 ; représentant démocrate de 2003 à 2009 du 5e district de l’Illinois à la Chambre des représentants ; il a été chef de cabinet de Barack Obama de janvier 2009 à octobre 2010]. Parmi les propositions qu’il a soumises au Conseil municipal en figurent notamment deux : le fait pour deux personnes de porter une banderole ou pour d’autres de faire usage d’un mégaphone, cela sans avoir obtenu une autorisation – laquelle doit faire l’objet d’une demande précise un mois avant son utilisation –, constituerait une violation de la loi.
Le soir du réveillon, Barack Obama a signé le National Defense Authorization Act, donnant au président le pouvoir de détenir des citoyens américains pour une durée indéfinie sans qu’il soit porté de charges contre eux. Il s’agit là d’une nouvelle étape des attaques contre les droits et les libertés civiles, lesquelles ont été inaugurées par la fameuse « guerre contre le terrorisme » de George W. Bush, mais qui a été poursuivie par l’administration démocrate de Barack Obama.
Au cours de la même période, le gouvernement fédéral a déboursé plus de 34 milliards de dollars pour équiper les polices locales, comme si elles étaient des petites armées, avec du matériel de type militaire. Sous le couvert de préparer ces corps de police à des « scénarios de lutte contre le terrorisme », même des villes endormies comme Fargo – État du Dakota du Nord – ont acquis des véhicules blindés, des fusils d’assaut et des casques Kevlar [marque déposée pour certaines fibres synthétiques très résistantes utilisées notamment par l’armée]. Le comté de Montgomery, au Texas, a déployé récemment un drone de surveillance – avion sans pilote – d’un coût de 300,000 dollars, du même type que ceux utilisés par l’armée américaine au Pakistan et en Afghanistan.
Personne ne peut sérieusement considérer que Fargo constitue une cible pour des « terroristes ». Surgit alors la question : pourquoi des villes avec des budgets en crise voudraient donc supporter de telles dépenses, énormes, pour acheter et entretenir de tels arsenaux ?
La réponse : c’est l’émergence d’un puissant mouvement social à une époque de crise sociale qui constitue précisément une « menace » contre laquelle il convient de se préparer.
Les politiciens utilisent invariablement chaque possibilité pour remercier « nos femmes et nos hommes portant l’uniforme » de protéger les « libertés qui nous sont chères ». Combien de fois ce type de rhétorique a-t-il été utilisé pour jeter l’opprobre sur ceux qui critiquent la guerre ?
L’ironie réside toutefois dans le fait que les déploiements militaires des États-Unis à l’étranger se sont toujours accompagnés de restrictions des libertés civiles dans le pays. En effet, le gouvernement fédéral se prépare à répondre aux mobilisations populaires contre ses objectifs de guerre – et à la nécessité d’opérer des coupes budgétaires, afin de financer les dépenses militaires – par des arrestations, des infiltrations [policières] et l’emprisonnement des « fauteurs de troubles ».
Au cours de la Première Guerre mondiale, le socialiste Eugene Victor Debs [1855–1926] a été emprisonné en raison des discours passionnés qu’il a prononcés contre la guerre. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement a adopté des lois visant les radicaux, comme le Smith Act [1]. Au cours de la guerre contre le Vietnam, le FBI a espionné, infiltré et semé la discorde au sein des mouvements opposés à la guerre, se battant pour les droits civils [des Afro-Américains] et pour le Black Power.
En vérité, tout au long de l’histoire américaine, la promesse à « la vie, la liberté et à la recherche du bonheur » figurant dans la Déclaration d’Indépendance [des États-Unis, texte datant de 1776] n’a jamais été offerte de bonne grâce, mais a plutôt été concédée à contrecœur. Dès le début [de l’histoire des États-Unis indépendants], les « Pères fondateurs » eurent peur du « règne des foules » et ont cherché à restreindre le droit de vote des hommes – et uniquement des hommes – en le réservant autant que possible à des propriétaires, comme eux-mêmes, auxquels on pouvait faire confiance pour leur « juste discernement ».
Au cours de la Révolution américaine, John Adams [second président des États-Unis entre 1797 et 1801] mit en garde contre toute tentative « d’étendre la qualité d’électeurs. Sinon, il n’y aura pas de limite […]. Les femmes demanderont à voter. Les jeunes hommes entre 12 et 21 ans penseront que leurs droits ne sont pas suffisants, et chaque homme, qui n’a pas même un sou, revendiquera une capacité égale que tout autre homme à se prononcer sur les actes de l’Etat. Cela aboutira à confondre et à détruire toutes les distinctions ainsi qu’à abaisser tous les rangs à un même niveau. » [Lettre à James Sullivan, 26 mai 1776].
Alexander Hamilton, un autre « Père fondateur », a exprimé son accord avec l’approche d’Adams. « Toute communauté est divisée entre le petit nombre et la multitude », a-t-il écrit. « Le premier est composé des riches et des bien nés ; le second de la masse du peuple. » La solution avancée par Hamilton : tandis que les masses « turbulentes, dépourvues de propriété, « jugeront ou formuleront les lois rarement », les riches devront disposer d’une « part distincte et permanente dans le gouvernement [des affaires du pays] ».
Cette aversion d’une démocratie pleine et entière n’est pas le propre des démocrates auto-proclamés d’Amérique. « Le suffrage universel mettrait en danger tous les buts pour lesquels un gouvernement existe », a écrit l’historien britannique du XIXe siècle et politicien conservateur Lord Macaulay. Il ajoutait : « Et il serait complètement incompatible avec l’existence de la civilisation. »
Pour saisir la relation complexe entre démocratie et capitalisme, une mise en perspective historique serait nécessaire. Ce n’est pas l’heure de la faire ici. Mais un élément peut être souligné : il ne faut pas confondre de manière simpliste démocratie et droits démocratiques. Dans ce système, la propriété privée énorme et concentrée – des grandes banques, assurances jusqu’aux grandes firmes industrielles ou de distribution – s’élève comme une limite nette à l’extension des droits démocratiques de la majorité salariée. D’où la vive réaction répressive face à ceux et à celles qui, tendanciellement, mettent en question le pouvoir gigantesque – économique, donc aussi politique – du 1%. (Traduction et édition par la rédaction de A l’Encontre)
[1] Passé en 1940, sous F.D. Roosevelt, le Smith Act – ou Alien Registration Act – impliquait : 1° la poursuite pénale contre ceux et celles affirmant qu’il fallait renverser le gouvernement ; ce qui permit d’arrêter des socialistes-révolutionnaires, des communistes (staliniens) et aussi quelque fascistes. 2° A cela s’ajoutait l’obligation pour tous les résidents qui n’étaient pas citoyens de s’inscrire auprès de l’administration gouvernementale ; plus de 4,7 millions ont dû le faire. Le traitement appliqué aux résidents – y compris citoyens – d’origine japonaise est plus connu : camps d’internement, etc.
Ces mesures ne doivent pas étonner les Suisses qui ne réalisent pas que le Contrôle des habitants, comme institution helvétique et patriotique, n’a d’égal que des institutions analogues sous le régime nazi et stalinien. Ce Contrôle des habitants obligeait, il n’y a pas si longtemps, d’un « Fribourgeois » allant vivre à Genève de se déclarer, quasi sur le champ, au Contrôle des habitants de Genève. Il y recevait un permis d’établissement pour Suisse, renouvelable !
Quant à la facette du Contrôle des habitants « réservée » aux « étrangers » et à la « police des étrangers » qui l’accompagne, elles font du Alien Registration Act une mesure plus que « convenable ». Or, son caractère anti-constitutionnel a été reconnu (aux Etats-Unis), en 1957. Mais, il n’a pas été abrogé. (Réd.)