La conquête
Après la conquête (1759-60), l’Empire britannique, la grande superpuissance de l’époque, triomphe. L’économie coloniale basée sur la prédation et le pillage des ressources est énormément profitable. Les coûts de gestion de l’Empire demeurent bas, d’autant plus qu’une couche subalterne de colons britanniques constitue une barrière assez puissante contre les paysans francophones et les communautés autochtones, majoritaires sur le plan démographique, mais impuissantes de par la dislocation de leurs structures nationales et étatiques. Autre facteur, les élites cléricales francophones se rallient au pouvoir colonial en recevant des pouvoirs résiduels sur les populations en matière de langue, de religion et de régime juridique.
La rébellion
Mais la conquête génère de nouvelles contradictions. Dès la première moitié du dix-neuvième siècle, une élite locale ascendante prend son essor. À côté de celle-ci se situe une vaste paysannerie de plus en plus désappropriée et une « multitude » urbaine chassée vers les villes par la misère rurale. Ce bloc social réclame le rapatriement du pouvoir de dépenser vers l’assemblée élue où prédomine le Parti des Patriotes de Louis-Joseph Papineau. Après maintes tentatives de négocier, la tendance républicaine, indépendantiste et anti-impérialiste devient majoritaire. Le projet propose la fin des privilèges et des discriminations (y compris contre les autochtones), l’abolition du système seigneurial, la séparation entre l’État et l’Église, et surtout, la fin du pouvoir colonial. Des assemblées de plusieurs milliers de personnes se multiplient. Les revendications des Patriotes deviennent le cœur d’un véritable mouvement de masse qui inclut également des Anglais dans le Haut-Canada, des Irlandais et bien d’autres unis autour d’un projet pro-républicain. Lorsque l’affrontement survient, c’est cependant la débâcle. L’Empire britannique, alors au faîte de son pouvoir, dispose d’une supériorité militaire indéniable. Les masses sont prêtes à participer, mais les réseaux sont mal organisés. Entre-temps, les chefs comptent naïvement sur l’appui des États-Unis qui espèrent-ils, appuieront une rébellion antibritannique. Pour l’Empire, il n’est pas question de compromis.
La mise en place de l’État canadien
Après avoir éliminé la menace, l’Empire s’efforce de changer la donne démographique en accélérant l’arrivée de colons anglais, écossais et irlandais. Parallèlement, le pouvoir colonial réunit les deux entités distinctes, le Bas-Canada et le Haut-Canada (peuplé majoritairement d’anglophones) dans une seule colonie (1840). Ce faisant, il crée un coupe-feu contre les aspirations des masses populaires francophones, le but explicite du pouvoir colonial, selon le fameux rapport Durham, étant de procéder à une lente mais inexorable assimilation des francophones. Pour l’Empire, l’objectif est de consolider l’emprise sur les vastes territoires de l’ouest encore mal gouvernés et aux prises avec diverses rébellions autochtones et francophones. Après diverses délibérations, le pouvoir britannique accepte l’idée du gouvernement « responsable », en autant que les intérêts coloniaux soient préservés en matière de préférence commerciale et d’intérêt géopolitique.
Une « constitution » qui n’en est pas une
C’est ainsi que sont mis en place les éléments qui débouchent sur l’Acte de l’Amérique du Nord britannique », communément appelée la constitution de 1867. La stratégie du « divide and rule » consiste à fragmenter les populations subjuguées en cooptant une partie des élites, quitte à leur concéder des pouvoirs subsidiaires. Concrètement pour atténuer la pression, la nouvelle infrastructure politique est prête à concéder des droits aux francophones, désormais minoritaires, via l’intégration d’une élite francophone via l’autonomie concédée au Québec en matière de langue, du cadre juridique (le droit civil) et de la religion. Mais ce compromis est bancal, comme l’expose l’historien Stanley Ryerson :
Le caractère monarchique anglais du dominion colonial confirmait l’hégémonie britannique et canadienne-anglaise. Le rapport démographique qui se composait depuis 1850 d’une majorité anglophone et d’une minorité permanente pour les Canadiens français fit que des concessions restreintes dans les domaines linguistiques et religieux furent accordées aux Canadiens français, à titre de minorité culturelle, tandis qu’on leur refusait toute reconnaissance politique comme entité nationale. En même temps, l’expansion économique, réalisée par la construction des chemins de fer et le développement industriel et appuyée par les structures d’un Etat unitaire, relia l’essor de la société aux sources de capitaux anglaises et américaines auprès desquelles les Canadiens anglais bénéficiaient de contacts que les milieux d’affaires canadiens-français n’avaient pas. La démocratie commerciale de 1867 faisait pencher la balance en faveur de la classe capitaliste canadienne-anglaise qui l’avait façonnée1 (1)
(1) Stanley-Bréhaut Ryerson, Le capitalisme et la Confédération, Éditions Parti Pris, Montréal, 1972. Page 487.