Édition du 17 décembre 2024

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Irak

L’Iraq, une souffrance continue aux causes multiples…

Les évènements de ces dernières semaines en Iraq avec la prise de Mossoul, deuxième plus grande ville du pays, et qui a provoqué le départ de plus de 500 000 personnes, et d’autres villes par une coalition hétéroclite de groupes réactionnaires composée principalement par l’Etat d’Islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) [1], d’ex baathiste et de chef de tribus sont la continuation de la longue agonie du peuple irakien depuis 2003 et même avant à bien des égards.

Il faut se rappeler en effet que le pays vivait sous la dictature sanglante du clan de Saddam Hussein qui avait causé la mort, l’exil et l’emprisonnement de plusieurs dizaines de milliers de personnes, sans oublier le gazage des kurdes en 1988 à Halabja, tandis que ce régime s’était construit sur un appareil répressif totalitaire qui n’acceptait aucune opposition politique et ou indépendance syndicale, et sur des bases clientélistes, tribales et communautaires et n’avait rien de nationaliste comme certains l’ont caractérisé…

La raison principale néanmoins de la situation actuelle catastrophique dans le pays résulte de l’invasion militaire américaine et britannique de 2003 et de ses politiques successives dans le pays, des interventions des pays régionaux, particulièrement l’Iran et l’Arabie Saoudite, qui n’ont cessé de nourrir le feu du communautarisme comme moyen de faire avancer leurs intérêts et sans oublier des politiques communautaires et répressives du gouvernement Maliki.

Car contrairement comme avancé par certains médias et « analystes » les évènements actuels en Irak ne sont pas le fruit d’une haine ancestrale entre Sunnite et Chiite qui dateraient de plus de 1000 ans, mais bien le résultat de politiques actuelles.

En plus de son invasion militaire qui a provoqué la mort d’un million d’irakiens et le déplacement forcé de 4 millions d’autres et cela après plus de 10 ans de sanctions inhumaines, la politique d’occupation des Etats Unis est à l’origine de la débâcle actuelle : répression féroce de toute opposition politique à l’occupation américaine, mise en place forcée de politiques néolibérales et répression de mouvements syndicalistes indépendants, destruction des institutions étatiques (armée, administration, système universitaire, etc…), mise en place d’un système politique basé sur le confessionnalisme politique comme au Liban et comme base de construction des nouvelles administrations étatiques, etc… Ce dernier élément provoquera une guerre confessionnelle terrible opposant groupes extrémistes chiites et sunnites entre 2005 et 2008, provoquant une moyenne mensuelle de 3000 morts.

En même temps, l’Arabie Saoudite et l’Iran ont soutenu des groupes confessionnels extrémistes et réactionnaires pour favoriser leurs propres intérêts, comme dans d’autres pays d’ailleurs dans la région, particulièrement le Liban et la Syrie.

La montée spectaculaire de l’EIIL et de ses alliés ces derniers mois sont néanmoins à comprendre dans les politiques autoritaires et communautaires du gouvernement de Maliki de ces dernières années.

Il faut tout d’abord se rappeler des manifestations populaires qui avaient secoué le pays au début de l’année 2011 dans la foulée des soulèvements populaires de la région. Cela avait débuté le 25 février 2011 par “le Jour de la colère” qui devait lancer un cycle hebdomadaire de protestation les vendredi dans la plupart des grandes villes du pays. Les demandes étaient diverses, allant de la lutte contre le chômage, qui est toujours très élevé, le manque ou l’absence de services tels que l’électricité, la libération des prisonniers politiques, à l’opposition à l’ensemble du régime communautaire installé par l’occupation états-unienne. Le mouvement était composé de personnalités de la société civile, groupes féministes, syndicalistes, etc…

Des rassemblements populaires ont parfois dépassé les dizaines de milliers, tandis que par exemple dans la ville de Mossoul, des manifestant-es avaient appelé à une grève générale poussant le gouverneur local Atheel al-Nujaifi à soutenir les manifestations et soutenir la violation du couvre-feu imposé par le gouvernement.

Les manifestations populaires ont représenté un défi sérieux au gouvernement de Maliki, avec de nombreux politiciens locaux démissionnaires, dont deux à Bassorah, et surtout les places de protestation étaient devenues des sites de poésie politisée et de spectacles culturels, s’appuyant sur le riche patrimoine culturel de l’Irak.

Le gouvernement n’a pas tardé à réagir avec une répression systématique : gaz lacrymogènes ainsi que des balles réelles, la mise en place de nombreux check points, forçant notamment les gens à marcher pendant des heures dans la chaleur torride pour rejoindre des places publiques généralement facilement accessible. Les forces de sécurité interdisaient également tous les stylos, marqueurs, tableau d’affichage, et des bouteilles d’eau aux personnes se rendant aux places publiques pour manifester.

La consolidation politique au sein de l’élite dirigeante de l’Irak a néanmoins permis au premier ministre Nouri al-Maliki de coopter les politiciens locaux dissidents tels qu’à Bassorah tout en continuant la répression du mouvement populaire.

En même temps, le gouvernement Maliki poursuivait de plus en plus une politique communautaire contre la population sunnite. Ce dernier avait notamment refusé d’intégrer les Conseils de « l’éveil sunnite » dans l’armée, qui avaient combattu Al Qaida , avait maintenu la loi anti-baasiste, mise en place après l’invasion américaine contre les anciens dirigeants proches de Saddam Hussein, mais utilisé surtout par le premier ministre irakien pour réprimer toutes les forces politiques sunnites, tandis qu’il accusait d’importanst politiciens de confession sunnites de soutien aux terroristes, usage habituel des régimes répressifs de la région pour réprimer toute opposition comme on peut le voir en Egypte et en Syrie actuellement. Le gouvernement Maliki a également discriminé de manière systématique les sunnites au sein de l’administration publique.

Au cours de l’année 2013, un mouvement populaire dans les régions à majorité sunnite avait mené une campagne de masse de résistance non-violente contre le gouvernement Maliki, et particulièrement les politiques communautaires et autoritaires. Des manifestations populaires de masse et des sit-ins ont eu lieu à cette période revendiquant la libération des prisonniers politiques, en particulier les milliers de femmes détenues, plus d’emplois et de meilleurs services publics, et la suppression de la constitution irakienne. Les manifestant-es visaient, s’opposaient surtout aux « lois anti terroristes » utilisées par le gouvernement irakien pour réprimer les opposant-es avec des accusations de liens avec Al-Qaïda ou le parti Baas de Saddam. A cette époque, des dirigeants irakiens chiites du bloc du Conseil Suprême Islamique d’Iraq et du bloc de Moqtada al-Sadr, qui avaient leurs propres griefs contre le régime Maliki, avaient exprimé leur solidarité avec ces manifestations composées dans leur quasi totalité par des irakiens de confession sunnite et avaient menacé d’organiser leurs propres manifestations. Malheureusement aucune solidarité trans-confessionnelle ne s’est matérialisée, ni inter ethnique, malgré les critiques et opposition des groupes kurdes contre le gouvernement de Maliki.

Le gouvernement Maliki a réprimé de manière sanglante cette vague de protestations populaires, comme il l’avait fait contre le mouvement du 25 février 2011 lorsque l’Iraq avait connu des manifestations populaires à travers le pays. Il a d’ailleurs utilisé des tactiques tirées directement de l’occupation américaine – les quartiers détruits entièrement ou partiellement, des arrestations massives et la torture. L’intensification de la répression du gouvernement Maliki a poussé une partie des manifestant-es et certains groupes à se rallier à l’EIIL, qui s’oppose au régime irakien pour des raisons communautaires, et ce dernier a gagné une importance croissante dans les régions à majorité sunnite. L’armée irakienne, reconstruite sur des bases communautaires par le gouvernement Maliki et minée par la corruption, était perçue de plus en plus comme une armée d’occupation par les populations dans les régions à majorité sunnite et c’est pour cette raison que certains ont vu dans leur départ une libération, mais sans considérer les nouveaux arrivants comme des libérateurs. Les pratiques de l’EIIL (imposition de lois religieuses réactionnaires sur la population touchant particulièrement les femmes, assassinats communautaires, autoritarisme, destructions d’objets archéologiques pré-islamique et autres, etc…) feront en effet très probablement l’objet de résistance très rapidement des populations locales, comme cela a été le cas en Syrie.

De son côté, Maliki a utilisé la menace communautaire de l’EIIL pour pousser M. Sadr à organiser des manifestations d’appui à l’Etat irakien et pour demander le soutien du grand Ayatollah Sistani, la plus haute autorité religieuse chiite d’Irak. Maliki a également fait mobiliser des milices sectaires chiites pour s’opposer à l’EIIL.

La solution est donc bien sûr de s’opposer aux forces réactionnaires jihadistes de l’EIIL, alliés aux ex baassistes, mais également au gouvernement Maliki avec ses politiques communautaires et autoritaires et les forces réactionnaires qui le soutiennent. Ces deux acteurs se nourrissent et sont donc à abattre pour espérer construire un mouvement populaire social et progressiste s’opposant au communautarisme permettant à l’Iraq de sortir d’un cauchemar qui n’a que trop duré.

Notes

[1] Pour rappel, l’EIIL est l’émanation d’al-Qaïda en Iraq, qui a émergé au cours de l’occupation américaine en 2006.

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