Édition du 17 décembre 2024

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Politique municipale

Entrevue avec Jean Gagnon, président du Syndicat des fonctionnaires municipaux de Québec

Nouveau Colisée - « Le secteur public absorbe la grosse facture alors qu’un privé va engranger les profits »

Le maire Labeaume a récemment annoncé que le financement de la construction du nouveau Colisée serait compensé par l’élimination de 500 postes dans la fonction publique municipale. Le président du Syndicats des fonctionnaires municipaux a réagi en dénonçant la stratégie du maire en soulignant que cette approche fera en sorte d’affaiblir encore davantage les services municipaux. Presse-toi à gauche ! a rencontré Jean Gagnon pour en savoir davantage.

PTAG : Lors de votre récente sortie publique, vous avez mentionné des retards dans plusieurs dossiers, notamment le Service des droits de mutation (taxe de bienvenue) et du Service de l’évaluation qui connaissent des retards importants dans le traitement des dossiers. Il y a aussi les 150 emplois à Expo Cité qui seraient menacés. Existe-t-il une évaluation des impacts qu’aurait l’investissement de la Ville dans un nouveau Colisée dans les priorités et les dépenses de la Ville de Québec ?

Jean Gagnon : Je n’en ai aucune idée. Actuellement, je suis menacé par les avocats de la Ville. Ce que j’ai de la difficulté à accepter, c’est qu’on va payer le gros prix pour le nouveau Colisée et ce sont les employéEs de la Ville qui vont écoper. C’est le message que l’on envoie à la population. Comment pouvons-nous accepter que les emplois municipaux deviennent des emplois du privé. La Ville et les citoyens vont payer la grosse facture et que nous allons perdre des emplois et que ça va devenir de plus en plus difficile de faire le travail convenablement à l’interne. On parle de 32 000 dossiers qui trainent au Service de l’évaluation, de 3 000 droits de mutation qui ne sont pas traités et nous ne sommes pas encore dans la grosse période des achats de maisons, il y a un problème majeur. On ne peut continuer de couper des postes à l’interne et de faire souffrir le personnel tout en disant qu’on va se payer un Colisée avec ça. C’est la base de notre message.

On ne peut dégager des marges de manœuvre avec de telles manières de procéder. Il y a eu 16,3 M$ de revenus supplémentaires sur l’immobilier. Ils ont chargé 4,3 M$ en trop aux citoyens dans le budget 2009 par rapport au montant réalisé pour le régime de retraite. Et nous sommes les dindons de la farce car nous sommes les seuls à faire les frais de ça. Et les employéEs ont déjà le dos au mur.

PTAG : Ce n’est pas aussi une façon pour le maire de se donner un prétexte pour privatiser une série de services municipaux comme ce fut le cas pour la cueillette des ordures ?

Jean Gagnon : C’est possible même si je ne peux le confirmer de façon formelle. Je suis forcé de constater que si la masse salariale de la Ville n’a pas diminué, la colonne des contrats (accordés au privé NDLR) a augmenté de façon assez significative. Il faut se questionner sur les raisons qui poussent à donner des contrats à l’externe même si ça coûte moins cher de le réaliser à l’interne. Trois-Rivières a d’ailleurs réalisé cet exercice de céder la cueillette des ordures au privé et les éluEs songent maintenant à ramener ce service dans le domaine public parce que ça coûte moins cher.

À Québec, la démonstration a été faite que le service assumé par le public coûte moins cher. La Ville ne sauve pas d’argent avec ça et on donne le contrat à l’externe. On se demande quel est le but visé par cette opération. C’est inquiétant pour l’avenir parce que dites-vous que lorsqu’on privatise, il se crée des monopoles qui peuvent avoir un impact sur l’avenir, par exemple si les coûts explosent et qu’il n’y a que 2 ou 3 soumissionnaires, il y a un risque certain. Montréal vit la situation actuellement. À titre de président de la FISA (Fédération Indépendante des Syndicats Autonomes), je peux parler de la situation du Québec dans son ensemble et il est clair que cette situation est problématique.

PTAG : On a l’impression, à écouter les médias, que tout le monde est d’accord avec le projet de nouveau Colisée. Or, des sondages font état que la moitié de la population de la Ville veut être consultée sur la question. Est-ce que cette aspiration a des échos à l’interne ?

Jean Gagnon : C’est très partagé. Certains trouvent que ça n’a pas de bon sens alors que d’autres sont en faveur du projet. Une consultation publique est-elle nécessaire ? Honnêtement, je ne sais pas. Mais la question se pose et ce n’est pas vrai qu’à Québec, tout le monde est derrière le projet sans avoir de garanties. C’est davantage au niveau politique qu’il faut trancher. En ce qui me concerne, on va essayer de me bâillonner. J’attends la mise en demeure de la Ville (pour les propos tenus lors de la conférence de presse du 16 février et rapportés dans Le Devoir du lendemain NDLR). Ils n’aiment pas ce que j’ai dit mais s’ils s’acharnent, c’est qu’il doit y avoir une logique dans mes propos et ça ne fait pas leur affaire.

PTAG : Il y a une culture de la porte fermée dans ce dossier. Il y a beaucoup de choses qui se négocient et dont on ignore la teneur. Tout le projet repose sur la présence d’une équipe de hockey et rien n’est garanti dans ce dossier. Or, c’est la population et les employéEs municipaux qui risquent d’encaisser sans trop savoir ce qui se trame.

Jean Gagnon : Notre grosse inquiétude, c’est que ce soit nous qui fassions les frais de ces investissements-là. Le PTI (Programme Triennal d’investissement) a augmenté, la dette de la Ville augmente de façon importante et c’est sans compter l’investissement dans le Colisée. Il est clair que la volonté du maire est de couper dans les emplois pour payer cette dette supplémentaire.

PTAG : Vous avez mentionné la question des aménagements à réaliser autour du secteur d’Expo-Cité dans la foulée de la construction du nouveau Colisée. Des travaux sont prévus pour les boulevard Hamel et Laurentien. Le transport en commun devra s’adapter pour desservir cet endroit. Pourtant, peu font état des coûts que commanderont ces travaux. À l’interne, y a t-il des évaluations des frais requis pour ces travaux ?

Jean Gagnon : Il n’y a pas d’étude sur cette question et si je me prononce, on va encore m’accuser de démagogie. Mais partez du principe que le maire s’appuie sur une étude (d’Ernst & Young NDLR) dont la marge d’erreur est de 70%. À partir du moment où on dit ça et qu’on n’a pas une évaluation précise des coûts reliés à la construction de l’édifice. Il y a un article d’André Letendre qui parlait de 1,1 milliards$ et il ne tenait pas compte des frais reliés au transport en commun. Donc, même si nous n’avons pas d’études précises sur le sujet, il est très possible qu’à cause de l’aménagement autour, la facture augmente de façon significative.

Et le problème c’est qu’on va bâtir ce gros équipement et c’est un privé qui va venir s’emplir les poches et ça là-dessus, j’ai des problèmes. Et ce sont les employéEs, ceux et celles d’Expo-Cité en particulier, qui vont perdre leurs emplois et les employéEs de l’administration municipale qui vont encaisser parce que la machine est déjà à bout de souffle. Il va falloir payer cet investissement sans augmentation de taxes. Je reçois de nombreux appels d’employéEs qui nous déclarent qu’il faut faire quelque chose pour corriger la situation, le maire nous dit qu’il faut encore couper 250 postes (il y a déjà eu coupures de 201 ou 172, le maire se perd dans ses chiffres à ce sujet NDLR)), on ne peut rester passifs.

De plus, le grief déposé par le syndicat des cols bleus sur la question de la privatisation de la cueillette des ordures ménagères doit être entendu bientôt. Si le syndicat remporte la victoire, la Ville devra compenser les employéEs, la facture risque d’être salée. Nous, on veut bien que la Ville se dote d’un équipement, personnellement j’aimerais revoir les Nordiques, mais on ne veut pas faire les frais de cet investissement. Qu’on se ramasse avec des pertes d’emplois et des privatisations parce qu’un privé a ramassé ça. Le secteur public absorbe la grosse facture alors qu’un privé va engranger les profits avec l’exploitation de l’équipement. Le maire a dit : la construction ce n’est pas rentable. C’est pour ça que le privé ne veut pas investir dans ça. Mais le reste doit être rentable puisque des gens sont intéressés à s’accaparer le club de hockey et la gestion de l’édifice.

PTAG : il y a eu de grosses manchettes dans les médias à propos de la collusion et de la corruption dans le monde municipal. À Québec, il y a eu ce promoteur immobilier qui a été pris la main dans le sac de tentative de corruption d’un fonctionnaire. Y a t-il des mesures qui ont été prises afin d’éviter ce phénomène ?

Jean Gagnon : À l’interne, les gens sont très conscients des risques d’un tel phénomène. Les employéEs sont très loyaux envers l’employeur. Qu’un promoteur tente de corrompre unE employéE, il a de l’ouvrage devant lui car il risque d’être dénoncé. La Ville a fait signer aux employéEs des documents sur les règles de conduite pour conscientiser les gens à une éthique du travail. À Québec, je ne suis pas vraiment inquiet de cette situation. Dans le cas précis auquel vous faites référence, il y a eu des accusations portées contre le promoteur et c’est en cours présentement. Mais il n’y a pas ce type de problème à la Ville.

PTAG : au niveau des politiciens, ça peut être différent ?

Jean Gagnon : Ce que j’ai dénoncé et c’est écrit dans le texte de l’Unifier (le journal de la FISA dont M. Gagnon est le président NDLR. Voir http://www.fisa.ca/images/UNIFIER-Janvier2011.pdf), c’est qu’il faut revoir le financement des partis politiques. Il est anormal que des compagnies et des entrepreneurs financent des partis politiques. René Lévesque avait fait un bout dans ce dossier, mais je pense qu’on est revenus à la situation que l’on voulait corriger. Les gens donnent en espérant avoir quelque chose en retour. Les dons volontaires, pour le plaisir, ça se peut mais c’est extrêmement rare. Des compagnies achètent des tables dans des cocktails-bénéfices pour s’approcher du pouvoir, faire du lobbying qui n’est pas nécessairement déclaré. Ce n’est pas illégal sauf que s’ils donnent en espérant quelque chose en retour, il y a un problème.

Quand nos politiciens seront complètement détachés de tout financement de tout particulier, ça va faire en sorte que les éluEs pourront prendre des décisions sur l’ensemble des dossiers les mains complètement détachées. Et à mon sens, actuellement, ce n’est pas le cas. Dans un article du Journal de Québec du 4 avril 2008, Régis Labeaume, alors à Paris pour vendre Québec, affirme que « les partis politiques, c’est rien que de la magouille. » Il promet du même souffle de réduire les régimes de retraite et les avantages sociaux de ses fonctionnaires. Donc, il ne faut être offusqué des propos que j’ai tenus. J’aurais peut-être eu avantage à nuancer davantage mais selon moi, c’est le système qui est mal fait et qui attache nos politiciens. Prenez l’exemple du parti Libéral où on retrouve des entrepreneurs très impliqués au sein de la structure, vous allez comprendre que c’est au plus fort la poche. Plus tu réussis à aller chercher de l’argent pour ton parti politique, plus tu deviens fort sur la scène provinciale ou municipale. Quand je dis ça, j’ai l’air d’un extra-terrestre. Pourtant tout le monde le pense, mais personne n’ose le dire.

Je tiens à préciser que ces propos relèvent d’une réflexion générale et qu’elle ne font pas mention d’une quelconque situation à Québec même. C’est important car ils vont essayer de me “striker” pour me la fermer car on considère que je parle trop. Je parle pour améliorer la crédibilité de la classe politique face à la population. Que l’État finance les partis politiques. Ça ferait en sorte que des partis politiques émergeraient alors qu’actuellement, ils n’en ont pas les moyens. Ça ferait en sorte qu’on ferait des économies sur les contrats. Les dons du privé ne sont pas désintéressés, ce sont des investissements. Ils s’attendent à un retour sur leurs investissements. Je n’ai jamais dit que cette façon de procéder était illégale. Il faut détacher les mains des politiciens et les mettre à l’abri de pressions privées. À Montréal, lorsqu’il y a eu l’enquête sur la collusion, les coûts ont soudainement baissé de 20-30% selon les médias. Si on tient compte des milliards de $ investis dans la province, imaginez si on parvient à sauver seulement 15% des coûts. Alors, si quelques millions investis dans le financement des partis politiques peuvent permettre de mieux gérer, ce serait merveilleux. L’avenir du Québec passe par là.

Entrevue par Yves Bergeron réalisée le 18 février 2011

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