Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

Noam Chomsky s’exprime sur la gestion désastreuse du Covid19 par D. Trump, sur Bernie Sanders et sur ce qui donne espoir

Introduction

Comment les États-Unis, le pays le plus riche au monde, est-il devenu l’épicentre de la dispersion du Corona virus ? Une personne atteinte par la Covid19 y meurt toutes les 47 secondes. Nous allons discuter de ce moment sans précédent dans notre histoire pendant une heure avec Noam Chomsky, le dissident politique connu mondialement, linguiste et auteur. Il nous entretiendra aussi de ses implications politiques au moment où B. Sanders suspend sa campagne à la présidence. Il nous dira aussi comment les travailleurs.euses en première ligne dans le secteur médical et les progressistes sont en train de s’organiser et nous donner espoir.

Entrevue avec Amy Goodman, democracynow.org, 10 avril 2020
Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr

Amy Goodamn : (…) On dénombre (en date du 10 avril. N.d.t.), presque 16,700 décès dus au virus aux États-Unis et les personnes atteintes approchent le demi-million, soit plus que les cas déclarés en Italie, en Espagne et en France réunis. Il est évident que le nombre véritable d’infections est de loin plus important que celui-ci à cause du trop petit nombre de tests effectués. Par ailleurs, le Département du travail rapporte que 6,6 millions d’Américains.es ont fait une demande d’assurance chômage au cours de la dernière semaine. Le rythme et l’ampleur des pertes d’emplois dépassent en ce moment ceux de la Grande dépression.


(…) Noam Chomsky nous rejoint depuis sa résidence de Tucson en Arizona où il est confiné avec son épouse Valeria. L’entrevue a eu lieu juste avant que B. Sanders annonce qu’il suspendait sa campagne à la candidature démocrate à la présidence. Joe Biden devient ainsi le probable candidat démocrate qui fera face à D. Trump lors de l’élection de novembre prochain. J’ai commencé par demander au professeur Chomsky de nous expliquer la situation de l’élection de 2020 dans le contexte actuel et ce qu’il voit venir pour novembre prochain (date de l’élection).

Noam Chomsky : La réélection de D. Trump serait un désastre indescriptible. Je veux dire par là que les politiques mises en place depuis quatre ans, qui ont été extrêmement destructrices pour la population américaine et pour le monde, seront reconduites et probablement accélérées. Ce que ça peut signifier pour la santé est suffisamment terrible (…) et ce qui peut arriver à l’environnement et à la menace de guerre nucléaire dont on ne parle pas, mais qui est extrêmement sérieuse, est indescriptible.

Mais supposons que J. Biden soit élu. On peut s’attendre essentiellement à une poursuite de l’administration Obama : rien de spectaculaire, mais au moins rien de destructeur non plus. Il y aura sans doute des opportunités pour que les mouvements organisés fassent pression pour que des changements soient apportés, pour imposer ces pressions.

On répète un peu partout que la campagne de B. Sanders est un échec ; je crois qu’on fait erreur. Je pense que ce fut un succès extraordinaire, un changement majeur dans le débat public et dans la discussion générale. Des enjeux qui semblaient impensables il y a quelques années sont maintenant au centre des préoccupations.

Ses propositions politiques ne constituent pas son plus grand « crime » aux yeux de l’establishment ; c’est surtout qu’il ait été capable d’inspirer des mouvements populaires comme Occupy, Black Lives Matter et bien d’autres encore. Il a réussi à créer un mouvement militant qui ne se contente pas de donner un coup de pouce à un leader et rentrer à la maison ensuite. Non, ce mouvement fait constamment pression, milite tout le temps et cela pourrait affecter l’administration Biden. (…)

Parlons de Medicare pour tous et toutes et de l’autre élément majeur du programme Sanders, soit l’éducation collégiale gratuite. Toutes les classes supérieures, et même la gauche, le rejettent en invoquant que c’est trop radical pour les Américains.es. Pensez un instant à ce que cela veut dire. C’est une attaque contre la culture et la société américaines, comme vous pourriez l’entendre d’un ennemi vraiment hostile. C’est dire qu’il est trop radical pour notre pays de vouloir atteindre le niveau de pays comparables qui ont tous une forme ou une autre de services médicaux nationaux. Dans la plupart de ces pays, l’éducation supérieure est gratuite : en Finlande, en Allemagne et immédiatement à notre frontière sud, le Mexique, un pays pauvre, qui dispense une éducation supérieure de grande qualité, et ce, gratuitement. Dire que si nous nous donnons un niveau de services comparable à celui de beaucoup d’autres pays dans le monde serait donc trop radical pour les Américains.es est une réflexion étonnante. Et je le répète, c’est une critique de notre pays qui pourrait venir de la part d’un super ennemi hostile.

C’est le paysage à gauche. Cela indique que nous avons vraiment de profonds problèmes, et pas qu’avec D. Trump. Il les a empirés, mais les problèmes sont bien plus profonds, comme par exemple la crise des respirateurs artificiels. Je l’ai décrite ailleurs comme une catastrophe que j’ai analysée avec la simple logique capitaliste, en ajoutant toutefois le poids très lourd de l’inefficacité du gouvernement à prendre en charge ce genre de problèmes. C’est bien plus profond, cela vient de beaucoup plus loin que de D. Trump. Il faut que nous fassions face à ce genre de défis et certains.es le font. Je suis certain que vous avez diffusé quelque chose, (…) à propos du temps qui nous sépare de la catastrophe nucléaire, maintenant fixée en janvier 2021. D’accord ?
(…) Rappelez-vous ce qui est arrivé. Tout au long de l’administration Trump, cette horloge a avancé. La meilleure évaluation qui nous ayons de l’état du monde nous rapproche de plus en plus de sa fin. Nous avons atteint le point le plus proche comme jamais. (…) Les analystes ont parlé de minutes, puis sont passés aux secondes et nous sommes à 100 secondes de la fin, grâce à D. Trump.
Et le Parti républicain n’est plus qu’un monstre ; on ne peut même plus le qualifier de Parti politique. Il ne fait que répéter misérablement tout ce que dit le maitre ; il n’a plus aucune intégrité et c’est fascinant à suivre. (D. Trump) a réussi à s’entourer d’une cour de courtisans-es qui, religieusement, ne font que répéter ce qu’il dit. Nous avons assisté à une attaque monumentale contre la démocratie en même temps qu’une autre contre la survie de l’humanité, comme le dit la banque JP Morgan Chase, la guerre nucléaire. La menace d’une telle guerre a augmenté, le système de contrôle des armements qui nous a protégés jusqu’à un certain point du désastre total, a été démantelé. C’est renversant.

J’ai cité ailleurs un mémo qui décrit comment les politiques que nous appliquons en ce moment mettent en danger la survie de l’humanité. À la fin, on insistait pour dire que les banques devraient cesser de soutenir l’industrie des énergies fossiles, en partie parce que cela nuit à leur réputation. Leur réputation est entachée. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela veut dire que les pressions des militants.es ont un tel effet que les banques doivent intervenir pour soutenir leur réputation. C’est une bonne leçon. Ça marche !

Nous en avons vu quelques exemples frappants. C’est le cas du New Deal vert. Il y a quelques années, c’était considéré comme ridicule, si jamais on le mentionnait. Une forme ou une autre de New Deal vert est essentielle pour la survie de l’humanité ; ça fait maintenant partie des idées générales. Pourquoi ? À cause de l’engagement des militants.es et spécialement du mouvement Sunrise. C’est un groupe de jeunes qui sont allés jusqu’à occuper les bureaux du Congrès. Ils ont obtenu le soutien d’Alexandria Ocasio-Cortez et d’autres jeunes représentants.es qui ont été élus.es dans la vague populaire inspirée par B. Sanders. C’est un autre grand succès. Ed Markey, le sénateur du Massachusetts s’est joint à eux et c’est maintenant à l’ordre du jour législatif. Il faudra l’introduire absolument dans une version viable. Et il y a de bien bonnes idées pour y arriver. Eh bien ! c’est ainsi que les choses changent.

Si une présidence Biden ne peut être forte et sympathique, au moins nous pourrons l’interpeller et faire pression sur elle. C’est très important. Erik Loomis, un très bon historien du mouvement ouvrier, a étudié les efforts accomplis par les travailleurs.euses pour apporter des changements dans la société, parfois pour leur classe, parfois pour toute la société. C’est intéressant. Le succès est venu quand il y avait une administration tolérante et sympathique au pouvoir, pas dans les cas contraires. Voilà une énorme différence entre D. Trump le sociopathe et J. Biden qui est plutôt une tête vide ; vous pouvez le pousser d’un côté ou d’un autre. (Nous allons avoir) l’élection la plus critique de notre histoire, littéralement. Quatre années de plus avec D. Trump nous mettront dans de terribles difficultés.

A.G. : (…) J’ai demandé à N. Chomsky comment le pays le plus riche au monde a pu devenir l’épicentre de la pandémie.


N.C. : Les pays ont réagi différemment ; certains avec un certain succès, d’autres avec plus ou moins de réussite. Il y en a un au fond du baril et c’est le nôtre. Les États-Unis sont le seul grand pays à n’avoir pu fournir de données à l’OMS, tant il est non fonctionnel

Il y a des raisons préexistantes à cette situation. Notre scandaleux système de santé en fait partie ; il est simplement incapable de faire face à tout ce qui n’est pas ordinaire. Il est non fonctionnel. À cela s’ajoute l’étrange groupe de gangsters qui règne à Washington. Il nous semble qu’ils ont fait tout en leur possible pour que nous soyons dans la pire des situations. Au cours des quatre dernières années, depuis le début du mandat de D. Trump, il y a eu des coupes systématiques dans tous les services reliés de près ou de loin à la santé. Le budget du Pentagone augmente ; la construction du mur se poursuit actuellement, mais rien de ce qui pourrait aider la population en général n’augmente, particulièrement en santé.

Une partie de ces décisions semblent irréelles. Par exemple, en octobre dernier, le Président a annulé le programme Predict qui participait, dans le tiers monde et en Chine, à la recherche de nouveaux virus qui pouvaient déclencher des pandémies. De fait, on était à l’affut depuis l’épidémie du SRAS en 2003. Nous sommes donc devant une combinaison de facteurs, dont certains sont spécifique aux États-Unis.

Si nous voulons, au moins espérer éviter les nouvelles pandémies, probablement plus graves que celle-ci, et ce, dans le contexte de l’augmentation du réchauffement de la planète, nous devons examiner les sources de celle-ci. C’est extrêmement important de le faire sérieusement. Il faut nous rappeler que les scientifiques l’avaient vu venir depuis bien des années. L’épidémie du SRAS était déjà assez grave ; elle a été contenue et un début de développement de vaccin a été mis en place. Il n’a pas été nécessaire de se rendre à l’étape des tests. Dès ce moment, Il était clair que quelque chose de pire allait arriver et que nous devrions faire face à plusieurs épidémies.

Mais il ne suffit pas de savoir cela. Il faut que quelqu’un s’empare de ces renseignements et s’active à en faire quelque chose. Que pouvons-nous faire ? Il est évident que les compagnies pharmaceutiques y tiennent un rôle majeur, mais ça ne les intéresse pas. Elles sont dans la logique capitaliste : capter les signaux du marché. Elles constatent qu’il n’y a pas profit à faire avec des catastrophes prédites ou anticipées ; ça ne les intéresse donc pas.

Face à cette réalité, il serait possible que le gouvernement s’en occupe. Je suis suffisamment vieux pour me rappeler que la terreur de la polio a été annulée par un projet financé par le gouvernement qui a abouti au vaccin Salk, gratuit et hors des droits de propriété. Jonas Salk avait déclaré que son vaccin devait être aussi gratuit que la lumière et la chaleur du soleil. On a donc mis fin à la terreur de la polio, à celle de la rougeole et de bien d’autres, mais, en ce moment, le gouvernement ne peut intervenir, il est sous la coupe de la peste moderne, le néo-libéralisme. Vous rappelez-vous du sourire imperturbable de Ronald Reagan qui nous présentait sa maxime : le gouvernement est le problème, pas la solution. Le gouvernement n’y est donc pour rien.
Par contre, des efforts ont été accomplis pour nous préparer à cet événement. En ce moment précis, des médecins et des infirmiers.ères à New York et ailleurs doivent décider qui vivra ou non. C’est terrible ! Parce qu’ils n’ont tout simplement pas les équipements nécessaires pour faire autrement et le pire, ce sont les respirateurs artificiels, il en manque énormément. Pourtant, l’administration Obama avait travaillé à nous préparer pour de telles circonstances. Nous voyons maintenant ce qui nous a dramatiquement mené à cette catastrophe. (L’administration Obama) avait passé un contrat avec une petite compagnie qui fabrique des respirateurs de grande qualité à bas prix. Cette compagnie a été achetée par une plus grande, Covidien pour ne pas la nommer, qui fait des respirateurs sélects à fort prix. Elle a mis la première production à l’arrêt, probablement parce qu’elle ne voulait pas de compétition dans ses propres rangs contre ses produits dispendieux. Elle a contacté le gouvernement pour l’informer qu’elle voulait cesser cette production sous prétexte que ça n’était pas assez profitable. Donc, plus de respirateurs.

La même chose se passe dans les hôpitaux. Le néo-libéralisme les oblige à être efficients, de ne pas entretenir de places inutiles, de n’avoir que le nombre de lits nécessaires pour passer à travers le quotidien. Bien des personnes, moi le premier, peuvent témoigner que même les meilleurs hôpitaux ont généré des souffrances avant la crise actuelle, à cause du concept du « juste à temps » qui a mené à la privatisation de notre système de santé. Quand tout ne se déroule pas normalement, il faut se fier à la chance ; c’est comme ça dans tout le secteur. Nous avons donc une suite de logique capitaliste mortifère qui peut être contrôlée, mais il n’y a plus de contrôle possible avec les programmes néo-libéraux qui empêchent le gouvernement de prendre la relève quand le secteur privé n’est pas à la hauteur.

Et en plus, spécifiquement ici aux États-Unis, nous avons à Washington le « freak show » d’un gouvernement complètement non fonctionnel qui déclenche d’énormes problèmes. Et ce n’est pas que nous ne savions rien, une pandémie était anticipée tout au long du mandat Trump et même avant. Il a réagi en se débarrassant de toute la préparation qui était en place, qui s’est même poursuivi après le déclenchement de la pandémie.

Le 10 février dernier, quand la situation était déjà sérieuse, le Président a publié son budget pour la prochaine année. Jetez-y un coup d’œil. La réduction des fonds pour le Centre de contrôle des maladies y est inscrite comme celle des autres institutions gouvernementales en matière de santé. Par exemple, les augmentations vont à l’industrie des énergies fossiles, comme si des sociopathes nous gouvernaient. Ce pays est simplement gouverné par des sociopathes.

Résultats : des bâtons dans les roues pour tenter de faire face à la pandémie et le vent dans le dos pour la destruction de l’environnement. Sous l’administration Trump aux États-Unis, l’ardeur vise à nous mener vers les abysses. Je n’ai pas besoin de vous dire, vous le savez déjà, que la menace est bien plus importante que le seul corona virus. Ça va mal et c’est grave, particulièrement ici, aux États-Unis, mais nous allons nous en sortir en payant le gros prix. Nous ne récupérerons pas la fonte des glaciers polaires avec ses incidences au fur et à mesure de la fonte, telles le rétrécissement de la surface réflexive et l’augmentation du réchauffement de la mer faisant augmenter la chaleur qui les fait fondre. Ce n’est qu’un des facteurs qui nous mènent à notre perte si nous ne faisons rien pour l’arrêter. Et ce n’est un secret pour personne. Il y a peine quelques semaines, un mémo de la banque JPMorgan Chase, une des plus grandes banques de pays, mettait en garde à propos du réchauffement qui, dans leurs mots, mettait à risque « la survie de l’humanité » si le cours des choses ne changeait pas. Ce qui incluait la remise en cause du financement de l’industrie des énergies fossiles par cette banque parce que, disait-elle, nous augmentons le danger pour la survie de l’humanité. Quiconque regarde l’administration Trump les yeux bien ouverts, sait cela. On trouve difficilement les mots pour le décrire.

Je dois dire que d’autres pays ont……mais d’abord et avant tout cela n’était pas un secret. C’est même devenu insignifiant (dans le discours) maintenant. D. Trump cherche désespérément un bouc émissaire qu’il pourra blâmer pour ses spectaculaires failles et incompétences, le plus récent est l’OMS et la Chine. Il y a toujours quelqu’un d’autre de responsable.

Pourtant les faits sont très évidents. La Chine a avisé l’OMS avec diligence en décembre dernier ; elle avait des patients.es atteints.es par des symptômes de pneumonie d’origine inconnue et personne ne savait de quoi il s’agissait. Environ une semaine plus tard, le 7 janvier 2020, ils ont rendu public les informations transmises à l’OMS et à la communauté scientifique mondiale en disant que ses scientifiques avaient trouvé la source du virus et séquencé son génome. Ils ont donné toute l’information au monde entier.

Les services de renseignements américains étaient au courant de cela. Ils ont passé les mois de janvier et février derniers à tenter de trouver quelqu’un à la Maison blanche qui voudrait bien y porter attention, qu’une importante pandémie était en marche. Personne n’a écouté. Le Président était au golf ou peut-être qu’il vérifiait sa cote télévisuelle. J’ai appris hier qu’un très haut fonctionnaire, Peter Navarro, avait envoyé en janvier dernier un important message à la Maison blanche avertissant qu’un danger réel était en chemin. Même ça n’y a fait réagir personne.

A.G. : Noam, vous avez mentionné Peter Navarro le représentant au commerce et son mémo. Le New-York Times vient juste d’en parler. Fin janvier, il avertissait que le corona virus pourrait tuer jusqu’à un million de personnes si je ne me trompe. Le Président a saisi cette information pour interdire les vols entre les États-Unis et la Chine et il n’a rien fait d’autre ; il ne s’est pas assuré que le pays avait suffisamment de tests appropriés, de matériel de protection pour que les soignants.es ne perdent pas la vie en traitant les patients.es. En plus, les agences de renseignement, même avant M. Navarro, l’avait aussi mis en garde. Si vous pouviez reculer de deux ans en arrière, quand il a démantelé l’unité des pandémies au sein du Conseil de sécurité nationale qui signalait que lorsqu’il était en discussion en Chine, il parlait de dépenses, des bombes ou du mur, mais que personne ne disait jamais : « Monsieur, vous devez aussi vous intéresser à ce qui se passe ici ». Cette unité des pandémies ne faisait pas que s’intéresser à savoir comment les États-Unis y feraient face, mais s’assurait aussi que le Centre de contrôle des maladies et les autres agences du gouvernement et scientifiques américains visitent d’autres pays, comme la Chine, pour enquêter et les aider. En temps de pandémie, nous sommes tous concernés. Pourriez-vous parler de ces avertissements précoces, des raisons de faire les tests et des équipements de protection individuelle ?

N.C. : Oui, et rappelez-vous que cela s’est poursuivi après le début de la pandémie. Encore une fois, le budget est renversant. Nous sommes le 10 février dernier, en pleine pandémie et D. Trump poursuit ses coupes dans les composantes du gouvernement reliées à la santé. Rien de différent par rapport à ce qu’il a fait depuis le début de son mandat. (…) Il a une stratégie très habile. Je ne sais pas si c’est intuitif ou structuré consciemment, mais c’est un modèle simple : une déclaration, un jour, contredite le lendemain et une sortie sur tout autre chose le jour d’après. C’est vraiment brillant. Ça veut dire qu’on lui donnera raison ; quoiqu’il arrive ensuite, il l’aura dit. Vous lancez des flèches au hasard, l’une ou l’autre atteindra la cible. Avec les reprises de Fox, cette technique va rejoindre la base des fidèles, Limbaugh et les autres, qui retiendront ce qui leur apparaitra correct et ajouteront : « Voici notre merveilleux Président, le plus grand Président que nous n’ayons jamais eu, notre sauveur. Il savait tout ça depuis le début et voici sa déclaration ». Personne ne peut y échapper.

Ça s’apparente à la technique du mensonge constamment répété. Je n’ai pas besoin d’élaborer plus avant. Ceux et celles qui s’intéressent assidument aux sites de vérification des faits savent de quoi je parle. Je pense qu’on a maintenant identifié environ 20,000 de ces mensonges et déformation des faits. Et il en rit tout au long de l’exercice ; il trouve ça parfait. En mentant constamment, vous faites disparaitre la vérité.

A.G. : (…) Dans un hôpital de Long Island, parce que les diagnostics répétés de Covid19 causent un poids énorme au personnel, pour contrer le tout, on a diffusé dans l’établissement « Here Comes the Sun » des Beatles chaque fois qu’un.e patient.e partait guéri.e.

(Lors du) Dailay Show de Trevor Noah du 24 février dernier, intitulé « Saluting the Heros of the Coronavirus Pandumbic », (…) on a pu y entendre et voir des membres des médias de droite comme S. Hannity, R. Limbaugh et quelques autres, et des membres républicains du Congrès et de l’administration Trump, qui minimisent la pandémie et s’en moquent. (…). Le 18 mars, S. Hannity déclarait qu’ils avaient toujours pris la pandémie au sérieux.

Note de la traductrice : l’émission rapporte tous ces échanges. Je ne les ai pas introduits dans ce texte parce que trop longs. Vous pouvez les retrouver sur le site democracynow.org

Donald Trump : C’est une grippe. C’est comme une grippe. Un jour ou l’autre ça va disparaitre. Comme un miracle. Ça va disparaitre. J’ai eu le sentiment que c’était déjà une pandémie bien avant qu’on l’appelle ainsi. Je l’ai pris très au sérieux.

A.G. : (…) Cet animateur diffuse maintenant son émission depuis son domicile pour se protéger contre la dispersion du virus dans la communauté. Donc, Noam Chomsky, (…) (parlons) de Fox News. Ce n’est pas qu’un canal de télévision, c’est celui des gens que le Président veut atteindre. Peut-être y trouve-t-on ses principaux conseillers.ères même s’ils soutiennent que non ? Est-ce que vous tenez le Président pour responsable ? Diriez-vous qu’il a du sang sur les mains ?


N.C. : Sans hésitation. Il a fait quelques déclarations complètement folles. Fox News a amplifié leur importance, jouant les haut-parleurs. Le lendemain, il disait le contraire. C’était encore repris avec force, le haut-parleur amplifiait l’affaire. Remarquez que le ton des reportages est intéressant. Aucune hésitation, confiance absolue, même pas ce que toute personne saine d’esprit et rationnelle pourrait ajouter : « Nous ne savons pas exactement. Ça comporte beaucoup d’incertitudes. C’est comme cela que ça se présente aujourd’hui ». Rien de tel. Une confiance absolue. Qu’importe ce que dit le cher leader, c’est amplifié et ça devient un dialogue intéressant. Sean Hannity peut dire : « C’est le geste le plus important jamais fait dans l’histoire du monde ». Le lendemain matin, D. Trump regarde Fox&Friends et écoute ce qui se dit, quoi que ce soit et ça nourrit ses pensées du jour. C’est une interaction. R. Murdoch (propriétaire de Fox News) et D. Trump sont littéralement en voie de tenter de détruire le pays et le monde. Parce qu’il ne faut jamais oublier qu’en arrière-plan, il y a une bien plus grande menace qui s’approche dangereusement pendant que D. Trump mène la marche vers cette destruction.

Et il a de l’aide. Au sud de notre hémisphère, un autre écervelé, Jaïr Bolsonaro, tente de le battre dans la course au pire criminel de la planète. Il dit aux Brésiliens.nes : « Ce n’est rien. Ce n’est qu’un rhume. Les Brésiliens.nes n’attrapent pas les virus. Nous y sommes immunisés.es ». Son ministre de la santé, d’autres fonctionnaires et élus.es tentent de le mettre en garde en insistant : « Écoutez, c’est vraiment sérieux ». Heureusement, la plupart des gouverneurs l’ignorent. Alors que le Brésil fait face à une terrible crise, au point où, par exemple, dans les favélas, ces misérables bidonvilles de Rio le gouvernement ne fait rien d’autre que d’imposer des restrictions majeures, et ce, dans la mesure où c’est possible dans ces terribles conditions. Les gangs criminels y font la loi ; ils torturent la population et tentent maintenant d’imposer les directives sanitaires. Les indigènes sont au bord d’un génocide virtuel, mais ça ne dérange pas J. Bolsonaro. Il pense qu’ils ne devraient pas être là de toute façon. Et pendant ce temps des scientifiques publient des articles démontrant que, après que l’Amazonie ait été un puits de carbone, d’ici 15 ans elle deviendra une émettrice nette de GES. C’est dévastateur pour le Brésil et franchement pour le monde entier.

Nous sommes donc le colosse du nord comme on l’appelle, dans les mains de sociopathes, faisant tout ce qu’il faut pour faire mal au pays et au monde. Et le colosse du sud, à sa manière, fait la même chose. Je suis ça de près parce que mon épouse Valeria est brésilienne et me tient à jour sur ce qui se passe au Brésil et c’est extrêmement choquant à voir.

Mais pendant ce temps, d’autres pays agissent de façon plus raisonnable. Dès le départ, autour de la Chine, malgré les renseignements qui mettaient en doute l’exactitude de ses données publiques, les pays périphériques, Taïwan, la Corée du sud et Singapore ont commencé à réagir avec efficacité et pour certains, la situation est sous contrôle. Il semble que la Nouvelle- Zélande ait réussi à se débarrasser du virus presque complètement après avoir, dès le début, imposé le confinement. Elle semble arriver à la fin. Dans une grande partie de l’Europe, dans les pays les mieux organisés, les choses ont été prises en mains correctement. C’est très frappant. Il serait intéressant que les Américains.es comparent l’attitude sobre de la Chancelière Merkel en Allemagne (avec celle de leur Président). Elle se fie aux faits et s’adresse aux Allemands.es pour décrire ce qui se passe exactement et ce qui est fait.

A.G. : Noam, (….) qu’est-ce qui vous donne de l’espoir ?


N.C. : Je dois dire que j’observe un régime strict parce que ma femme en a pris la charge et j’obéis. Nous sommes confinés.

Mais ce qui me donne espoir, ce sont les actions que plusieurs groupes populaires entreprennent partout dans le monde. Ils génèrent des situations inspirantes. Par exemple, les médecins et les infirmiers.ères qui travaillent au-delà de leur pratique habituelle, dans des conditions extrêmement dangereuses. Particulièrement aux États-Unis où le minimum de protection manque et où il leur faut décider qui vivra et qui mourra. C’est abominable, mais ils le font. C’est aussi un hommage à l’esprit humain et à ses ressources, un modèle pour ce qui peut être fait en lien avec les actions populaires, les avancées pour former un progressisme international. Ce sont là des signes positifs.

Si on s’arrête un peu sur l’histoire récente, il y a eu des moments qui ont paru désespérés, sans espoir du tout. Je peux me tourner vers mon enfance, dans les années 1930 et début 1940. La peste nazie semblait inexorable ; elle allait de victoire en victoire. Il semblait bien que rien ni personne ne pouvait l’arrêter. C’était le pire moment de l’histoire humaine, mais le vent a tourné. Je ne le savais pas auparavant. Même que les planificateurs.trices américains.es s’attendaient à ce qu’après la guerre, la division du monde soit entre les États-Unis et l’Allemagne nazie jusqu’à l’Asie de l’est. Une idée horrifiante. On a surmonté cela. Il y a eu d’autres situations sérieuses. Prenons le mouvement pour les droits civiques. Les jeunes combattants.es pour la liberté s’en vont en Alabama tenter de convaincre les fermiers noirs d’aller voter, malgré les menaces, de sérieuses menaces de mort et elles s’adressaient aussi à leur groupe. Ce sont là quelques exemples de ce que les humains.es sont capables de faire et ont fait. Nous en voyons des indices en ce moment et c’est là que repose l’espoir.

Noam Chomsky

prof. MIT

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