Bien que le Nigeria soit le premier pays africain exportateur de pétrole, les populations devraient payer le prix fort et ne subir que les conséquences néfastes de la pollution et de la corruption liées à l’extraction de l’or noir.
Nigéria, un géant africain
Une attaque récurrente
Déjà en 1999, alors que le pays sortait d’une dictature militaire particulièrement féroce, les premières actions du gouvernement civil furent de tenter d’augmenter les prix du carburant, occasionnant ainsi de fortes mobilisations populaires. Depuis cette date, et par 19 fois, la bourgeoisie nigériane essaiera d’imposer ces attaques avec une réussite partielle en 2007 où le diesel et le kérosène seront dérégulés, aboutissant aux prix les plus élevés du continent africain.
La classe dirigeante ne s’est pas embarrassée du respect de la Loi, ainsi elle a mis de côté le Petroleum Products Pricing Regulatory Agency (PPPRA) dont la direction est assurée par des dirigeants du secteur pétrolier, des représentants du gouvernement, mais aussi des organisations syndicales qui sont censés être l’organisme qui gère les produits pétroliers et la fixation des prix.
Un déluge de mensonge
En fait parler de subvention est, au pire, un mensonge au mieux un abus de langage. En effet, le Nigeria garde 445.000 barils / jours en plus des 2.5 millions de barils produit par jour pour sa consommation domestique. 170.000 barils sont raffinés sur place, (80.000 barils pour la raffinerie de Warri et 90.000 pour celle de Port Harcourt). Le reste est raffiné à l’extérieur du pays pour être ensuite réimporté. Dans le premier cas, celui du traitement domestique sur place, le prix vendu compense très largement les frais de raffinage, en effet il est estimé à 34 nairas[1]. Pour le second cas les estimations sont de 44 nairas avec un raffinage de très mauvaise qualité assuré, entre autre, par la société Trafigura qui s’est illustrée en déchargeant des déchets toxiques à Abidjan en Côte d’Ivoire. En fait le gouvernement, pour fixer le prix à la pompe, se réfère au prix de l’essence importé en oubliant de déduire la somme reçue lors de l’exportation du baril de brut qui a servi au raffinement de cette essence.
Trois semaines avant l’annonce de cette augmentation, lors de son voyage au Nigeria, Christine Lagarde, directrice du FMI avait intimé l’ordre au gouvernement nigérian de réduire les dépenses de l’Etat. C’est dans ce cadre que le gouvernement, en parlant de suppression de la subvention, ne vise en fait qu’à intégrer les 445.000 barils dans la production OPEP et vendre le prix de l’essence à un niveau identique à n’importe quel pays qui importerait de l’essence sans fournir les barils de pétrole brut.
Evidement en termes de communication il est plus facile de dire que l’on supprime les subventions au fuel plutôt que de dire que, sous l’injonction du FMI, on augmente de plus de 100% les prix. Autrement dit, la classe dirigeante nigériane tente de s’emparer des 445.000 barils destinés à la population pour les vendre à l’extérieur et faire un maximum de profit.
Le Goodluck de la bourgeoisie
Les capitalistes nigérians n’ont eu de cesse de brader les richesses et les entreprises aux multinationales et veulent déréguler complètement le secteur pétrolier en privatisant la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC).
Jonathan Goodluck se justifie en expliquant qu’il s’agit, pour l’état, de faire des réserves financières. Mais faire des réserves pour quoi ? Déjà l’Etat a subventionné, à coup de milliards de nairas, les principales banques du pays sans rien exiger en retour. Pour mieux faire passer la pilule, les dirigeants tentent de faire croire que les sommes récupérées sur la population serviront à investir dans les infrastructures du pays. Ils ont déjà fait le même coup en 2007 lors de l’augmentation du diesel sans que personne n’ait rien vu de concret. Les infrastructures du pays sont complètement laissées à l’abandon depuis des décennies malgré les richesses énormes du pays dues à la manne pétrolière. Pourquoi aujourd’hui cela changerait-il ? A titre d’exemple pour Lagos, une ville qui compte plus de 15 millions d’habitants, il n’y a même pas un réseau ferré, obligeant ainsi les citadins de conditions modestes à utiliser taxis ou minibus.
Si le pays est dans un tel état c’est du fait d’une politique d’alliance entre les élites nigérianes et les dirigeants des multinationales qui prennent des mesures délétères pour le pays, pourvu que cela leur rapporte. C’est ainsi que des fortunes se font à coup de surfacturations d’importation ou d’augmentations volontaires de surestarie.
Depuis 1999, malgré la délivrance de 19 licences pour la construction de raffineries qui font cruellement défaut au pays, aucune n’a vu le jour car les multinationales empêchent l’édifice de toutes usines de transformation du pétrole qui pourraient les concurrencer.
Pendant des décennies, le gouvernement a fermé les yeux sur la pollution liée à l’extraction du pétrole. Dans le delta du Niger, l’eau n’est plus potable, les activités agricoles sont condamnées, l’air est devenu irrespirable du fait des torches et les populations ne peuvent que voir leur région se détruire ou bien se réfugier dans des activités mafieuses et de piraterie pour survivre.
La riposte des populations
Dès l’annonce de cette mesure, des milliers de nigérians sont descendus spontanément dans la rue dans les principales villes du pays Kano, Ilorin, Kogi, mais aussi Abuja, la capitale politique et Lagos, le centre économique du pays. Ils ont exprimés un ras le bol de ces gouvernements corrompus qui se succèdent, mais mènent la même politique : celle de s’enrichir aux dépens des populations. L’essence ne sert pas uniquement pour les véhicules, mais aussi aux générateurs pour produire l’électricité du réseau totalement déficient du fait de l’incurie des dirigeants. Les nigérians considèrent que la seule retombée positive, de la manne pétrolière est de bénéficier d’un prix relativement bas pour l’essence.
Le doublement du prix de l’essence ne va pas avoir seulement un impact sur les transports, mais aussi sur les produits de consommation courante du fait de l’augmentation des coûts de production et d’acheminement. Une situation impossible pour 70% des 160 millions d’habitants qui vivent avec moins de deux dollars par jour.
Au Nigeria les deux principales organisations syndicales, le Trade Union Congress (TUC) et le Nigerian Labour Congress (NLC) sont puissantes, mais leur talon d’Achille est leur Direction particulièrement corrompue qui évite, au maximum, les affrontements décisifs avec la bourgeoisie. Les organisations syndicales, quant elles ont défié le pouvoir de la bourgeoisie, l’ont toujours fait sous la pression des mobilisations des masses.
Aussi les organisations de la gauche radicale, si elles sont faibles, n’en sont pas moins actives et mettent en avant la nécessité de l’auto-organisation et du contrôle des luttes par la base. C’est dans ce cadre, que s’est créé le Joint Action Front, qui est vu comme le troisième partenaire à coté deux organisations syndicales pour mener la lutte.
A travers des revendications comme la nationalisation, le contrôle des travailleurs et des consommateurs sur l’industrie pétrolière, la gauche radicale met en avant des perspectives afin de créer une alternative à la politique de pillage des multinationales occidentales avec la complicité des élites du pays.
Les mobilisations ont été telles, que gouvernement et bureaucratie syndicale se sont mis d’accord pour enrayer une situation qui risquait de leur échapper. Pendant que les Directions syndicales appelaient à la fin des manifestations et des grèves, Jonathan Goodluck fixait le prix du litre d’essence à 97 nairas. En parallèle l’armée investissait les principaux centres urbains et empêchait violement tous rassemblements. L’heure est maintenant au bilan et à la construction d’organisation réellement au service des travailleurs et des populations.
* Paru dans Afriques en lutte.