C’est Laetitia Carreras, ethnologue et chercheuse féministe, permanente du Centre de Contacts Suisse-Immigrés, qui dirige cet atelier. Elle est flanquée de Dorkas et de Silvia, qui prendront la parole pour dénoncer la situation intenable de milliers de migrantes sans permis de séjour travaillant comme employées de maison. En introduction, Laetitia analyse la nature du travail domestique. Inégalement reparti dans le couple, il repose essentiellement sur les femmes, qui ont du mal à concilier son accomplissement et la garde des enfants avec l’exercice d’une activité professionnelle ; vouloir participer à la vie politique ou associative tient de la gageure. Dès lors, elles sont de plus en plus nombreuses à avoir besoin d’une aide extra-familiale, service que des femmes migrantes leur proposent. Celles-ci allègent le quotidien de la femme vivant en couple et remplacent la chef de famille monoparentale absente pour son travail. D’autant plus que l’extension de la contrainte à la « flexibilité » (temps partiel à taux d’occupation et horaires variables, travail à l’appel) rend impossible aux salariées de s’organiser à l’avance pour la garde des enfants notamment.
Fées de maison sollicitées pour pallier la défaillance des services publics
La demande d’employées domestiques ne peut qu’augmenter, tant que les services publics victimes de rigueur budgétaire sont de moins en moins en mesure de répondre aux besoins. Les personnes âgées et malades nécessitant des soins à domicile sont particulièrement touchées. Les places disponibles en EMS ne couvrant de loin pas les demandes d’admission, les recalés sont condamnés à vivre isolés, alors qu’ils auraient souhaité un accompagnement. Les convalescents ou malades ayant besoin d’aide et de soins à domicile n’ont droit qu’à des prestations bien inventoriées, minutées selon les consignes de la Fédération suisse d’aide à domicile, qui enjoignent aux intervenants d’être expéditifs. Quant aux parents ayant des enfants en âge préscolaire, c’est la croix et la bannière de les faire garder, puisque le nombre de places dans les institutions de la petite enfance reste insuffisant. Actuellement, plus de 40’000 femmes sans statut légal en Suisse travaillent chez des particuliers, surtout dans les régions urbaines, dont quelques 6’000 à 8’000 sur le canton de Genève. Ce secteur constitue le plus grand pourvoyeur de travail pour les personnes sans statut légal de séjour.
Le travail particulier de l’employée de maison
Après avoir analysé la nature du travail domestique, Laetitia Carreras évoque les particularités que présente son accomplissement par des immigrées. Ces employées ont une pluralité de lieux de travail, d’employeurs et de conditions d’engagement et de rémunération. D’un ménage à l’autre, l’occupation peut varier de quelques heures hebdomadaires, payées à l’heure, au plein-temps avec rémunération mensualisée. Que certains employeurs offrent gîte et nourriture est-ce un avantage d’économie sur le loyer ou une contrainte ? Tout dépend...
Qui sont ces fées venues d’ailleurs ? On ne naît pas femme de ménage, on le devient. Laetitia analyse le comment. Les femmes qui s’annoncent pour aider aux ménages d’autrui sont souvent munies d’une bonne formation professionnelle, ont fui leur pays d’origine par nécessité économique et sont arrivées en Suisse avec l’espoir de pouvoir exercer dans ce pays prospère le métier appris. Ne parlant pas le français, sans permis de séjour, elles découvrent rapidement qu’elles seront confinées à des emplois subalternes, très souvent comme aides domestiques.
Témoignages
L’animatrice de l’atelier passe la parole à Dorkas, aux épaules fortes et au regard pétillant. La Sud-américaine raconte ses premières journées de travail, l’émerveillement devant un aspirateur, l’apprentissage du lave-vaisselle et du lave-linge. Elle ne lit pas son texte mais le dit, la difficulté de bien articuler en français rendant son intervention d’autant plus émouvante. La militante du réseau de résistance et de la campagne Aucune employée de maison n’est illégale (AEMI) captive son public.
Silvia, menue, au physique européen, d’une élégance innée, est arrivée en Suisse alors qu’elle était adolescente, il y a une vingtaine d’années. Maintenant qu’elle a pu régulariser sa situation et qu’elle a moins de contraintes matérielles, la Bolivienne, ancienne employée de maison, milite pour ses compatriotes (association Bolivia 9) et dans le cadre de l’AEMI, mais aussi pour l’ensemble des travailleuses et travailleurs sans autorisation.
Les témoignages de ces deux Latino-américaines aux parcours différents, coïncident sur bien de points. Tant Dorkas que Silvia réfutent le terme de travailleuse au noir, puisqu’elles n’ont rien à cacher. Elles ne veulent pas être traitées de sans-papiers, puisqu’elles sont en possession d’une carte d’identité, d’un abonnement des transports publics, d’une carte de membre d’association de bienfaisance. Le seul papier qui manque est l’autorisation légale de séjour, que les autorités leur refusent alors qu’elles accomplissent un travail socialement utile et que leurs services sont sollicités. Ce refus de statut légal les rend encore plus vulnérables et favorise une profusion d’injustices et de discriminations : salaire indécent, chantage à la dénonciation, violence, risque de harcèlement sexuel voire de viol, sans parler de la difficulté de faire valoir ses droits devant les tribunaux ni de l’insécurité permanente liée à la peur d’être expulsée. Elles demandent la normalisation du statut de celles qui se trouvent déjà en Suisse et un assouplissement des contraintes légales, afin que les expatriées, majoritairement des femmes, puissent garder les liens avec leurs familles restées dans l’hémisphère Sud. Elles voudraient voir leurs enfants grandir, assister à leur confirmation, être présentes lors d’événements familiaux importants, bref continuer à être un membre de famille et ne pas être considérée comme la vache à traire installée en Europe. A long terme, elles aimeraient faire sauter les barrières légales pour l’ensemble des travailleurs migrants.