Deuxième manche
Entre-temps, la Russie, la Chine, le Brésil et quelques autres ont joué leurs cartes pour verrouiller le Conseil de sécurité en se faisant le relais de ce que pense la grande majorité des États-membres de l’ONU (sauf le Canada et Israël). Plusieurs ont souligné, tel l’envoyé spécial de l’ONU en Syrie, Lakhdar Brahimi, que toute intervention dans le consentement du Conseil de sécurité, serait un « crime de guerre », en violation directe avec la Charte de l’ONU. Tout cela a donné l’opportunité à la Russie de bien manœuvrer, en concertation avec Damas, en proposant le démantèlement de l’armement chimique syrien. En ce qui concerne l’intervention, c’est remis à la semaine des quatre jeudis. C’est une grosse victoire pour la Russie (et ses alliés « émergents) et une grosse défaite pour l’impérialisme américain.
Pas de perspective de paix
Ceux qui pensent que cela va s’arrêter là rêvent cependant en couleur. À court terme, Washington et ses alliés-subalternes vont tenter de saboter le processus de neutralisation des armes chimiques. Ils vont accélérer l’armement des rebelles. Néanmoins, tout cela mis ensemble n’est pas assez pour leur redonner l’ascendant dans la confrontation. La guerre en Syrie, de même que la crise dans cet « arc-en-crise » qui traverse l’Asie et l’Afrique, est l’épicentre d’une lutte à finir où les États-Unis ne peuvent pas se permettre de perdre mais où en même temps, ils sont incapables de gagner.
Les rebelles
Un facteur imprévisible est ce que feront les rebelles. Avec des missiles et les systèmes d’information en temps réel fournis par les États-Unis, ils peuvent contrer l’aviation et les blindés et donc consolider leur emprise sur quelques territoires. Sans une intervention aérienne massive des États-Unis par contre, il est improbable qu’ils réussissent à renverser Assad et dans ce sens, le report indéfini de l’intervention militaire leur est très dommageable. En dépit de leurs atouts (bases-arrières en Turquie et en Jordanie, afflux constant de Jihadistes payés par l’Arabie saoudite), les rebelles sont sévèrement handicapés par l’absence d’un programme politique et d’une force militaire unifiée, d’où leur incapacité à empêcher les massacres et exactions sectaires commises par la rébellion. Sans pouvoir gagner, ils peuvent continuer la résistance pour une période indéfinie.
Le régime syrien
Ce gouvernement est certes le bénéficiaire des derniers développements, mais il ne peut pas être trop triomphaliste. Il se retrouve toujours contre une majorité de la population. Il s’accroche à un pouvoir de plus en plus enfermé dans une logique sectaire et communautaire, même si l’armée tient le coup (avec ses troupes d’élites provenant de la minorité alaouite et des combattants du Hezbollah). Bref, Assad peut empêcher le collapse, pas plus. Entre-temps, l’infrastructure du pays est détruite, l’économie est paralysée et la population fuit en grand nombre. Assad se trouve à tête d’une efficace bande armée, mais pas vraiment d’un État.
Les syndromes morbides
Gramsci disait que l’histoire se caractérise parfois par de grandes impasses. La volonté de changement est là, mais pour toutes sortes de raisons, le « nouveau » n’arrive pas à naître. Et le « vieux », bien qu’affaibli et déclinant, ne se résigne pas à mourir. On se retrouve dans des face-à-face épuisants et dans ces contextes ajoutait Gramsci, on observe des « syndromes morbides » : violences, prédations, génocides, retour de l’idéologie tout-le-monde-contre-tout-le-monde, etc. On peut avoir l’impression que notre monde ressemble à cela.