Édition du 19 novembre 2024

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Afrique

Mobilisation générale pour finaliser l’affaire Sankara

Les membres de la CIJS (Campagne Internationale Justice pour Sankara) appellent à la mobilisation générale pour la réouverture et la finalisation de l’affaire Sankara. Entamée en 1997, la Campagne internationale a épuisé tous les recours juridiques au Burkina et avait requis le comité des droits de l’homme de l’ONU, avant de revenir au Burkina exiger l’identification de la tombe présumée. Le 30 avril 2014, notre demande d’identification des empreintes génétiques a été rejetée, le tribunal se déclarant incompétent.

La CIJS a salué la déclaration du Président Kafando lors de son investiture :
« Au nom de la réconciliation, j’ai aussi décidé, par le fait du Prince, que les investigations pour identifier les restes du président Sankara ne seront plus assujetties à une décision de justice, mais seront du ressort du gouvernement, aujourd’hui même, à cet instant même cette autorisation est accordée ».

La CIJS a accueilli favorablement le fait que le Président ait ensuite annoncé qu’il mettait les moyens de l’État à la disposition de la famille pour l’identification de la tombe de Thomas Sankara. Ces investigations ne doivent pas se limiter à la simple identification des restes du Président Sankara, mais également aux circonstances de son assassinat et celle de ses camarades, afin que le fardeau des preuves ne soit d’aucune façon entaché d’irrégularités.

Mais, dans une entrevue récente publiée, dont nous n’avons pas pu vérifier l’authenticité, le président Kafando aurait ajouté[1]

« Nous avons jugé, que dans sa forme, le fait que le gouvernement précédent n’ait pas accepté que la famille du président Thomas Sankara aille faire des investigations sur la tombe n’est pas du tout normal. Nous sommes en Afrique où nous respectons les morts. S’il y a des doutes quant à la reconnaissance du corps d’un défunt, parce qu’on les avait enterrés de façon précipitée, si la famille demande à savoir si c’est bien le corps de Sankara qui est là, nous nous ne voyons pas pourquoi on ne leur a pas donné cette autorisation. Donc, moi je dis qu’il faut que la famille procède à ces travaux-là. Elle n’avait pas pu le faire faute de moyens. Nous avons décidé de leur donner les moyens et c’est ce que j’ai annoncé. Concernant le fond qui porte sur l’assassinat du président Sankara, ce sera réglé plus tard. D’ailleurs la famille a porté plainte contre l’État.

 Lorsque vous dites que le problème de fond sera réglé plus tard, vous voulez dire, après la transition ?

Comme vous le savez, les problèmes de justice ne sont pas toujours faciles à régler. Vous avez des affaires qui durent dix ans. Donc nous ne pouvons pas présager de la durée de cette affaire.

Il avait été question de poursuivre le président Compaoré. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Il y a eu une conférence de presse au cours de laquelle cette question avait été posée au Premier ministre. Et il a eu à la dire. Mais j’ai corrigé un peu quand j’étais au sommet de l’OIF à Dakar. C’est peut-être un excès de langage. Bon, la poursuite du président Compaoré n’est pas notre préoccupation et notre priorité.

Au demeurant, le président Compaoré jouit d’une amnistie qui avait été votée par les députés, concernant tous les anciens présidents. Donc, si on se réfère à ça, je peux vous dire que poursuivre le président Compaoré, demander son extradition, n’est pas dans l’ordre de nos priorités.

La CIJS considère qu’il y a plusieurs passages ambigus dans cette entrevue qui méritent clarification. Tout d’abord la famille n’a jamais porté plainte contre l’État, mais bien contre X dans l’assassinat du président Sankara et faux en écriture juridique (l’odieux certificat de décès de mort naturelle). Ensuite, il n’y a jamais été question d’un manque de moyens, ni de l’État ni de la famille, en ce qui a trait à l’identification de la tombe présumée. L’État partie n’a juste jamais apporté une explication sur les circonstances de ces meurtres et a toujours empêché que soient identifiés les restes du président Sankara, y compris lorsque les lieux ont été profanés. Le président Kafando siégeait à New York lorsque le dossier Sankara y a été transféré de Genève par l’ONU. Il n’ignore donc pas ces faits et ne peut sous-estimer le temps écoulé depuis 19 ans dans cette affaire de justice qui n’a que trop duré. Concernant Blaise Compaoré, ancien ministre de la justice durant l’assassinat de Thomas Sankara et qui deviendra président du Faso, il a su instrumentaliser autant le législatif que le judiciaire pour ne pas répondre de ses actes. Blaise Compaoré était aussi Président du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). L’insurrection populaire l’a renversé autant que les députés qui lui avaient concocté l’immunité injustifiée et s’apprêtaient à cautionner sa prorogation de mandat présidentiel. Cette volonté populaire, balayant les manigances institutionnelles de l’ancien régime, légitime aussi l’actuel régime de la transition. L’ONU a de surcroit bien précisé qu’il n’y a pas prescription dans cette affaire et Compaoré demeure, à l’instar de bien d’autres, un témoin essentiel et justiciable.

C’est pourquoi la CIJS, par lettre adressée de ses avocats, vient de solliciter auprès de la ministre de la Justice de la transition la poursuite du dossier Sankara. La ministre de la Justice et Garde des Sceaux, a l’autorité de requérir du Procureur général la réouverture de ce dossier. Nous lui avons rappelé notre requête du 19 juin 2001 adressée en son temps au ministre de la défense et reçue en son cabinet sous le numéro 2757 du 20 juin 2001 ; celle du 22 juin 2001 déposée même jour sous le numéro 353 au Procureur Général et enfin celle du 25 juin 2001 déposée le 02 juillet 2001 au Procureur du Faso. Les avocats ont aussi réitéré que le Comité des Droits de l’Homme de l’ONU avait considéré que le procureur du Faso avait arrêté à tort la procédure qu’ils avaient engagée et qu’il avait donc statué :

« La famille de Thomas SANKARA a le droit de connaître les circonstances de sa mort (…) Le Comité considère que le refus de mener une enquête sur la mort de Thomas SANKARA, la non-reconnaissance officielle du lieu de sa dépouille, et la non-rectification de l’acte de décès constituent un traitement inhumain à l’égard de Mme SANKARA et ses fils, contraire à l’article 7 du Pacte ». « En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer un recours utile et effectif à Mme SANKARA et ses fils consistant notamment en une reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas SANKARA, et une indemnisation pour l’angoisse que la famille a subie ».« L’État partie n’a pu expliquer les retards en question et sur ce point, le Comité considère que, contrairement aux arguments de L’État partie, aucune prescription ne saurait rendre caduque » cette affaire.

Nos avocats ont ainsi offert leur entière collaboration aux nouvelles autorités judiciaires, pour trouver ensemble un laboratoire notoirement intègre pour pratiquer l’expertise.

Afin que la page de l’impunité soit définitivement tournée et la réconciliation scellée, identifier la tombe du président rime avec l’identification et la poursuite de ses assassins.

La CIJS escompte que le pouvoir de transition saura faire preuve d’impartialité pour achever le dossier Sankara.

La CIJS enjoint le peuple du Burkina à encadrer cette lutte contre l’impunité.

La CIJS appelle donc à la mobilisation et la solidarité internationale et sollicite, pour la première fois en vingt ans, le soutien matériel de toutes les bonnes volontés pour l’assister aux frais logistiques de déplacements et de sécurité de ses avocats internationaux qui ont toujours plaidé et plaideront pro bono dans ce marathon judiciaire.

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