Édition du 17 décembre 2024

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États-Unis

Mieux connaitre le Democratic National Commitee en analysant la défaite de Keith Allison à sa présidence

Les élites du Parti démocrate n’acceptent tout simplement pas de devoir briser ses liens avec la haute finance et en développer avec les militants-es de la base

John Nicholsi, The Nation, 1er mars 2017
Traduction : Alexandra Cyr

Ce qu’il y a de plus significatif dans les résultats de l’élection du 25 février dernier au Parti démocrate n’est pas que l’ancien dirigeant syndical Tom Perez ait été élu à sa présidence ; c’était prévisible à tous égards. Ce qu’il y a eu de plus significatif est arrivé à Middletown au Delaware où l’avocate environnementaliste, Stephanie Hansen, a gagné un siège avec 58 % du vote dans une élection serrée. Ce gain donne aux Démocrates ce qu’ils n’ont que dans cinq autres États : les pleins pouvoirs à la Chambre, au Sénat et au poste de gouverneurs-es. En d’autres mots, ils peuvent gouverner.

L’objectif des partis politiques est de gagner les élections. D’en gagner des milliers dans des communautés comme Middletown, de rassembler les gens qui partagent les mêmes valeurs et qui prennent le contrôle des conseils de ville, des législatures (des États) et du Congrès. Cela s’oppose aux pratiques de ceux et celles qui financent les campagnes. Au fil du temps, les initiés-es au sein du Parti démocrate ont complètement perdu de vue cette notion. Les présidentielles les ont obsédés-es à un point tel qu’ils et elles se sont dit qu’il serait possible de survivre sans faire élire de législateurs-trices, des gouverneurs-es, des membres du Congrès et de Sénateurs-trices. Ces partisans-es démocrates se sont imaginés-es que tout serait parfait si le Parti détenait la Présidence. Les médias qui sont de plus en plus centrés sur Washington ont renforcé cette fantaisie. Mme Clinton a perdu et, tout-à-coup, les Démocrates se sont rendus-es compte que leur position à la Chambre était la plus faible depuis 1928 et depuis 1925 dans les États.

La vérité c’est que les Démocrates sont en crise depuis bien longtemps. La perte de la Présidence n’a rien d’anodin comme Donald Trump nous le rappelle tous les jours. Mais ce qui compte le plus, c’est la décomposition d’un parti qui a été assez solide au Congrès pour tempérer Richard Nixon et Ronald Reagan, alors que maintenant il se fait bousculer par Paul Ryan (président républicain de la Chambre) et par Mitch McConnell (Leader de la majorité républicaine au Sénat). Les Démocrates, qui ont déjà eu le contrôle des États, ne détiennent maintenant que 16 postes de gouverneurs et 31 des 98 parlements (des États). Une toute nouvelle génération d’ultra partisans-es républicains-es profitent de leur domination pour bloquer les pouvoirs électoraux en remaniant finement les cartes électorales en leur faveur, en adoptant des lois pour exiger certains types de cartes d’identité pour voter et en faisant main basse sur les droits des travailleurs-euses.

Peu importe qui a gagné la compétition entre Ms. Perez et Ellison au poste de président du Comité national démocrate ; le seul travail du nouveau président sera de mettre fin à cette longue dégringolade et il ne s’agit pas des calculs de quelques partisans-es fanatiques. C’est une nécessité absolue si les États-Unis veulent défaire, non seulement Trump et le « trumpisme », mais surtout le programme d’inégalités et d’injustices que les conservateurs-trices portent en ce moment.

Keith Ellison avait la vision la plus solide sur la nécessité de réunir « les énergies démontrées » dans la résistance à D. Trump, et les « énergies électorales » que les Démocrates devront générer (pour l’élection) de 2018. Son approche touchait l’aile gauche, le financement par les petits-es contributeurs-trices, l’énergie des jeunes partisans-es de Bernie Sanders qu’il a appuyé. M. Perez et la majorité des élites du Parti s’y sont opposés. Dan Cantor, du Working Family Party, décrit la défaite de M. Ellison par une faible marge comme une « opportunité manquée » et c’est un fait. Mais il faut comprendre que la majorité de ce comité était d’accord pour laisser passer cette opportunité comme ils en ont manqué tant d’autres au fil des ans.

Le partisans-es de M. Ellison, qui est musulman, ont dû faire face à une tentative sidérante de faire passer ce représentant au Congrès pour un antisémite ; ce qui fut facilement combattu. Sa défaite a plus à voir avec le refus des Démocrates de l’intérieur de reconnaître que leur Parti doit sortir de Washington, avoir une vraie stratégie pour les cinquante états, briser ses liens avec la haute finance, favoriser le financement par de petits-es contributeurs-trices, s’allier avec les groupes militants à la base et abandonner la « troisième voie » et les compromis qu’elle suppose ; celle-ci a transformé bien des Démocrates en commissionnaires de Wall Street.

Est-ce que le Comité national démocrate est donc incorrigible ? La réponse à cette question viendra de Ms Perez et Ellison. M. Perez était à gauche de l’administration Obama. Il était en faveur des syndicats, du salaire minimum à 15 $ de l’heure, pour la diversité et les droits des immigrants-es. Il a immédiatement choisi M. Ellison comme son porte-parole.
On peut espérer que cette association, s’il s’agit d’une véritable alliance et si M. Perez actualise les « changements culturels spectaculaires » qu’il a promis (donne des résultats positifs). Au cœur de ces changements, il y a la conviction que pour avancer électoralement, les partisans-es ne doivent pas simplement résister à D. Trump. Il faut aussi résister à l’idée du choix du moins pire qui n’inspire pas les électeurs-trices et les oblige à se demander si les Démocrates ont à cœur de défendre quelque chose.

Ils pourraient prendre conseil auprès de la Sénatrice Hansen. Lors de la Marche des femmes le 21 janvier dernier, elle a déclenché une campagne de résistance. Elle a vanté tous les engagements, ceux du mouvement ouvrier, des environnementalistes et des groupes LGBT. Elle a pressé les électeurs-trices de s’opposer à la nomination de Mme Betsy DeVos au poste de Secrétaire à l’éducation en empêchant les « Républicains-tous-toutes-du-même-avis » de prendre le contrôle du Sénat. Les militants-es l’ont entendue. Le porte-à-porte qui traditionnellement recrute 25 personnes en a inscrit 250.

L’idée que « toute politique est locale » n’a sans doute jamais été vraie ; c’est encore moins vrai aujourd’hui. Les partis gagnent s’ils offrent à l’électorat des positions qu’ils défendent clairement, non seulement pour le simple objectif de gagner, mais pour représenter et défendre une série de valeurs bien définies. Les Démocrates peuvent devenir un parti gagnant, mais il faudra un « changement culturel spectaculaire » pour y arriver. Si Tom Perez ne parvient pas à accomplir ce programme, il fera perdre son parti et la nation.

1. J. Nichols est le correspondant pour les questions nationales de The Nation. Il est auteur avec Robert W. McChesney de People Get Ready : The Fight Against a Jobless Economy and a Citizenless Democracy, publié en mars 2016 par Nation Books.

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