Kurt Hackbarth Colin Moders
Le vendredi 19 avril 2019, un groupe de commandos armés a fait irruption dans un restaurant de la ville de Minatitlán, Veracruz, où un anniversaire était en cours. Sous le prétexte de chercher un propriétaire de bar connu sous le nom de « La Becky » – une femme transsexuelle qui aurait trahi le gand des Los Zetas au profit du cartel rival Jalisco Nueva Generación – les commandos ont fauché quatorze des fêtards, y compris un bébé d’un an.
Puis, le 8 mai, des coups de feu ont éclaté sur la place centrale de Cuernavaca, tuant deux membres du syndicat de la Confédération des travailleurs mexicains (CTM), qui accompagnaient une manifestation de vendeurs de rue. L’attaque s’est déroulée en plein jour, dans une zone de forte présence policière à seulement quelques mètres du palais du gouvernement où se réunissaient des membres du cabinet d’État. Un cameraman de presse a également été blessé par balle.
La violence en tant qu’art politique
Entretemps AMLO continue de dominer le paysage politique mexicain. Malgré les baisses signalées par certaines sociétés de vote, sa cote de popularité reste élevée . Les candidats de MORENA semblent prêts à remporter la victoire lors des prochaines élections aux postes de gouverneur à Puebla et en Basse-Californie . Lors des événements publics, événement après événement public, AMLO est acclamé par la foule.
L’opposition, quant à elle, est prosternée. Le PRI, le vampire soutenu depuis des décennies par sa symbiose parasitaire avec le gouvernement, contracte des emprunts pour rester à flot tout en admettant avoir gonflé ses listes électorales . Le PAN conservateur est divisé entre ceux qui restent fidèles à la marque d’origine et les partisans de l’ancien président Felipe Calderón. Aussi improbable que cela ne paraisse, c’est en fait un bon moment pour être à gauche au Mexique.
Et pourtant, la violence en cours – qui n’a fait que s’intensifier sous la nouvelle administration d’AMLO – rappelle chaque jour à quelle vitesse les choses peuvent tourner. Au-delà de son importance en tant que question de sécurité publique, la violence est aussi une stratégie politique conçue pour décourager la participation politique, alimentant les aspirations de « maintien de l’ordre » au détriment de ceux qui sont actuellement aux commandes. Selon le chroniqueur Julio López Hernández du journal La Jornada, « le processus complexe de mise en place d’un gouvernement efficace avec un soutien populaire fort génère des réactions de toutes sortes, y compris criminelles. Semer la peur et générer une déstabilisation ont été les formules classiques de ceux qui cherchent à reprendre des positions et à renverser leurs adversaires ».
Aucune démocratie autorisée
En plus de la recrudescence de la violence, les opposants d’AMLO exploitent également un ralentissement pour le premier trimestre du PIB. Dans la longue tradition de gouvernements sociaux-démocrates respectant les règles, AMLO avait promis lors de sa campagne, de porter le taux de croissance à 4% par an. Autrement, la presse financière internationale mène une campagne. Dans le Wall Street Journal du 28 avril, Mary Anastasia O’Grady, ancienne analyste de Merrill Lynch accuse AMLO de se voir comme le « sauveur mexicain qui veut transformer radicalement le pays et se venger des nantis ».
Le Financial Times de Londres (5 mai) estime le président du Mexique risque de nuire à l’économie, notamment par d’interminables consultations populaires « pour justifier des mesures controversées, telles que l’annulation d’un aéroport à moitié construit ». Et d’ajouter des menaces sur la spéculation contre le peso et le refroidissement des marchés financiers à l’endroit d’un gouvernement qui veut changer les choses.
La riposte contre un si formidable éventail de forces nécessite deux choses : une stratégie prudente et une mobilisation de masse. Si les six premiers mois sont une indication, AMLO ressemble beaucoup à un one-man-show. La stratégie du gouvernement en matière de médias repose essentiellement sur les points de presse quotidiens du président. Mais cette stratégie commence à montrer ses limites. Fait révélateur, l’homme qui maîtrise parfaitement l’organisation de masse n’a pas appelé à une seule mobilisation depuis son entrée en fonction.
Au niveau national, MORENA est aux son président, Yeidckol Polevnsky, et le président de la majorité du Sénat, Ricardo Monreal. D’une part, le conflit est le reflet de l’éternel bras de fer opposant les partis au pouvoir entre leurs machines et leur bloc au pouvoir. Mais ce problème est un problème qui perdure depuis la fondation du parti il y a cinq ans. Le grief de Povlensky, selon certaines sources, est que le parti est infiltré par des opportunistes cherchant à conserver leurs emplois.
Mais l’État n’est pas une entité neutre : l’espace de réforme qu’il offre a toujours été déterminé par ses relations avec les capitaux nationaux et étrangers. Dans son ADN est codé la sécurisation des droits juridiques et politiques des propriétaires (euphémisé comme « l’état de droit ») et la création de conditions favorables à l’accumulation de capital. Cela ne signifie pas que le gouvernement ne peut pas être forcé de faire des choses qui vont à l’encontre des intérêts du capital. Mais cela exige une évaluation sobre des forces structurelles opposées à tout projet de ce type, tant de l’intérieur de l’État lui-même (inertie bureaucratique, incompétence administrative, sabotage voilé) que de l’extérieur.
AMLO, malgré toute son énergie, son charisme et son activité frénétique, ne peut pas prendre tout seul d’assaut ce château. Le projet de la gauche mexicaine ne prospérera que si elle réussit à transformer MORENA en un véritable outil de campagne et de progression de carrière en un véritable outil d’éducation politique et de démocratie populaire.
Colin Mooers
Kurt Hackbarth
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P.-S.
Jacobin Magazine
https://jacobinmag.com/2019/05/amlo-cant-do-this-alone
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http://alter.quebec/mexique-le-dilemme-damlo/
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