Tiré du blogue de l’auteur.
"Notre mouvement constitue une partie d’une lutte mondiale qui va de la Chine à Cuba", Mehdi Ben Barka, Allocution à Rabat (20 mai 1962).
Mehdi Ben Barka est un militant marocain, figure du tiers-mondisme et du panafricanisme, chef de file du mouvement "tricontinental". Tout comme Malcolm X, Patrice Lumumba, ou Frantz Fanon, son parcours est source d’inspiration et d’espoir pour de nombreux militants du Sud.
Au cœur des mouvements de décolonisations post-seconde guerre mondiale, la pensée politique de Ben Barka ne cesse de s’élargir, de s’étoffer, de se nourrir des luttes des peuples du Sud tout en explorant les possibilités de rapprochement entre celles-ci. C’est ainsi qu’il sera amené à ne plus penser dans le seul cadre de la nation marocaine mais dans le contexte maghrébin tout entier ; puis progressivement les luttes du Maghreb dans le cadre élargi du continent africain et enfin envisager l’Afrique dans une perspective internationaliste. Ainsi, la consécration de ce parcours de pensée de Mehdi Ben Barka sera d’être la figure de proue de la « tricontinentale », qui verra officiellement le jour en 1966 à La Havane (Cuba) où 82 pays du Tiers Monde d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine seront représentés. Malheureusement, Mehdi Ben Barka ne pourra pas assister à cette conférence tricontinentale qu’il a organisé en raison de son enlèvement à Paris en 1965.
Son positionnement à gauche, dans la pensée socialiste-communiste, n’est plus à démontrer. Il est dans la droite lignée de ces militants du Sud comme Frantz Fanon, Amílcar Cabral ou Thomas Sankara, qui se sont certes inspirés des idées européennes (et européocentristes) de communisme et de socialisme mais ont su aussi les adapter aux réalités et au contexte de leur pays, de leur continent. Dans le cas de Mehdi Ben Barka, estimant que « le parti a été créé pour accomplir une tâche sociale en même temps que la tâche politique qu’il a prise à son compte », il appelle les militants à mener « des actions de secours » et à jouer « un rôle social » en construisant des crèches, des écoles, des orphelinats. L’opération « labour », d’automne 1957, est à bien des égards très proche des idées bolchéviques de Lénine. Mehdi Ben Barka définissait ainsi cette opération :
« L’opération “labour” est un élément important du programme de modification des structures de nos campagnes. Elle apporte au système traditionnel de l’agriculture ancestrale un double avantage : le tracteur et l’esprit coopératif ».
La formule rappelle celle de Lénine définissant le communisme comme « les Soviets plus l’électricité », c’est-à-dire comme une politique ne séparant pas les questions sociale, économique et politique et articulant changement social et évolution technologique. Ben Barka s’étant rendu en Chine plusieurs fois, le modèle chinois socialiste est probablement une autre source d’inspiration pour cette opération, de même que l’exemple cubain pour l’alphabétisation pour l’école marocaine.
La justesse de sa compréhension de l’impérialisme et du néocolonialisme post-indépendances est le fruit de ses années en exil aux côtés des pays du Sud. Ainsi, pour Ben Barka, le néocolonialisme n’est pas qu’un phénomène politique mais doit se comprendre dans le cadre des mutations du capitalisme occidental :
"Cette orientation [néocoloniale] n’est pas un simple choix dans le domaine de la politique extérieure ; elle est l’expression d’un changement profond dans les structures du capitalisme occidental. Du moment qu’après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe occidentale, par l’aide Marshall et une interpénétration de plus en plus grande avec l’économie américaine, s’est éloignée de la structure du XIXe siècle, pour s’adapter au capitalisme américain, il était normal qu’elle adopte également les relations des États-Unis avec le monde ; en un mot qu’elle ait aussi son « Amérique latine »"
Les concepts sont empruntés à l’analyse marxiste, l’échelle de la réflexion est mondiale et la base de la résistance est tricontinentale. C’est en comprenant que l’indépendance réelle est impossible sans élargissement à l’échelon international de la solidarité des dominés que Ben Barka prend toute la mesure de l’importance de construire un front tricontinental.
Voici un exemple des idées issues de la Tricontinentale, comprenant les propositions du leader marocain :
« Aide aux mouvements de libération nationale – notamment au mouvement palestinien ; intensification des luttes, y compris armées, sur les trois continents ; soutien à Cuba ; liquidation des bases militaires étrangères ; opposition aux armes nucléaires, à l’apartheid et à la ségrégation raciale ».
C’est précisément parce qu’il était une figure de ce front international, parce qu’il militait activement pour la libération définitive des peuples du Sud qu’il devînt un ennemi international pour les puissants de ce monde : US et France en tête mais aussi le Maroc de Hassan II. Nul doute que c’est dans cet élan révolutionnaire de la Tricontinentale que se trouve la cause de l’enlèvement et de l’assassinat de Ben Barka.
Mais alors comment s’inspirer de lui ? Ou autrement dit : Que faire ?
L’enseignement essentiel à retenir de Mehdi Ben Barka est contenu dans cette phrase : C’est en comprenant que l’indépendance réelle est impossible sans élargissement à l’échelon international de la solidarité des dominés que Ben Barka prend toute la mesure de l’importance de construire un front tricontinental.
Tout est là. Il faut construire un nouveau front international afin d’organiser la lutte commune des peuples du Sud contre l’impérialisme. Et en France tout particulièrement, car comme le disait le Che : nous sommes au cœur de la bête.
Après Bandung, après la Tricontinentale, il nous faut maintenant construire un nouvel élan internationaliste anti-impérialiste pour venir en aide aux peuples du Sud. Pour le Kurdistan, pour la Palestine, pour le Baloutchistan, pour les Ouïghours, pour le peuple kanak, pour les yéménites, pour tous les peuples encore colonisés ou soumis à l’impérialisme, pour nous tous dans ce monde : UNISSONS-NOUS !
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