Tiré de MondAfrique.
Un article de nos amis du site « The Conversation » sous la plume de Boubacar Haidara
Certains observateurs ont qualifié les faits de putsch, d’autres de simple discussion entre le couple exécutif et les membres de « l’ex »-Conseil national pour le salut du peuple (CNSP), officiellement dissout. Rappelons que le Mali vit une transition de 18 mois. Celle-ci a commencé avec le coup d’État du 18 août 2020 qui avait renversé le président Ibrahim Boubacar Kéita. Des élections générales sont prévues début 2022, entre février et mars. La situation actuelle semble faire revenir le Mali au point de départ ; mais que s’est-il passé pour que nous en soyons là ?
Le président N’Daw face aux colonels
Le 14 mai 2021, le premier ministre Moctar Ouane avait remis la démission de son gouvernement au président Bah N’Daw, qui l’avait aussitôt reconduit à son poste, le chargeant d’entamer des discussions avec la classe politique, en vue de la formation du prochain gouvernement. Cette démarche avait été saluée car elle venait rétablir le dialogue qui s’était rompu entre les nouvelles autorités et la classe politique depuis le coup d’État du 18 août 2020.
Le premier élément qui permettrait d’emblée d’expliquer la situation actuelle est que la démission et la reconduction de M. Ouane ont été personnellement gérées par le président N’Daw, sans qu’il ne consulte et ne rende compte aux responsables de « l’ex »-CNSP, à savoir le colonel Assimi Goita, vice-président de la transition ; le colonel Malick Diaw, président du Conseil national de transition (l’organe législatif) ; le colonel Sadio Camara, ministre de la Défense ; le colonel-major Ismaël Wagué, ministre de la Réconciliation ; et le colonel Modibo Koné, ministre de la Sécurité et de la Protection civile.
À travers cette démarche, le président Bah N’Daw, qui avait été largement critiqué pour son effacement, donnait ainsi l’impression de reprendre enfin en main les rênes de la transition et d’en devenir le véritable maître. On pouvait déjà prévoir que cette évolution ne recevrait pas l’assentiment, voire susciterait le courroux des colonels putschistes, qui pourraient y voir le début d’un processus visant à les extirper progressivement de leurs positions.
Un contexte tendu
La ferveur populaire qui avait accompagné le coup d’État du 18 août s’est très rapidement estompée. La junte, qui avait au départ incarné le changement tant espéré, est progressivement apparue comme un élément de perpétuation du système en place. Aucun dignitaire de l’ancien régime ne fut inquiété, y compris ceux sur qui pesaient de fortes accusations.
Le remaniement ministériel du 14 mai est intervenu dans un contexte sociopolitique extrêmement tendu. Le mouvement de contestation M5 – qui dénonce la conduite de la transition et appelle à sa « rectification », de même qu’à la dissolution du Conseil national de transition – avait déjà programmé une manifestation pour le 4 juin 2021. En outre, après un préavis de 15 jours, la centrale syndicale de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM) avait entamé sa deuxième semaine d’affilée de grève, qui devait continuer jusqu’au 28 mai 2021. Compte tenu de la situation politique, et n’ayant plus d’interlocuteur en l’absence d’un gouvernement, elle a suspendu son mot d’ordre de grève et appelé ses adhérents à reprendre le travail dès le 26 mai, et jusqu’à un retour à la normale.
Les colonels de « l’ex »-CNSP auraient eu connaissance de la liste du nouveau gouvernement, publié le 24 mai 2021, en même temps que les Maliens ordinaires, c’est-à-dire à travers les médias. Leur surprise aura donc été de constater la mise à l’écart de deux des leurs, à savoir le ministre de la Défense Sadio Camara, et celui de la Sécurité et la Protection civile Modibo Koné. Leur réaction ne s’est pas fait attendre : une heure à peine après la publication de la nouvelle composition du gouvernement, le couple exécutif était arrêté et conduit manu militari au camp militaire de Kati.
Le communiqué du vice-président, le colonel Goita, lu le 25 mai 2021 à la télévision nationale (l’ORTM) était on ne peut plus clair : il dénonce l’attitude du premier ministre et du président, qui ont formé le nouveau gouvernement « sans concertation avec le vice-président », à savoir lui-même. Il ajoute :
- « Le vice-président s’est vu dans l’obligation d’Agir pour préserver la Charte de la transition et défendre la république en vue de placer hors de leurs prérogatives le président et le premier ministre. »
Le vice-président souligne donc ici son attachement à la charte de la transition ; pourtant, celle-ci stipule clairement son incapacité à remplacer le président de transition en cas d’empêchement. On se rappelle que lors des discussions autour de l’adoption de ladite charte, le poste de vice-président (une première au Mali), spécialement créé pour être occupé par un membre de la junte, avait parfois été vu comme une manière pour cette dernière de prévoir l’éventualité de diriger la transition. C’est d’ailleurs pour cette raison que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) conditionna la levée des sanctions qui pesaient sur le Mali à l’insertion dans la charte d’une disposition stipulant clairement que le vice-président ne peut remplacer le président de la transition. Reste à savoir s’il s’agit d’un empêchement temporaire ou d’une destitution définitive. Dans le second cas, qui semble être le plus probable, nous serions alors en face d’un coup d’État dans le coup d’État.
Un enjeu clé : convaincre la population
La Cédéao a immédiatement dépêché au Mali, le 25 mai, son émissaire chargé du suivi de la transition, l’ancien président nigérian Goodluck Jonathan. L’attitude de la Cédéao, et plus globalement de la communauté internationale (France, États-Unis et l’ONU à travers sa mission malienne, la Minusma) sera déterminante dans la suite des événements. Les putschistes le savent et cherchent désormais à s’assurer des soutiens, notamment de la population et des acteurs politiques, en particulier du M5, le mouvement de contestation qui avait fragilisé le pouvoir d’Ibrahim Boubacar Kéita, et permis le coup d’État contre ce dernier. Leur démarche est identique à celle qu’ils avaient adoptée lors du coup d’État du 18 août 2020 ; mais, cette fois-ci, les arguments avancés sont différents.
Concernant la population, depuis que le président et son premier ministre sont arrêtés, on assiste à la formation d’une certaine opinion véhiculée par les partisans de la junte faisant croire que la situation actuelle est l’expression radicale d’une confrontation de points de vue divergents entre le couple exécutif et les colonels de « l’ex »-CNSP. Le premier n’obéirait qu’aux intérêts de la France – surtout que la publication de la liste du nouveau gouvernement intervient à peine 48 heures après le retour de Bah N’Daw de Paris – tandis que les seconds, eux, s’opposeraient à l’impérialiste France, promouvant plutôt un rapprochement avec la Russie.
On comprend bien qu’il s’agit là d’un argument pouvant fortement peser auprès de tous ceux qui voient d’un mauvais œil la présence militaire française au Mali, et qui manifestent régulièrement contre l’opération Barkhane. Ces propos sont relayés, comme toujours, par des activistes présents sur les réseaux sociaux et connus pour leurs positions anti-françaises.
Une manifestation de soutien aux putschistes avait d’ailleurs été annoncée pour le 25 mai, sur la place de l’indépendance à Bamako, avant d’être reportée à une date ultérieure. L’objectif, pour la junte, consisterait à donner l’apparence d’une forme d’assentiment populaire à leur coup de force ; la seule manière à leurs yeux d’espérer contrer les sanctions et pressions internationales qui s’annoncent dès à présent.
Concernant le mouvement du M5, ses leaders ont été invités à venir rejoindre les putschistes à Kati quelques heures à peine après l’arrestation du président et du premier ministre. Il s’agirait pour les militaires de proposer aux leaders de ce mouvement le poste de premier ministre – une façon de s’assurer leur soutien et, par là même, de réparer les « erreurs » passées commises à leur égard : bien qu’ayant été au cœur du coup d’État du 18 août 2020, le M5 a fini par être totalement écarté de toute l’architecture de la transition (à l’exception de quelques-uns de ses membres qui furent cooptés). De la même manière, après le coup d’État du 18 août, et avant la mise en place de la transition, la junte, désireuse de peser face à une communauté internationale qui exigeait une transition civile, avait fait du M5 un allié, en faisant miroiter à ses leaders qu’ils joueraient un important rôle dans la transition. Les sympathisants du M5 s’étaient alors largement prononcés en faveur d’une transition militaire.
La communauté internationale très remontée
L’analyse immédiate qu’on peut faire de ce dernier coup de force contre le président de la transition et son premier ministre est que l’inquiétude semble avoir gagné le camp de la junte, du fait de sa non-implication dans la formation du nouveau gouvernement, et surtout la mise à l’écart de deux de ses membres.
Au-delà de la simple perte de ces postes ministériels, la situation pourrait être perçue par la junte comme le début du processus de sa mise à l’écart totale et définitive des affaires politiques. Cela signifierait aussi en quelque sorte pour elle le début des ennuis judiciaires, quand on sait que la Constitution du Mali fait du coup d’État un crime imprescriptible.
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