Édition du 17 décembre 2024

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Europe

Lutte à l'austérité en Belgique : leçons du mouvement syndical belge

Pour combattre l’austérité, le mouvement syndical belge a tenu 3 journées de grèves régionales et une journée de grève nationale le 15 décembre dernier. Deux rassemblements importants ont eu lieu en mars et tout nous porte à croire que d’autres journées de grèves sont à prévoir en avril. La lutte qui se mène actuellement en Belgique est très semblable à la nôtre et ce mouvement nous offre des enseignements précieux pour la lutte que nous menons ici.[1]

L’été passé, le nouveau gouvernement fédéral[2] belge a très tôt annoncé des mesures draconiennes d’austérité pour « assainir les dépenses de l’État » et améliorer « la compétitivité ». Les syndicats n’ont pas été dupes. Cela veut dire, comme ici, une attaque en règle contre les conditions de vie et de travail de la majorité.

Les réformes les plus impopulaires sont la retraite à 67 ans, une réduction considérable des dépenses dans le système public et le « saut d’index », c’est-à-dire, une « pause » dans l’indexation des salaires aux coûts de la vie, l’un des plus importants acquis du mouvement ouvrier belge.

Les syndicats ont réagi rapidement, un Front commun intersyndical a été mis sur pied entre les trois grandes centrales (FGTB, CSC, CGSLB) [3] et, durant tout le mois d’octobre, des assemblées générales ont eu lieu partout au pays pour présenter les conséquences des mesures gouvernementales sur les travailleurs-euses et élaborer des revendications.

Celles-ci se résument à quatre grands principes :

 La sauvegarde et le renforcement du pouvoir d’achat
 La préservation d’une sécurité sociale forte
 L’investissement dans une relance et des emplois durables
 Une vraie justice fiscale

Ces assemblées ont également eu pour mandat de prendre le pouls des travailleurs-euses et de déterminer jusqu’où ils étaient prêts à aller. Selon Robert Sénéchal, secrétaire des Métallos Wallonie-Bruxelles du Hainaut Occidental, les travailleurs ne voulaient pas participer à une autre manifestation, « mais une marche dans le cadre d’un vrai plan d’action, les gens étaient pour. ».

Il en a résulté un plan d’action échelonné sur 2 mois, qui a débuté par une manifestation monstre à Bruxelles le 6 novembre, trois journées de grèves régionales et une journée de grève générale nationale de 24 heures le 15 décembre.

Automne 2014 : une mobilisation historique

Le 6 novembre 2014, c’est donc plus de 120 000 personnes qui ont manifesté dans les rues de Bruxelles et ainsi donné le coup d’envoi au plan d’action syndical. Ce fut la plus grosse manifestation à avoir lieu en Belgique depuis 28 ans. Malgré cette mobilisation extraordinaire, le gouvernement ne cède pas, les syndicats poursuivent donc leurs moyens de pression.

Le 24 novembre, c’est le premier grand test, la première grève tournante régionale de 24 heures débute dès l’aube. Les provinces touchées sont le Luxembourg, le Limbourg, le Hainaut et Anvers. À Anvers, le plus important port d’Europe est paralysé. Le 1er décembre, c’est au tour des régions de Namur, Liège, de Flandre-Occidentale et de Flandre-Orientale à se mobiliser. Le 8 décembre, ce fut au tour de Bruxelles et de deux provinces limitrophes : le Brabant Flamand et le Brabant Wallon.

Ces grèves régionales ont porté un dur coup directement dans le porte-feuille des nantis. Le 24 novembre, selon la RTBF, « l’industrie technologique souffrait d’une perte de production importante ». Même son de cloche pour l’ensemble de l’industrie lourde, les transports (trains, autobus, aéroports), les grands commerces de détail, la poste, le service des ordures et le secteur public, qui furent paralysés ou fermés pour la journée.

Les piquets de grève bloquent l’accès direct à une entreprise, mais lorsqu’il y a une grande concentration d’industries ou de commerces, les travailleurs-euses organisent des piquets intersyndicaux et bloquent l’ensemble des routes du quartier. Il est presque impossible d’énumérer ici l’ensemble des actions qui ont eu lieu, tous les salariés de tous les secteurs ont participé au mouvement.

Ces grèves régionales ont eu un double effet, celui de maintenir la pression pendant plus d’un mois sur le gouvernement, mais également celui de servir « d’entraînement » pour les travailleurs-euses, de consolider le mouvement sur une base régionale, d’y voir les forces et les faiblesses au niveau de la mobilisation et de l’organisation, et ainsi garantir le succès de la grève générale nationale.

Le 15 décembre 2014, tout s’est arrêté en Belgique. La mobilisation fut telle, qu’elle a menacé grandement l’unité de la coalition gouvernementale et forcé une première ronde de négociation avec le gouvernement et les représentants du patronat.

Une occasion ratée

Malheureusement, les directions syndicales n’ont pas saisi cette occasion et ont plutôt opté pour la négociation avec le gouvernement. Même s’il avait déclaré que ni le « saut d’index », les retraites ou la fiscalité ne seraient discutés, il était clair que le gouvernement voulait simplement gagner du temps et faire tomber la mobilisation.

À partir de la mi-janvier, les négociations ont eu lieu entre les différents partis, le patronat et les syndicats. La FGTB a rejeté l’accord proposé par le gouvernement. La direction de la CSC a, quant à elle, accepté l’accord, qui ne proposait pourtant que des miettes pour les travailleurs-euses. La direction de la CSC a eu grand-peine à faire entériner l’accord par le conseil fédéral. Le 10 février dernier, celui-ci l’a accepté à une très faible majorité de 52 % (147 voix pour, 135 contre, 17 abstentions), du jamais vu. La direction de la CSC a réussi à faire prévaloir son point de vue, uniquement sur la promesse qu’elle maintiendrait l’unité du Front commun et qu’elle continuerait à faire pression sur le gouvernement.

Pendant que les organisations syndicales ont donné une chance à la négociation et que la CSC a démontré sa bonne foi en ratifiant l’accord, le gouvernement, lui, est resté ferme. À la fin février, il a souligné son intention d’aller de l’avant avec le « saut d’index ». Les représentants syndicaux ont réagi en parlant de « déclaration de guerre ». À la fin février, le gouvernement a giflé le mouvement syndical sur l’enjeu des prépensions (préretraites). Comme si ce n’était pas suffisant, une députée du gouvernement a écrit sur Twitter, en parlant de la FGTB : « Quel club d’idiots, asocial, archaïque et myope »...

Et maintenant ? Début du 2e round !

Après deux mois de discussions qui n’ont pas abouti, les directions syndicales ont repris leurs discours offensifs. Le 11 mars, un grand nombre de militant-e-s syndicaux se sont rassemblés à Bruxelles. Plus de 10 000 syndiqués ont répondu à l’appel. Plusieurs assemblées et actions de sensibilisations ont été faites dans les entreprises durant le mois de mars, celles-ci ont culminé vers une manifestation nationale le 29 mars, en solidarité avec le collectif Hart Boven hard /Tout autre chose.

Malheureusement, contrairement à l’automne passé, les centrales n’ont pas encore annoncé de plan d’action clair et diffusé longtemps d’avance, pour permettre aux militant-e-s de la base de bien s’organiser. Malgré tout, des actions de masse régionales entre le 30 mars et le 1er avril sont prévues. Devant la timidité des directions syndicales à appeler à la grève générale, la Centrale générale des services publics (FGTB) a dit qu’elle sera en grève le 22 avril prochain et espère convaincre les autres partenaires du Front commun d’y participer. [4]

En ce moment, le mouvement syndical belge est divisé entre trois options :

1) Une autre grève nationale de 24 heures.
2) Une grève de 48 heures, reconductible ou non.
3) Une grève au finish, c’est-à-dire une grève générale illimitée ayant pour objectif la satisfaction complète des revendications ou la chute du gouvernement.

Pour l’instant, la question est de savoir jusqu’où les directions syndicales sont prêtes à aller. Les attaques sont trop importantes, les militant-e-s de la base et certaines fédérations veulent se battre. Durant les prochaines semaines, espérons que les travailleurs-euses belges sauront secouer leurs directions et frapper plus fort qu’à l’automne passé.

Malgré tout, le mouvement syndical belge nous offre une belle leçon de lutte. Il fait ce que le mouvement syndical québécois a oublié de faire depuis des décennies, c’est-à-dire avoir une stratégie. Trop souvent, nous nous contentons d’actions de visibilité. Le mouvement syndical belge est déjà passé à une étape supérieure et semble réellement vouloir construire un rapport de force.

Depuis l’été dernier, le mouvement syndical québécois a été incapable de formuler 3 ou 4 revendications fédératrices et claires. C’est uniquement à partir de ce type de revendications que nous pourrons mobiliser en dehors de nos cercles habituels. Il n’y a pas de plan d’action conjoint, ou à tout le moins public, pour nous permettre de s’organiser longtemps d’avance. La journée de perturbation économique fut repoussée deux fois par les hautes instances de la CSN et nous débutons une ronde de négociation collective sans mandat de grève !

Certains diront, « oui, mais en Belgique, c’est plus facile, ils peuvent faire des grèves politiques ». C’est vrai. Mais, considérant que le seul moyen que nous avons pour faire reculer ce gouvernement, avant qu’il fasse encore plus de dommages, c’est par la grève ; que celle-ci est pratiquement interdite (nous ne pouvons pas être en grève en dehors du processus de négociation). Lorsque nous pouvons légalement faire la grève, le gouvernement nous assomme aussitôt avec une loi spéciale. Donc, pourquoi ne pas organiser une campagne nationale pour le droit de grève ? Plutôt que de tourner en rond pendant des mois.

Heureusement que le mouvement étudiant, les groupes communautaires et plusieurs syndicats locaux s’activent et s’investissent pleinement dans la lutte contre l’austérité, mais cela ne fait, à mesure que le temps passe, que mettre davantage en lumière le refus obstiné des directions syndicales à réellement lutter pour défendre les intérêts de la majorité de la population.

Notes

[1] Cet article est une mise à jour de l’article publié sur PTAG le 9 décembre dernier, La Belgique en route vers la grève générale ! Quelles leçons pour le Québec ?, http://www.pressegauche.org/spip.php?article20158

[2] Lors de l’élection de 2014, le Parti socialiste belge est, pour la première fois depuis plus de 40 ans, relégué dans l’opposition. Le nouveau gouvernement en place est composé de 4 partis de droite : le N-VA (ultra-nationaliste et libéraux flamands), le CD&V (chrétiens-démocrates), Open Vld (libéraux flamands), le Mouvement réformateur (libéraux francophones).

[3] CSC : Confédération des syndicats chrétiens (1 700 000 membres), FGTB : Fédération générale du travail de Belgique (1 500 000 membres), CGSLB : Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique (260 000 membres).

[4] La CGSP appelle à la grève générale le 22 avril, http://www.dhnet.be/actu/belgique/la-cgsp-appelle-a-la-greve-generale-le-22-avril-5501802535707e3e93d82fe2

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Par Bruno-Pierre Guillette
16 mars 2014

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