Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Amérique centrale et du sud

Lula, l’écologie et vous

Une COP27 qui passe à côté de l’urgence climatique, un mondial au milieu du désert qui accumule les scandales, une nouvelle réglementation européenne en trompe-l’œil sur la déforestation… C’est dans un contexte international peu encourageant que Luiz Inácio Lula da Silva reprend ses marques à la tête du Brésil, en promettant de mettre l’écologie au cœur de son futur gouvernement.

L’écologie a mis du temps à prendre la place qu’elle mérite dans la politique brésilienne, étant souvent reléguée en marge des débats ou traitée de manière superficielle. C’est sans aucun doute la pression internationale qui a fini par la rendre incontournable lors des dernières élections qui ont eu lieu en octobre dernier et Lula n’a pas hésité à saisir cette opportunité de faire du pied aux puissances étrangères. Difficile de savoir quelle est la dose de conviction et la dose de diplomatie dans le discours du leader de gauche qui cherche – comme souvent – à ouvrir le dialogue avec tous les bords. D’une intelligence politique exceptionnelle, le nouveau Président a une capacité incroyable à apaiser les tensions et à satisfaire les attentes les plus contradictoires. Il place volontiers dans une même phrase ou dans un même projet les peuples indigènes et ceux qui les massacrent, l’agroécologie et l’agrobusinessi , et ne voit aucune incohérence à l’idée d’une croissance infinie dans un monde fini.

Invité surprise en novembre à la COP27 de Charm el-Cheikh, alors que son mandat de Président ne commencera qu’au premier janvier, il y a réaffirmé ses engagements écologiques et défini, dans un discours émouvant et ovationné, la seule ligne d’action possible, selon lui, pour affronter le réchauffement climatique : celle de « la lutte contre la pauvreté et pour un monde moins inégal et plus juste ». Il n’a pas non plus hésité à être sincère au moment d’aborder les tendances de l’échiquier géopolitiques et les responsabilités des puissances dominantes face à la crise environnementale. D’un côté, les plus pollueurs de la planète sont (de très loin) les plus richesii. D’un autre, la préservation d’une forêt comme l’Amazonie nécessite de lourds investissements qu’un pays détruit par six années de chaos gouvernemental n’aurait pas les moyens d’assumer seul. Le futur de l’humanité est un sujet qui exige une collaboration au-delà des frontières. Lula quitte ses notes et regarde l’assemblée en face pour annoncer que si « le Brésil est de retour » sur la scène politique mondiale, il l’est aussi pour exiger la tenue des accords internationaux et notamment ceux de Copenhague sur la création d’un fond vert pour aider les pays les plus pauvres à affronter les bouleversements climatiques.

« La faute à Bolsonaro »

Après deux ans de présidence (contestée) de Michel Temer ouvrant la porte au « tout est permis », les quatre années de mandat de Jair Bolsonaro auront été des plus catastrophiques sur le plan environnemental – comme sous tous les aspects sociaux, politiques, économiques et culturels. Néanmoins, il serait trop facile, notamment pour les multinationales et les pays étrangers, de lui imputer toutes les responsabilités de la déforestation et de l’épuisement des ressources naturelles. Le laxisme écologique ne date pas d’hier en Amérique du Sud. Et si les dirigeants du monde entier feignent aujourd’hui de s’affoler en voyant les incendies en Amazonie, ils ont plus de mal à remonter quelques décennies pour constater que la situation du Brésil a déjà été bien pire. Il n’y a qu’à jeter un œil sur les courbes de la déforestation pour remettre les points sur les i : malgré l’incommensurable absence de scrupules du gouvernement Bolsonaro, les niveaux de déforestation pratiqués depuis 2019 n’atteignent pas ceux des années 1990… et sont probablement très loin de ce qui a pu se faire, en toute impunité, pendant la dictature militaire, entre 1964 et 1989, sous protection et bienveillance nord-américaine.

La vérité encore trop difficile à admettre au nord de l’équateur est que la destruction du territoire sud-américain a commencé avec l’arrivée des Européens au XVIe siècle et n’a connu de frein qu’au milieu des années 2000, à l’époque du premier gouvernement… Lula !

Il n’y a pas que l’Amazonie

La nuance à apporter au graphique ci-dessus, ainsi qu’à la plupart des analyses proposées sur le sujet, porte sur la définition du concept de « forêt », souvent limité à la région Amazonienne. Or, le Brésil (comme l’Amérique du Sud) dispose d’une biodiversité richissime et extrêmement menacée sur l’ensemble de son territoire, bien au-delà de l’Amazonie. La région du Pantanal, au sud-ouest, est peut-être celle qui a le plus souffert au cours des dernières années en termes d’incendies et d’extinction d’espèces. Sur toute la côte est, la « mata atlântica » est (était…) une forêt tropicale caractérisée par une végétation dense et spectaculaire dont il ne reste aujourd’hui que 15 % de ce qu’elle représentait à l’origine (comprenez : à l’arrivée des Blancs). Au centre, l’immense cerrado continue de voir sa savane native se transformer en champs de monoculture aux sols devenus infertiles.

Si j’insiste sur cette distinction, ce n’est pas pour vous faire un cours de sciences naturelles, mais bien parce qu’elle revêt un enjeu politique à ne pas sous-estimer. Il y a quelques jours, l’Union Européenne – pleine de bonnes intentions (?) – a adopté un règlement interdisant l’importation de produits issus de la déforestationiii. Le problème, c’est que le concept de « forêt », tel qu’il est défini dans le texte, recouvre l’Amazonie mais ne comprend ni le Cerrado ni le Pantanal. Or, ce sont justement les végétations qui souffrent le plus directement de l’expansion agricole et qui sont actuellement le terrain de graves conflits avec les populations indigènes – dont les droits ne sont par ailleurs pas reconnus dans ce même texte. Au cours de la seule année 2020, on estime que le Pantanal a perdu plus de 10 % de son écosystèmeiv. En résumé, en ce qui concerne le Brésil, le seul véritable gain de la mesure adoptée par l’UE est une désinformation des citoyen.nes européen.nes qui permet aux gouvernements et aux multinationales de se laver les mains en ayant bonne conscience.

… et il n’y a pas que la déforestation

Soit dit au passage, il serait tout aussi restreint de résumer l’impact écologique de notre « développement » à la déforestation (ou à des émissions de gaz à effet de serre). Il existe bien d’autres pratiques désastreuses, pour l’environnement comme sur le plan humain, et malheureusement peu remises en question sur la scène internationale. À titre d’exemple, on peut citer l’exploitation minière légale ou illégale, particulièrement d’actualité avec le récent projet d’installation, au beau milieu de l’Amazonie, de la plus grande mine d’or à ciel ouvert d’Amérique Latine, par une entreprise canadienne ; ou encore les immenses barrages qui balisent aujourd’hui tous les principaux cours d’eau du Brésil, altérant profondément leur biodiversité, menaçant la vie des riverains et présentant énormes risques de catastrophe peu naturelles comme celles de Mariana (2015) et Brumadinho (2019) qui ont provoqué des centaines de mortsv.

Enfin, l’usage excessif d’engrais chimiques est un parfait exemple de l’hypocrisie qui domine les préoccupations environnementales et sanitaires de ceux qui ont un pouvoir de décision. Avec Bolsonaro, le Brésil est devenu le principal importateur des substances chimiques interdites en Europe pour leur toxicité. Le problème, c’est que ces pesticides continuent d’être produits par des entreprises européennes, ravies de bénéficier d’un marché au bout du monde pour s’en débarrasser. Et l’absurdité de l’affaire, c’est que les denrées produites par l’agriculture brésilienne sont ensuite importées par les pays européens et commercialisées dans vos supermarchés. Mais au milieu de la chaîne, c’est bien au Brésil, et notamment dans les milieux ruraux les plus modestes, que l’on note une élévation anormale et alarmante des taux de cancers liés aux pulvérisationsvi. Et le comble de l’ironie, c’est que pendant que le secteur agroalimentaire réalise des bénéfices records en exportant du soja et du maïs transgéniques cultivés aux pesticides, la population brésilien.nes a faim. 33 millions de personnes se trouvent aujourd’hui en situation de grave insécurité alimentaire – un nombre qui a presque doublé au cours des deux dernières années.

Et Lula ? Et vous ?

Ah oui, je vous avais oublié.es dans tout ça ! L’objectif de ce texte était de dénouer du bout des doigts la complexité des enjeux écologiques au Brésil, mais aussi de souligner la responsabilité directe des pays du nord et des multinationales sur ce qui s’y passe. En tant que citoyen.nes de l’un de ces pays (si c’est le cas), cela vous donne une petite marge de manœuvre, aussi symbolique soit-elle. Consommer local est toujours, à mon avis, le plus pertinent des mots d’ordre : une denrée qui a traversé l’Atlantique pour arriver à vos paniers à un prix raisonnable a peu de chances d’avoir été produite de manière propre et socialement juste. Continuons aussi de nous informer (avec soin) et de faire circuler les informations. De nombreuses organisations réalisent un important travail d’enquête sur tous ces sujets et font pression sur les gouvernements pour faire évoluer les législations. Soutenons-les.

Lula, de son côté, devrait annoncer dans les prochains jours ses ministres en charge des questions agricoles, environnementales et indigènes. Il tâchera aussi de convaincre ses amis de l’agronegócio qu’il y a suffisamment de terres à disposition pour qu’on ne crame pas l’Amazonie, et qu’ils feraient bien, au passage, de réduire les doses engrais chimiques avant que l’Europe ne commence à s’en inquiéter. Et comme l’environnement ne saurait être son unique préoccupation dans la situation actuelle, il promet surtout d’investir sans retenue dans la lutte contre la faim et d’essayer de remettre sur pied un pays saccagé, dans tous les secteurs, par ses deux prédécesseurs.

«  [Au soir des élections] j’ai dit qu’il n’y avait pas deux Brésil. Je veux dire aujourd’hui qu’il n’y a pas deux planètes Terre. Nous sommes une seule espère qui s’appelle l’Humanité et il n’y aura aucun futur tant que nous continuerons à creuser un puits sans fond d’inégalités entre les riches et les pauvres. »
Luiz Inácio Lula da Silva, Charm El-Cheikh, novembre 2022.

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