Il est douloureux de voir comment les luttes justes que nous assumons à travers ces défis de la vie sont criminalisées et surtout combattues par ceux qui désirent maintenir le pouvoir qu’ils ont toujours détenu. Ils utiliseront toutes les méthodes, du mensonge à la violence la plus absolue, pour éviter que nous construisions la Société Nouvelle dont nous avons besoin et que nous méritons.
Notre lutte est juste et le sera toujours. Aujourd’hui nous ne devons pas nous laisser déconcentrer et nous devons continuer de lutter. Si je dois payer pour les mensonges de quelques-uns, sachez que je ne me sentirai pas seul et que je sais que vous, camarades, continuerez de croire dans les idées que j’ai toujours voulu traduire en paroles et en actions.
Le moment actuel que traverse notre pays est une opportunité que nous ne devons pas perdre afin d’unifier les causes de notre mécontentement ; nous savons que nous avons tous les outils pour avancer toujours plus fermement vers l’aube tant attendue. Ne perdons pas nos mots, ne doutons pas de sortir dans les rues pour crier notre rage et, surtout, n’arrêtons pas de nous organiser. Seul le pouvoir collectif est capable de briser la répression.
Je fus détenu loin de la marche et je fus durement agressé physiquement à l’intérieur de l’autobus des carabiniers, jusqu’à en perdre conscience. Je me suis réveillé, assis, exposé et humilié. Je n’ai su le motif de ma détention qu’au commissariat plusieurs heures plus tard.
Lorsque j’étais à l’hôpital, le médecin de garde réprimanda les carabiniers pour la gravité des blessures qu’ils m’avaient affligées à la tête. Il ordonna qu’on me fasse passer un scanneur et une radiographie, toujours avec les menottes aux poings, par ordre des gens en uniforme et accompagnés d’un sous-lieutenant carabinier (les menottes étaient les siennes). L’inquiétude des carabiniers était évidente et ils essayèrent de me sortir rapidement de l’hôpital. Un carabinier revint accompagné d’un nouveau médecin, sans identification, qui se moqua de la lutte étudiante, en disant que je n’avais rien de grave et me donna quelques anti-inflammatoires. Les carabiniers tentèrent de me faire signer une déclaration motivant ma détention qui indiquait, après plusieurs heures de détentions, que j’étais accusé d’attentat contre un carabinier. Je ne connus jamais le résultat de mes examens médicaux.
Bien qu’en piteux état, on me fit attendre longuement au commissariat pour finalement me lire mes droits. On me demanda de quelle couleur étaient mes vêtements, et pendant qu’un carabinier donnait les réponses au téléphone, on m’intimida pour que je déclare que je portais une capuche noire. Curieusement, dans la déclaration postérieure du carabinier qui dit avoir été l’objet d’une agression de ma part, il donne textuellement la description que j’avais transmise à l’autre carabinier qui parlait alors au téléphone.
De plus, la déclaration décrivait en détail que j’avais lancé un cocktail Molotov vers le carabinier, ce qui est entièrement faux, puisque je n’ai jamais lancé un tel objet. Dans mon sac à dos « apparurent » deux bouteilles de nectar vides. En fait, ils n’ont rien trouvé dans mon sac à dos puisqu’il ne contenait rien. De plus, il n’y a aucune trace de substance incendiaire dans mes mains, puisque je n’ai jamais transporté ni lancé quoi que ce soit.
Si les carabiniers ont menti en premier lieu, que puis-je espérer de mon jugement ? Comment ne pas penser que les carabiniers ont inventé toute cette histoire, car j’ai des responsabilités en tant que dirigeant étudiant universitaire ? Comment ne pas penser que ce fut une attaque contre les dirigeants les plus engagés au sein du mouvement étudiant ? Comment expliquer la raclée brutale à laquelle je fus soumis et les sales mensonges qu’ils ont orchestrés ?
Ce qu’ils ont fait n’est rien de plus qu’un acte grossier visant à cacher la force répressive démesurée qu’utilisent les carabiniers, appuyés par le gouvernement, contre tout le Peuple du Chili. Couvert de honte, ils ont décidé que je suis responsable d’une tentative de meurtre manquée. L’absence de preuves contre moi leur tombera dessus comme une pierre au visage et la justice leur donnera la punition qu’ils méritent pour avoir mentis et pour m’avoir fait prisonnier.
Pour sa part, la juge a décidé que je devais être en prison, car je représente un danger pour la société. Il semblerait qu’aujourd’hui, être capable de défendre des causes justes à travers l’organisation collective et transparente, c’est être une être humain dangereux. C’est un danger pour cette société oppressive que nous nous ouvrions les yeux et soyons capables de lutter pour l’éducation, dans les quartiers populaires et sur les lieux de travail. Il paraît que ce sera toujours un danger que les étudiants dénoncent les injustices dans notre système d’éducation et qu’ils luttent pour que ça change ; que les travailleurs obtiennent un traitement juste et des salaires dignes ; que les habitants des quartiers populaires en aient assez d’obtenir que des miettes, de subir des injustices et qu’ils exigent de vivre dans des conditions de logement digne. C’est un danger pour cette société oppressive que l’éducation, le travail, la santé et les logements soient dignes pour tous. Dans cette société organisé autour de quelques-uns, il est menaçant que plusieurs aspirent à créer un monde nouveau...
Depuis mon enfance, j’ai appris que c’était dangereux de dire ce que je pense, et plus dangereux encore, de motiver les autres pour qu’ils le fassent également. J’ai appris que pour triompher, le mieux à faire est de dénoncer clairement les manques de ce monde oppressant, par le débat et la démocratie directe.
Aujourd’hui, le système me révèle encore une fois le danger d’être ce que je suis. Il le fait cette fois-ci de façon plus violente, à coups de poings, de mensonges, et en m’emprisonnant, me privant des gens et du peuple qui me renforcent.
Mais je ne suis pas inquiet et je n’ai pas peur puisque je sais que je ne suis qu’un parmi tant d’autres. Je sais qu’à l’extérieur de ces barreaux il y en a des centaines de meilleurs que moi, tout comme ici à l’intérieur.
Je sais qu’aujourd’hui mon nom a été traîné dans la boue, mais les idées qui font de moi un homme libre ne s’éloigneront jamais de ma conviction toujours plus forte à lutter pour un monde meilleur.
Camarades, amis et amies, aujourd’hui plus que jamais, en tout moment et en tout lieu, dans chaque rêve et dans chaque réalité, SEULE LA LUTTE NOUS RENDRA LIBRES.
RECA
RECAREDO GÁLVEZ, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA FÉDÉRATION DES ÉTUDIANT-E-S DE L’UNIVERSITÉ CONCEPCIÓN
* Traduit de l’espagnol par Catherine Sanchez Saornil
(tiré de La gauche, Québec)