Édition du 29 octobre 2024

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Histoire

Les rapports moraux de Marcel Pepin (1965 à 1976) : Un camp de la liberté (1970)

Marcel Pepin constate que la société québécoise est exposée à une nouvelle dynamique de changement. L’impérialisme américain est de plus en plus présent dans le développement économique du Québec. La réalisation de certains travaux de grande ampleur nécessite dorénavant des investissements en provenance de l’étranger, lire principalement des marchés financiers américains.

Pour le président de la CSN, il ne saurait faire de doute que le Québec est aux prises avec une crise économique doublée « d’une crise culturelle, morale qui touche les valeurs humaines qui dans le passé donnaient une certaine cohésion à notre société ». Autre élément qui est pris en considération dans le troisième rapport moral de Marcel Pepin : « la prodigieuse croissance de la société de consommation nord-américaine à tous les échelons de la société. Elle fait son chemin, elle impose ses produits, ses techniques, ses débats, sans décisions, sans résistance ».

Cette crise économique doublée d’une crise culturelle affecte grandement l’homme de la rue. Ce dernier est relié aux grands centres économiques, politiques, culturels et sociaux par les médias et les personnes qui diffusent les nouvelles et qui produisent les films, et qui appartiennent à une nation différente : « L’information est pensée, fabriquée en très grande partie par des personnes qui ne sont pas de notre culture c’est-à-dire des américains, des français, des allemands, et aussi des canadiens-anglais ». L’information est monopolisée par des forces qui sont au service de l’État, le Québec est perçu comme un espace géographique dominé « en fonction d’intérêts étrangers. »

Avant d’exposer un programme d’action susceptible de contrer l’influence des investissements étrangers, Pepin n’hésite pas à affirmer que la CSN accepte la nouvelle société qui s’est mise en place au Québec : la société de consommation. Cette nouvelle société doit, par contre, accepter la participation des groupes exclus et les inégalités qu’on y retrouve en son sein doivent être éliminées. La nouvelle société doit être construite par les pouvoirs économiques, politiques et ouvriers. La classe ouvrière doit être partie prenante aux processus décisionnels majeurs concernant son avenir économique et politique.

Le bilan que Pepin dresse au sujet de l’action syndicale depuis qu’il a accédé à la présidence de la CSN est plutôt négatif. Qu’on en juge par l’extrait suivant : « (notre) dessein légitime de participer à l’édification de cette société n’a pas été entendu sérieusement. Ni l’entreprise ni le gouvernement n’ont indiqué qu’ils acceptaient notre volonté de participer plus étroitement aux décisions importantes. »

D’où l’importance de scruter à nouveau les contours de la société en regard de l’économie et du politique, tout en suggérant des réformes à mettre en place pour la rendre plus démocratique, moins inégalitaire et également plus respectueuse de la majorité francophone qui est doublement exploitée et opprimée.

Une société dominée par les pouvoirs économique et politique

Voici ce que Pepin dit au sujet des pouvoirs économique et politique :

«  Les deux sont coordonnés, conjugués, concertés, par des moyens techniques puissants qui en font un seul pouvoir, un nouveau surhomme : un bras économique, un bras politique, mais un seul cerveau. »

«  La collusion de l’État et du pouvoir économique a donné naissance à un super pouvoir économico politique. Ce pouvoir est décidé, il freine le mouvement syndical. L’entreprise privée a ses oreilles aux négociations des employés de l’État, l’État a ses oreilles aux négociations de l’entreprise privée. Le cabinet consulte la haute finance, la haute finance consulte le cabinet par la voix d’un comité consultatif, dont nous sommes excluEs. »

Dans cette superstructure qui s’accapare le pouvoir de décider les grandes lignes de développement du Québec, toutes décisions divergentes, provenant de groupes qui sont extérieurs à ces deux groupes dominants et dirigeants «  ne sont pas supportés  ». Devant cet état de fait, Pepin met de l’avant la voie de la démocratie syndicale. Les membres doivent être appelés, au cours d’une assemblée délibérante, à se prononcer sur divers moyens d’action. Toute information pertinente doit être communiquée et distribuée aux personnes qui participent à ces assemblées.

Pepin observe également qu’à l’occasion de certains conflits de travail, le gouvernement du Québec a procédé à l’adoption de lois spéciales qui ont eu pour effet de suspendre l’exercice de certaines libertés syndicales. Il voit même, dans une directive d’un haut technocrate du ministère du Travail, l’expression d’une volonté de vouloir recourir à ce moyen unilatéral pour gérer les relations de travail au Québec.

Il y a donc une offensive du pouvoir politique en cours au Québec. Cette offensive, à caractère répressif, provoque quasi instantanément une réaction politique partisane. Pepin ferme vite la porte d’un appui partisan à un parti politique quelconque. Pour lui la règle fondamentale du jeu politique réside en ceci : « n’importe quel groupe d’intérêt peut régner sur tous ces groupes, s’il a l’appui de la population ». Cet appui, comme le démontrent les élections générales de 1944 et de 1966, installe au pouvoir un parti qui a fait élire une majorité de députés, sans avoir obtenu la majorité des suffrages exprimés. La démocratie politique est décrite comme le lieu des jeux des divisions et des oppositions. « Un parti peut espérer prendre le pouvoir en détruisant l’autre et en ayant plus d’argent que l’autre. »

Démocratie politique versus démocratie syndicale

Le président de la CSN se méfie de la démocratie politique, car elle entretient comme système « la lutte perpétuelle entre les groupes » alors que la démocratie syndicale cherche à entretenir « l’harmonie entre les divers groupes ». Pour Pepin, «  la démocratie syndicale est le contraire exact de la démocratie politique ».

«  Le triomphe d’un parti politique conduit au pouvoir, la nomination des amis, l’octroi de contrôle aux amis c’est-à-dire la jouissance du pouvoir et les bienfaits qui découlent d’avoir le contrôle du pouvoir public […]. Le parti perdant n’a qu’à lutter plus fort s’il doit espérer un jour jouir du pouvoir. Quand la société entière y reçoit quelque chose, elle a une dette de gratitude envers le parti au pouvoir.  »

Pepin précise qu’a contrario, le triomphe d’un syndicat ou d’une organisation syndicale dans une lutte est le triomphe du groupe entier. Dans les luttes de nature politique comme l’assurance maladie « lorsque l’objectif réunit tous les mouvements de travailleurs au-dessus des querelles d’organisation professionnelle l’instinct syndical fait sentir sa cohésion ».

Quelques éléments du plan d’action soumis aux congressistes

Pour lutter contre la présence de l’impérialisme au Québec, Pepin propose l’élargissement du « deuxième front » dans le respect des cadres de la démocratie syndicale. Il propose également des luttes en vue d’instaurer et d’élargir la démocratie de la vie politique ainsi qu’une réforme des lois électorales. Lors de ce congrès de 1970, le président de la CSN a également soumis pour adoption aux congressistes l’adoption par les deux paliers de pouvoir d’une politique de plein-emploi, l’adoption par le gouvernement du Québec d’une loi ayant pour effet de faire du français la langue officielle du travail et la langue officielle de la province et finalement des propositions portant sur le contrôle des caisses de retraite et la promotion du mouvement coopératif.

Yvan Perrier

11 avril 2022

20h15

yvan_perrier@hotmail.com

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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