Édition du 17 décembre 2024

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Question nationale

Les Colocs

Le journal La Presse avait publié en 2011 un sondage mené auprès des Canadiens et des Québécois, pour connaitre leur perception sur la monarchie britannique à la veille de la visite dans le pays, du couple princier Kate et William. La compilation des résultats avait fait ressortir des différences notables des opinions selon qu’on soit au Québec ou au Canada. Ainsi, 58% des Québécois étaient en accord avec l’idée de couper tout lien avec la monarchie alors que seulement un Canadien sur trois y était favorable.

Le même sondage indiquait même que 46% des Québécois sondés étaient d’accord avec les propos tenus par Amir Khadir qualifiant le couple princier de parasites. Que faut-il en conclure ? Que tout sépare le Québec du reste du Canada ? Au Québec, les réponses vont être sûrement différentes selon que l’on soit du côté souverainiste ou du côté fédéraliste. Regardons plutôt certains faits.

Quand on vit au Québec, on dit « Je vis au Québec » exactement de la même façon qu’un Algérien (resté au pays) dirait « Je vis en Algérie » ou qu’un Français dirait « Je vis en en France »...etc. C’est-à-dire qu’il vit dans un pays à part entière. Par contre, si on vit à Toronto, on serait enclin à dire, plus souvent, qu’on vit au Canada plutôt qu’en Ontario. Rien à voir, pourtant, avec l’idée qu’on peut se faire du Canada, de ses valeurs ou de sa qualité de vie.

Les Québécois sont tous conscients qu’ils vivent dans un pays qui s’appelle le Canada, mais se comportent comme si le Québec était lui-même un pays. On peut même dire que, dans la vie de tous les jours, le Canada est très peu présent dans « la tête » des Québécois. Au sens où il ne soulève pas les foules ni les passions. Enfin, si parfois. Quand même ! Comme lors des Jeux olympiques de Vancouver, l’année dernière. Ce fort sentiment d’appartenance qu’ont par exemple les Kabyles pour l’Algérie, on ne le sent pas chez les Québécois vis-à-vis du Canada.

Pendant que, le 1 juillet, partout dans ce grand pays de près de 10 millions de km2 d’étendue, de Charlottetown jusqu’à Vancouver, on célèbre la fête nationale, que font les Québécois ? Ils déménagent ou aident leurs proches à le faire ! Et ce n’est pas parce que les Québécois n’ont pas le cœur à la fête (nationale). Les festivités de la Saint-Jean Baptiste (24 juin) réunissent des centaines de milliers de personnes à Québec, à Montréal et en région.

Pourtant, sentiment d’appartenance ou pas, les Québécois sont encore majoritairement favorables à ce que le Québec reste à l’intérieur du Canada, à en croire les sondages. On est différents, mais on reste ensemble ! C’est le message que semblent envoyer les Québécois à leurs « compatriotes » du reste du Canada. On dirait des Colocs ! Des personnes qui ne forment pas un couple et qui choisissent de vivre ensemble - cohabiter - sous le même toit, pour les raisons qui sont les leurs. En général, il s’agit de questions de budget. Beaucoup de Québécois pensent, à tort ou à raison, que le peuple québécois n’a pas les moyens de se donner un pays. Du moins, jusqu’à présent.

Revenons à nos Colocs pour mieux cerner ce qui les caractérise. Ils partagent un espace commun et essaient l’un et l’autre de ne pas empiéter sur l’intimité et les choix de l’autre...dans la mesure du possible. Pas toujours évident tout de même. Il arrive que l’un ou l’autre veuille un peu plus d’espace, plus de liberté ou qu’il ait des désirs de gérer cet espace selon sa sensibilité, ses croyances... L’autre peut acquiescer et trouver un terrain d’entente de façon à continuer de cohabiter comme il peut hésiter, tergiverser, voire s’opposer...etc.

Si on regarde l’histoire, du Canada et du Québec, des trente dernières années, en revisitant les péripéties autour du rapatriement puis de l’adoption (sans le Québec) de la constitution canadienne, des accords du Lac Meech et de Charlottetown, ça ressemble pas mal à des conciliabules de deux Colocs que bien de choses distinguent et qui essaient de s’arranger pour continuer à vivre ensemble.

Le fait est que, pour le Québec et le Canada (ou le reste du Canada - ROC), plus de 30 ans après le rapatriement de la constitution, ils n’ont toujours pas conclu d’entente (Échec des accords du Lac Meech et de Charlottetown) mais n’ont pas décidé non plus de se séparer). Le Québec n’a toujours pas ratifié la constitution canadienne même s’il est reconnu comme une nation depuis 2006. Dans les vingt dernières années, les Québécois (majoritairement) votent toujours différemment du reste du Canada, d’abord pour le Bloc Québécois puis pour le NPD lors de l’élection du 2 mai dernier. Sur nombre de questions de compétence fédérale, on note souvent des écarts importants dans les opinions entre le Québec et le ROC, qu’il s’agisse de l’environnement, de la politique étrangère ou de la culture.

Or pour beaucoup de souverainistes, le projet d’indépendance du Québec trouve sa légitimité dans le fait qu’il constitue la seule voie pour traduire dans la réalité les aspirations de la majorité de la population québécoise en termes de projet de société. Les fédéralistes québécois misent sans doute sur la capacité du reste du Canada à reconnaître un jour le Québec comme une société distincte avec des aspirations légitimes qui lui sont propres et à l’inscrire noir sur blanc dans la constitution. C’est ce qu’on appelle le fédéralisme asymétrique.

Revenons une dernière fois à la métaphore des Colocs pour dire qu’ils sont libres de rester ensemble ou de se séparer, même de façon unilatérale surtout quand ils n’arrivent plus à s’accommoder réciproquement. Il faudrait aussi qu’on reconnaisse au peuple québécois son droit à l’autodétermination. Après, il en fera ce qu’il en voudra.

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