Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Référendum sur l’indépendance de l’Écosse

Document no. 4

Le vote pour l’indépendance peut radicaliser l’Ecosse

Note du traducteur (François Coustal) : Socialist Worker est l’hebdomadaire du Socialist Workers Party (SWP)

Rainie est membre de Socialist Worker

L’ampleur et la profondeur du mouvement en faveur de l’indépendance sont considérables.

Des collectifs se sont formés, rassemblant des partisans de l’indépendance par profession, par nationalité, par orientation sexuelle, par origine ethnique, etc… L’un de ces collectifs est constitué par les « Asiatiques écossais pour l’indépendance ».

Son co-secrétaire, Tahir Mohammed, s’est entretenu avec Socialist Worker. Il nous a indiqué que ce collectif organise des militants qui font du porte-à-porte, tiennent des tables de presse, distribuent des tracts et des journaux devant les mosquées et récoltent des fonds.

« Nous faisons du porte-à-porte trois jours par semaine » nous a confié Tahir. « Mais, au fur et à mesure où l’échéance du référendum se rapproche, on le fait de plus en plus quotidiennement ».

Il souligne que les Asiatiques écossais sont révulsés par « la politique de Westminster hostile à l’immigration ». Il nous cite un sondage en ligne réalisé en juin auprès des auditeurs d’une des principales stations de radio écossaises en direction des Asiatiques qui indiquait un vote de près de 60% en faveur du « Oui ».

« Des collectifs pour l’indépendance ont été constitués par des Chinois, des Africains, des Arabes et d’autres groupes ethniques. Mais il n’existe rien de tel parmi les partisans du Non… ».

L’indépendance est vue comme une occasion de rompre avec le système économique et politique de Westminster et de mettre en œuvre des mesures de justice sociale. Pour beaucoup, l’austérité a approfondi ces sentiments.

Tahir nous explique : « les gens ont vu des usines et des chantiers ferner ; ils ont vu qu’il y avait de moins en moins d’argent dépensé en Ecosse. On y a testé la Poll tax et maintenant la Bedroom tax. Au lieu de dépenser tant d’argent dans l’armement nucléaire, on pourrait consacrer près de 700.000 livres par jour à la santé, à la protection sociale et à l’éducation ».

Cela peut sembler étrange : au fur et à mesure de la montée du soutien à l’indépendance, le nombre de gens qui sont convaincus de ses bienfaits économiques est plutôt en décroissance. Beaucoup pensent maintenant que l’économie écossaise irait plus mal en cas d’indépendance : en un an, le pourcentage est passé de 34 à 44% des sondés. Pourtant, cela ne signifie pas que les gens partagent les arguments de la droite qui considère que les Ecossais sont « accros aux subventions » et vivent dans un Etat assisté qui ne survivra jamais en tant qu’Etat indépendant.

Mais, en ne se concentrant pas sur des propositions comme la répartition des richesses ou la lutte contre les inégalités qui frappent les Ecossais, le Parti national écossais (SNP) aide à semer les graines de l’incertitude.

Alex Salmond, le dirigeant du SNP, a perdu des points dans les débats sur l’économie parce qu’il ne met pas avant les arguments clé qui pourraient faire la différence. Accepter que le débat soit centré sur l’utilisation (ou pas) de la livre sterling revient à se placer sur le terrain des partisans de l’Union.

Et pourtant, il existe un sentiment croissant que l’Ecosse pourrait être différente.

Un élément a été peu souligné et qui, pourtant, montre que taxer les riches et utiliser les ressources de l’Ecosse pour diminuer les inégalités constituent des armes efficaces dans la campagne pour le « Oui » : il y a deux ans, 43% des partisans du « Oui » croyaient que l’indépendance permettrait de réduire le fossé entre riches et pauvres. Ils sont aujourd’hui 78%.

Lors du vote du 18 septembre, les questions de classes et de richesse vont compter énormément. Selon les différents sondages, le soutien à l’indépendance atteint 38% dans les zones les plus pauvres et les plus ouvrières, soit 13 points de plus que dans les zones aisées.

Dans les sondages, le « Non » reste en tête de 10 points. Mais au moins un tiers des votants n’a pas encore fait son choix… L’offensive de la campagne du « Non » fondée sur le chantage en matière économique et monétaire a provoqué beaucoup de colère et dopé le soutien au « Oui ».

Gail Morrow est une militante active contre la « bedroom tax ». Elle a contribué à l’organisation du succès de la tournée « L’espoir plus fort que la peur », avec le dirigeant socialiste Tommy Sheridan. Elle a expliqué à Socialist Worker pourquoi près de 15.000 personnes sont venues l’écouter parler de l’indépendance.

« Les gens sont sans arrêt martelés par des coups bas, destinés à leur insuffler la peur. Mais ils réalisent peu à peu que la politique n’est pas hors de leur portée. »

Lors d’une récente réunion du vendredi soir, des centaines de personnes se sont pressées dans un local communal à Wishaw, près de Glasgow. Dans la salle, la principale préoccupation n’était pas de savoir si, après l’indépendance, il y aurait ou non une devise commune avec l’Angleterre…. Mais, il y a eu de nombreux échanges pour être bien sûr que les hommes politiques devraient rendre des comptes et pourraient être virés s’ils étaient pris à mentir pour obtenir des suffrages. Les gens étaient mobilisés par la refondation de la santé et de l’éducation comme des services publics, gratuits et de qualités. Ils voulaient savoir comment serait possible une Ecosse où les classes laborieuses ne seraient plus punies pour les fautes des riches.

Un jeune chômeur a demandé : « est-ce que quelqu’un sait où est Tony Blair et pourquoi il n’est pas en prison pour crimes de guerre ? Est-ce que vous pensez que nous devons devenir une République et nous débarrasser de la monarchie ? Quel est votre point de vue sur la dépénalisation du cannabis ? »

Le meilleur moyen de contrebalancer la campagne dominante sur le référendum, c’est encore de défendre la vision radicale d’une société différente et de présenter les moyens d’y parvenir !

Ne pas le faire permettra à la campagne des partisans de l’Union de rebondir. Défendre la possibilité d’une autre Ecosse rencontre une approbation enthousiaste. Cette semaine, la Radical Independance Campaign a procédé à son second sondage de masse. 587 militants ont fait du porte-à-porte dans 43 quartiers populaires. Les résultats confirment ceux du premier sondage réalisé en juin : 42% pour le « Oui », 28% pour le « Non » et 30% d’indécis.

Le Parti travailliste s’est divisé sur l’indépendance. Beaucoup de ses membres sont en colère contre le pacte en faveur de l’austérité, passé avec les Conservateurs et les Libéraux-Démocrates dans le cadre de la campagne « Mieux ensemble ». Tellement en colère que les dirigeants du Parti travailliste ont du lancer une autre campagne - Unis, avec le Parti travailliste – qui était censée renouer avec la base. Mais qui s’est trouvée confrontée à une concurrence venue de la base, à travers la campagne des « Travaillistes pour l’Indépendance ».

Bob Thomson, militant travailliste depuis un demi-siècle et ancien président du Parti travailliste écossais, est aujourd’hui un des animateurs de la campagne pour le « Oui ». Il a confié à Socialist Worker : « nous menons campagne avec des membres du parti travailliste de tous les âges et de toutes expériences : des maires, des animateurs de conseils municipaux, des permanents du Parti, les jeunesses socialistes du Parti travailliste, etc… »

Selon un sondage publié le mois dernier, de plus en plus d’électeurs travaillistes sont convaincus par ces arguments. Il indique que 28% des électeurs ayant voté pour le Parti travailliste lors des élections au Parlement écossais (en 2011) vont voter « Oui », soit 7 points de plus que lors du sondage précédent.

Bob précise : « voter oui, ce n’est pas voter pour Alex Salmond ou pour le SNP. C’est voter pour le changement et l’espoir, pour créer l’occasion de mettre en œuvre des politiques et des valeurs authentiquement travaillistes ».

Pendant les quatre dernières années de règne des Conservateurs, le niveau de vie de la classe ouvrière a été sauvagement attaqué. C’est pourquoi il est si important d’argumenter contre les privatisations et pour la défense des services publics.

C’est aussi pourquoi il faut soutenir les 70.000 fonctionnaires locaux du syndicat Unison qui sont actuellement consultés sur la décision de se mettre en grève et de rejoindre le mouvement pour les salaires. S’ils votent « Oui », cela augmentera d’autant le potentiel de la grève du 14 octobre…

Le gouvernement écossais, dirigé par le SNP, sent bien l’état d’esprit populaire hostile aux Conservateurs et a déjà plaidé pour la renationalisation de Royal Mail (note du traducteur : équivalent de La Poste) et l’arrêt des privatisations dans le secteur de la santé.

Il ne fait aucun doute que la victoire du « Non » ouvrirait la voie à de nouvelles attaques contre les services publics. Les partis regroupés dans « Mieux ensemble » se sont engagés à de nouvelles coupes budgétaires, à de nouvelles privatisations, à des réductions supplémentaires d’emplois dans le secteur public et au gel des salaires.

Gail pense que « n’importe quoi sera mieux que ce que nous subissons aujourd’hui », mais elle se désole que son fils doive s’expatrier pour avoir un meilleur avenir, si le « Non » l’emporte. Elle espère aussi qu’un vote « oui » serait une source d’inspiration pour le combat pour une société plus juste, à travers l’ensemble de la Grande-Bretagne.

Bien que l’opposition à l’austérité du gouvernement conservateur soit l’élément clé de la campagne pour l’indépendance, les récentes mobilisations pour Gaza ont également soulevé la question de l’impérialisme britannique et de son soutien à Israël. Ces mobilisations ont fait pression sur le gouvernement écossais afin que celui-ci appelle à l’embargo sur les armes à destination d’Israël, fournisse une aide médicale pour les blessés de Gaza et accepte d’accueillir des réfugiés palestiniens. Cela représente un contraste saisissant avec le soutien qu’apporte le Conservateur David Cameron à l’état d’apartheid que constitue Israël.

Même si pour le SNP ce n’étaient que des mots, le peuple écossais a pu avoir un aperçu de ce que pourrait être une politique étrangère différente après un vote « Oui ».

Socialist Worker soutient le vote pour l’indépendance. Nous sommes partisans d’une rupture avec l’Etat impérialiste britannique et de l’affaiblissement de sa capacité à se joindre aux aventures militaires et guerres illégales des Etats-Unis à travers le monde.

L’indépendance serait un coup porté des deux côtés de la soi-disant « relation spéciale ».

Un vote « Oui » remettrait également en cause le statut de la Grande-Bretagne comme puissance nucléaire dominante et soulèverait la question de la renonciation à ses capacités nucléaires.

Nous ne devons avoir aucune illusion : un vote « Oui » ne conduira pas à une Ecosse socialiste. Dans une Ecosse indépendante et capitaliste, il y aura toujours des patrons qui réclameront plus de coupes budgétaires et il y aura toujours des politiciens qui voudront les mettre en œuvre.

Nous devrons toujours être vigilants et nous assurer que la direction du SNP ne parvienne pas à réaliser son souhait du maintien de l’Ecosse dans l’OTAN. Un vote « Oui » sera un vote contre la guerre et l’armement nucléaire. Mais on ne peut faire confiance au SNP à ce sujet.

Ce sont la lutte contre l’austérité, l’opposition à la guerre et à la pauvreté qui motivent les milliers de militants de l’indépendance. Nous devons défendre la perspective d’un véritable changement si nous voulons convaincre les électeurs de la classe ouvrière d’être la force décisive qui fera la décision le 18 septembre.

Quelle que soit l’issue du scrutin, cette campagne a soulevé parmi les gens ordinaires des espoirs de changement : il sera difficile pour la classe dirigeante de remettre le couvercle.

Il nous faut jeter toutes nos forces dans la bataille pour que la Grande-Bretagne appartienne désormais au passé…

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