Édition du 18 juin 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Référendum sur l’indépendance de l’Écosse

Document n° 3

Pas d’excuse pour le « Non » !

Note du traducteur (François Coustal) : Counterfire est un site et un réseau militant animé par d’anciens dirigeants ayant quitté le SWP (Socialist Workers Party)

Le référendum sur l’indépendance de l’Ecosse aura lieu le 18 septembre. C’est un défi majeur au statu quo constitutionnel du Royaume-Uni, qui peut libérer tout le potentiel d’une offensive en profondeur contre les politiques pro-capitalistes qui ont dominé ce pays depuis une trentaine d’années.

C’est pourquoi tout partisan du socialisme, toute personne qui s’identifie avec la gauche politique devrait soutenir sans réserve la campagne pour le « Oui ». Pas seulement au nord de la frontière, là où la gauche radicale écossaise, dans son immense majorité, soutient l’indépendance. Mais aussi en Angleterre et au pays de Galles.

Il y a trois raisons à cela. D’abord, l’argumentation en faveur du « Non » est fondamentalement rétrograde. Ainsi que l’a montré Alex Salmond dans un débat télévisé récent où il a réduit en bouillie Alistair Darling, le porte-parole du « Non », la campagne « Mieux ensemble » a bien du mal à sortir des outrances et du chantage à la peur. Son principal atout – les incertitudes sur ce que serait la devise monétaire en vigueur en Ecosse après l’indépendance – s’est avéré être un pur bluff. Darling a du admettre que « naturellement, l’Ecosse pourrait continuer à utiliser la livre ».

Des prix Nobel d’économie comme Joseph Stiglitz et James Mirrlees l’ont confirmé. En cas de proclamation de son indépendance, l’Ecosse pourra utiliser la devise qu’elle choisira. L’argument massue suivant – à savoir le tarissement des ressources pétrolières de la Mer du Nord – ne résiste pas plus à l’analyse. Des experts de cette question, comme le Professeur Alex Kemp ainsi que Donald Mackay, ont parfaitement montré – tout comme les compagnies pétrolières par l’intermédiaire de leurs propres plans d’investissements – que ces réserves pétrolières représentent encore des milliards de livres.

Et les militants du Parti national écossais (SNP) ne sont pas non plus les « conservateurs en kilt » qui peuplent les fantasmes de certains progressistes anglais. Sous la direction de Alec Salmond, le SNP s’est positionné de manière indéniable à la gauche du Parti travailliste, en défense des acquis de l’après-guerre – l’Etat providence, le système public de santé – contre le néolibéralisme en vigueur à Westminster. Le SNP s’est opposé à la guerre en Irak, il soutient la Palestine et veut se débarrasser des Tridents. Il a habilement utilisé les pouvoirs concédés par la dévolution pour repousser certains frais scolaires. Et pour abolir la Bedroom tax. Le meilleur argument développé par Salmond reste cependant l’affirmation qu’un vote en faveur de l’indépendance constituerait la meilleure défense contre la privatisation rampante du système public de santé.

La direction du SNP a, en quelque sorte, bien identifié la clé du succès. C’est la seconde raison de voter « Oui ». C’est, sans l’ombre d’un doute, un vote de classe. Comme le montre l’enquête (portant sur 18.000 sondés) réalisée par la Radical Independance Campaign, il y a un énorme soutien à l’indépendance parmi les communautés de base les plus populaires. A l’inverse, le « Non » est hégémonique dans les classes aisées. C’est simple à comprendre. Le vote « Non » est un vote pour le statut quo. Si vous pensez que le statut quo n’est pas une si mauvaise chose – si vous vous en sortez bien – vous n’allez pas soutenir sa remise en cause ! Les catégories sociales qui, en Ecosse, sont marginalisées, exclues et exploitées sont la base naturelle du changement.

Pour que le « Non » l’emporte, il faudrait que ces catégories sociales-là se détournent des urnes. Si ceux qui sont habituellement exclus de vie politique écossaise restent dans cet état d’exclusion, alors l’Union avec le Royaume-Uni subsistera. Pour que le « Oui » ait une chance de l’emporter – et les sondages montrent maintenant qu’il a une chance de l’emporter – alors il faut mobiliser la classe ouvrière écossaise.

L’enjeu n’a rien à voir avec « la division de la classe ». Il a tout à voir avec la division de l’Etat. Certes, l’indépendance n’est pas une question de classe chimiquement pure. A peu près aucune question, d’ailleurs, ne l’est… Mais les partisans anglais du socialisme qui s’échauffent et rechignent aux « illusions » du nationalisme montrent un manque assez étonnant de lucidité. Le nationalisme écossais n’est pas un produit incongru venu de l’extrême Nord, alors que le soutien à l’Etat britannique serait l’ordre naturel des choses, qu’il ne vaudrait pas le coup d’interroger. Ces « internationalistes » qui sont partisans du « Non » afin de s’opposer au nationalisme écossais cherchent la paille dans l’œil du voisin sans voir la poutre qu’ils ont dans le leur. Quels que soient les méfaits du nationalisme écossais, ils ne sont rien comparés aux crimes mondiaux et historiques du nationalisme britannique. Et soutenir le « Non », c’est soutenir le nationalisme britannique !

Ceci est la clé de la troisième raison, décisive, de soutenir le « Oui ». C’est pour cela que le référendum revêt une telle importance, aussi bien au Nord qu’au Sud de la frontière. C’est l’espoir soulevé par la Radical Independance Campaign que - contrairement à la campagne officielle pour le Oui qui, jusqu’à récemment, a été à la peine en mettant en avant la continuité - l’indépendance pourrait déboucher sur une rupture décisive avec les politiques néolibérales dont la majorité des Ecossais est victime depuis des décennies. Cette campagne a impliqué des forces politiques nouvelles, elle a restructuré la gauche radicale et aidé à créer un débat national sur le type de société que l’Ecosse pourrait devenir.

C’est une rupture avec la tradition du socialisme britannique, selon laquelle un Etat unique, unitaire, allié à son mouvement ouvrier uni introduirait des changements sociaux radicaux à travers toutes les îles britanniques. L’apogée de cette tradition a été le gouvernement travailliste de 1945 à 1951, avec la création de l’Etat providence moderne. Mais, en tant que vision de la manière de transformer la société britannique, c’est complètement caduc. Depuis trois décennies, notre Etat de plus en plus centralisé s’est lancé à l’assaut des acquis de 1945. Westminster a toujours réglé son pas sur la City, au point où c’est un gouvernement travailliste qui a mobilisé les immenses ressources de l’Etat pour venir au secours des banques, dégageant ainsi le chemin pour des attaques austéritaires à grande échelle. C’est Alastair Darling - ne l’oublions pas ! - qui, en tant que Ministre des Finance et du Trésor travailliste, a promis « des coupes budgétaires plus importantes que celles faites par Thatcher »…

C’est ce même Etat centralisé et unitaire qui, au cours de la dernière décennie, est entré plusieurs fois en guerre. L’héritage de cet Empire brutal continue à s’incarner à travers son surarmement et la volonté de s’en servir. La Grande-Bretagne, qui ne représente que 0,89 % de la population du globe, reste le sixième pays au monde pour les dépenses militaires ! Personnellement, j’ai vécu toute ma vie d’adulte dans un pays qui, soit bombardait, soit envahissait et occupait une région ou une autre, avec des conséquences épouvantables. Il a fallu le soulèvement, immense et populaire, du mouvement anti-guerre pour freiner le bras de l’Etat britannique. Briser cet Etat guerrier, miner sa capacité d’agir à l’étranger – comme le permettrait l’indépendance de l’Ecosse - constituerait un acquis considérable pour le monde entier.

Tous les partis de Westminster partagent les mêmes convictions quant aux principales questions de politique intérieure. A l’intérieur du système de Westminster, aucun défi sérieux au consensus austéritaire n’est possible. L’Etat britannique est désormais cadenassé par le néolibéralisme. L’espoir - né des rêves du socialisme britannique - de voir une classe ouvrière unie utiliser l’Etat pour bâtir des acquis historiques s’éloigne : à l’inverse, cet Etat de plus en plus centralisé est utilisé pour briser et atomiser la classe ouvrière britannique. Cette centralisation extrême qui était supposée faciliter la marche au socialisme s’est retournée en son contraire, au gré des gouvernements qui se sont succédés depuis les années 1970.

On ne fera pas fonctionner cette machine en sens inverse. Il faut s’en débarrasser. Comme l’un des participants à un débat télévisé l’a récemment soulevé : « si c’est mieux d’être ensemble… alors, pourquoi ne sommes nous déjà pas… mieux ? » Si le résultat du vote est serré – et tout porte à croire qu’il le sera… - alors, quelle que soit l’issue, il s’en suivra une série de crises politiques. Pour le Parti travailliste qui a passé un accord insensé avec les Conservateurs ; pour le système de Westminster dans sa globalité tant il est maintenant confronté à un rejet massif de la part d’un nombre grandissant de citoyens. Les premiers bruissements d’une campagne pour une dévolution anglaise se font entendre, anticipant des craquements plus importants à venir dans ce qui est peut-être la machine d’Etat la plus centralisée de toutes les principales économies du monde.

Nous ne pouvons pas donner des garanties sur ce qu’il adviendra de l’indépendance. Si le vote est en faveur de l’indépendance, alors le combat commencera pour approfondir les gains historiques de la classe ouvrière au Nord de la frontière. Et, pour nous, commencera la mobilisation pour s’assurer que le Royaume-Uni restant respectera la volonté du peuple écossais. Mais il y a une possibilité de briser les chaînes qui entravent notre démocratie et de casser la machine constituée par Westminster et la City. Alors, il faut saisir cette possibilité à pleines mains !

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