Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Référendum sur l’indépendance de l’Écosse

Ecosse : les enjeux du 18 septembre

Ce week-end, pour la première fois, un sondage donnait une légère avance (51 % contre 49) au vote en faveur de l’indépendance. Pronostiquer la victoire du « Oui » » à partir de ce seul élément serait pour le moins osé. Il n’en reste pas moins qu’il indique sûrement une tendance : celle de la remontée du « oui », alors que, il y a quelques mois, au tout début de la campagne référendaire en Ecosse, les partisans de l’indépendance partaient avec un retard certain (près de 20 points).

(https://www.ensemble-fdg.org/content/ecosse-les-enjeux-du-18-septembre)

D’autant qu’ils ont été contraints d’affronter une sorte d’union sacrée pro-britannique qui regroupe la coalition gouvernementale au pouvoir au Royaume-Uni – c’est-à-dire les Conservateurs alliés aux Libéraux-Démocrates – mais aussi son « opposition officielle », le Parti travailliste (Labour Party). Ainsi que l’UKIP – le Parti pour l’Indépendance du Royaume-Uni - un mouvement anti-européen et anti-immigrés dont les dernières élections européennes ont sanctionné la progression inquiétante. Il ne s’agit pas seulement d’une convergence de facto : toutes ces forces, qui occupent, au moins au plan institutionnel, la quasi totalité du champ politique au Royaume-Uni, se sont effectivement regroupées au sein d’une coalition - « Better together » - qui mène une campagne acharnée contre l’indépendance écossaise. Comme si cette cause-là l’emportait de loin sur les divergences que ces forces politiques du système ont ou prétendent avoir entre elles…

Depuis, une double campagne en faveur du « oui » s’est développée. La première est impulsée par le Parti national écossais (SNP), dont les succès électoraux sont à l’origine du référendum. Extrêmement modérée sur le fond politique (et social), elle vise surtout à rassurer et à contrebalancer les prophéties alarmistes des opposants à l’indépendance. Sous la bannière de la Radical Independence Campaign, la gauche radicale ainsi que de nombreuses associations sociales et culturelles, mène une campagne de proximité qui semble avoir produit ses effets : multiplication des « évènements populaires » regroupant les partisans du « Oui » et remontée de ces derniers dans les sondages.

Comme un parfum de TCE ?

Il faut naturellement se garder des raisonnements par analogie et de projeter nos propres expériences sur une situation politique très spécifique. Pour autant, certaines ressemblances avec la situation que nous avons vécue ici en 2005 sautent aux yeux. De même qu’alors la quasi totalité de la classe politique institutionnelle s’était engagée en faveur du « Oui » au Traité constitutionnel européen, de même c’est l’ensemble de la classe politique britannique et de ses partis qui font taire leurs divergences pour mener ensemble campagne contre l’indépendance de l’Ecosse.

Comme alors, se multiplient pétitions et prises de positions favorables au maintien dans le Royaume-Uni, venant de célébrités et d’artistes. Ainsi 200 artistes – dont Mike Jagger viennent de se prononcer pour le « Non ». Ils ont été rejoints plus récemment par Paul McCartney. De son côté, JK Rowling, la créatrice de Harry Potter, finance très généreusement – un chèque de plus d’un million d’euros, quand même… – la campagne pour le « Non ».

Les grands médias ne sont pas en reste : tous hostiles à l’indépendance, ils présentent à longueur de colonnes cette éventualité comme un saut dans l’inconnu. Et, parallèlement, développent sans retenue les habituels stéréotypes relatifs aux Ecossais. On retrouve d’ailleurs dans cette campagne l’étalage d’un mépris de classe assez semblable à celui dont les partisans du TCE accablaient leurs opposants, incapables de comprendre la « modernité » de l’union européenne : les indépendantistes écossais sont fréquemment présentés comme un peu benêts, passéistes – le kilt… - et, par ailleurs, comme des assistés ne survivant que grâce aux subventions versées par l’Etat britannique pour maintenir à flots une région à la dérive.

Autre similitude, précisément : l’importance de la « détermination de classe » dans le vote. La plupart des études et des sondages réalisés montrent sans ambiguïté que c’est bien dans les quartiers ouvriers et dans les couches populaires paupérisées que les intentions de vote en faveur de l’indépendance sont les plus élevées, alors que les couches aisées et les élites plébiscitent le maintien au sein du Royaume-Uni.

On lira ci-après une traduction d’un article de la Radical Independence Campaign détaillant les résultats d’une sorte de « sondage » effectué par leurs soins. Naturellement, on ne peut extrapoler le résultat final du vote à partir de cette étude car, comme c’est d’ailleurs indiqué dans l’article, elle est doublement « biaisée » : d’abord parce qu’elle a été réalisée en porte-à-porte par des militants indépendantistes ; et, ensuite, parce qu’elle a ciblé prioritairement les quartiers les plus populaires. Par contre, elle met bien en évidence la corrélation entre question sociale et intention de vote sur l’indépendance. Et elle confirme que l’attachement traditionnel au Parti travailliste, qui remonte à des dizaines d’années, est aujourd’hui fortement ébranlé par la participation de ce parti à la coalition anti-indépendantiste.

Enfin, au titre des analogies avec 2005, on notera évidemment que les partisans de l’indépendance, se heurtant au rejet des élites et à la difficulté d’accéder à des médias hostiles, ont été conduits à développer une campagne « citoyenne », de terrain, avec des collectifs, des animations à la base, des petites réunions, du porte-à-porte, scandée par quelques grands rassemblements.

Vers une crise politique majeure ?

Après la publication du premier sondage indiquant la possibilité que, finalement, le « Oui » l’emporte, la classe politique britannique vient de sonner la mobilisation générale. Ainsi, dans l’espoir de désamorcer les aspirations indépendantistes, David Cameron devrait annoncer sans tarder l’accélération de la dévolution et le transfert de nouveaux pouvoirs au Parlement et au gouvernement écossais. Ainsi, le Parti travailliste envisage d’envoyer cette semaine une centaine ( !) de ses députés en Ecosse pour tenter de renouer avec sa base.

Simultanément, les uns et les autres essaient à nouveau de susciter la peur. Longtemps, les Conservateurs ont utilisé la question de l’utilisation de la monnaie – la livre sterling – dont ils prétendaient priver les Ecossais en cas de vote favorable à l’indépendance. Ce chantage a fait long feu. Aujourd’hui, c’est Ed Milliband, le leader du Parti travailliste, qui prédit la construction d’une véritable frontière entre l’Ecosse et l’Angleterre…

En fait, il est possible que ces diverses manœuvres s’avèrent plutôt contre-productives : des nombreux électeurs écossais sont de plus en plus irrités contre la classe politique, parce qu’ils ont l’impression que l’on veut leur forcer la main et qu’au fond, pour les dirigeants politiques, il y a bien un référendum mais avec, en fait, une seule réponse possible…

Il est trop tôt pour anticiper ce que seraient les conséquences d’un vote en faveur de l’indépendance. Mais, sans nul doute, une série de crises politiques majeures secouerait les grands partis britanniques. Naturellement, l’autorité de David Cameron serait durement affectée par un résultat qui, fatalement, apparaîtrait comme un désaveu sans appel de son gouvernement et de sa politique : il est clair que le refus de la politique gouvernementale d’austérité a constitué un puissant accélérateur de la remontée du « Oui ». Quant la direction du parti travailliste, elle serait au moins autant touchée : vu la carte électorale de l’Ecosse, une victoire du « Oui » signifierait forcément que de très nombreux électeurs travaillistes n’ont pas suivi sa consigne de vote et commencent à secouer son emprise. Enfin, venant après les déboires de la monarchie espagnole couplée au désaveu de la classe politique madrilène et à la montée des revendications nationales, un tel résultat remettrait la question de la République sur le devant de la scène européenne…

En conclusion, quelques mots sur la gauche radicale.

A commencer par Left Unity : récemment créé à l’appel de Ken Loach, Left Unity se veut un parti large. Tout à fait radical en ce qui concerne les questions sociales et « sociétales », il n’assume pas pour autant l’héritage théorique de la gauche révolutionnaire sur l’ensemble des sujets, notamment en ce qui concerne les « questions nationales ». Ainsi, Left Unity n’a pas pris position, en tant que parti, à propos du référendum écossais. Mais, au cours des derniers mois, une tendance (à vocation provisoire) s’est constituée au sein de Left Unity afin de mener campagne : la tendance « Oui à la République écossaise ». Outre une activité de propagande pour le « Oui », ce regroupement a organisé une réunion publique à Londres, dont la principale oratrice était Bernadette MacAliskey, militante historique du mouvement républicain irlandais, ancienne animatrice du mouvement pour les droits civiques au début des années 1970. On peut écouter son intervention sur le site de Socialist Resistance :

http://socialistresistance.org/6686/we-need-an-independent-scotland-bernadette-mcaliskey

On trouvera ici le tract d’appel à ce meeting, ainsi que des articles (traduits) de la Radical Independance Campaign, de Counterfire (site et réseau militant animé par d’anciens dirigeants du SWP) et de Socialist Worker (l’hebdomadaire du SWP).

Ces documents illustrent l’engagement de la gauche radicale, en Ecosse comme au Royaume-Uni, en faveur de la bataille pour l’indépendance de l’Ecosse. Ils fournissent des éléments intéressants sur la manière dont se mène cette campagne, aussi bien en Ecosse que dans le reste du Royaume-Uni. Enfin, ils éclairent aussi la variété des analyses, des motivations et des approches qui sont celles de ces différents courants, notamment sur l’appréciation de ce que représente le Parti national écossais. Ou encore sur la dynamique et le contenu de l’indépendance…

François Coustal

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