Elle témoigne d’un rejet de la gauche institutionnelle, politique et syndicale, et se manifeste par une occupation durable de l’espace public urbain au moyen de campements. Le mouvement des indignés marque une rupture dans la vie politique espagnole et connaît aujourd’hui une extension impressionnante en Grèce, avec des retombées en France et en Belgique. Dans quel contexte ce mouvement est-il apparu et quels sont ses principaux enjeux ?
Prologue
Aujourd’hui, vendredi 20 mai à 9 h. du soir, à la Puerta del Sol (Madrid) et sur d’autres places dans plus d’une centaine de villes de l’État espagnol, des dizaines de milliers de personnes manifestent leur indignation contre la dictature des marchés et contre un système politique. Elles contestent la prétendue représentativité de ce dernier et partagent l’espoir d’une autre société et d’une autre politique : les uns l’appellent « démocratie réelle », les autres « révolution ».
L’enthousiasme excuse les hyperboles abondantes à propos de ce mouvement, qui a débuté le 15 mai à Madrid. On fait des analogies avec la prise de la Bastille [14 juillet 1789], la Commune de Paris [18 mars-28 mai 1871] ou avec la place Tahrir [Le Caire, dès le 25 janvier 2011].
Bien sûr, nous ne sommes pas en présence d’une révolution, même s’il s’agit peut-être du désir de voir une révolution en finir avec le vieux monde capitaliste.
Après 18 jours, l’ayant payé de 846 morts, de milliers de blessés et de détenus, les manifestant·e·s de la place Tahrir ont affronté une dictature sanguinaire et obtenu la chute du dictateur [Hosni Moubarak]. C’est l’une des épopées les plus héroïques de notre époque. En revanche, dans mon pays, nous assistons aujourd’hui à un soulèvement d’indignation citoyenne, rien de moins et rien de plus, porté par un cri collectif : « Ça suffit ! ». Certes, on peut y décerner l’« écho » des révolutions arabes :
– Par exemple, l’occupation d’un espace public pour en faire effectivement un espace public, et non plus de simples lieux de passage pour des consommateurs et des passants renfermés, femmes et hommes ; de petites villes alternatives basées sur la coexistence, l’échange des idées, la reconnaissance des intérêts, des amis et des ennemis communs, des villages de la « cité future » ;
– Le potentiel organisationnel de la communication par le biais des réseaux sociaux, qui permet de partager les informations et les opinions en comprimant le temps et l’espace, d’une manière instantanée et proche, sans doute chaotique, mais adéquate pour ce mouvement qui surgit, pluriel et divers – particulièrement dans sa composante jeune, pour laquelle le réseau est une forme de relation sociale naturelle ;
– Enfin, le dépassement et le rejet de la peur, qui sera mis à l’épreuve ce soir à minuit, lorsqu’entrera en vigueur l’interdiction des campements par la junte électorale et l’exigence de leur démantèlement par la police. Les gens du « 15 mai »
– nom que s’est donné le mouvement, en référence à sa date de naissance – ont déjà dit qu’ils ne bougeraient pas. Et ils ne bougeront pas.
Ces échos semblent, et heureusement qu’ils le sont, les héritiers d’un internationalisme du 21e siècle, fait d’apprentissage et de fraternité. Cet internationalisme ne transmet ni programme ni consignes, mais des impulsions à l’imagination, cette puissance révolutionnaire si oubliée et si nécessaire, spécialement pour ouvrir des chemins, là où il semble ne pas en exister. On me dit qu’aujourd’hui même des dizaines de personnes se sont rassemblées à Genève en solidarité avec le mouvement du 15 mai ; des actions similaires se produisent dans d’autres lieux du monde, écoutant aussi les échos qui arrivent des campements de mon pays, comme un message dans une bouteille lancée à la mer du capitalisme pour dire : « Faites comme nous ! ». Enfin, il existe une mer et les tempêtes s’approchent.
Le mouvement du 15 mai a conquis en à peine quelques jours une légitimité énorme en désobéissant aux normes établies, en exerçant des droits sans se demander si ceux-ci sont autorisés ou non par les pouvoirs et les règles qui régissent la servitude citoyenne quotidienne. Là se trouve, me semble-t-il, la valeur la plus importante de cette expérience vécue par des milliers de personnes. raison pour laquelle il ne faut pas la considérer comme un bel, mais éphémère, feu d’artifice : c’est une lumière durable qui nous montre des brèches que nous ne voyions pas auparavant.
C’est aussi un réveil qui interpelle la société, qui lui pose des problèmes politiques réels, par-delà les rites ennuyeux des campagnes électorales. Depuis le 15 mai, bien que nous nous trouvions en pleine campagne pour les élections municipales et régionales, le mouvement – et non les campagnes des candidat·e·s – est le protagoniste de l’actualité politique.
Ce mouvement interpelle aussi les « avant-gardes », heureusement débordées par un événement imprévisible, pour lequel il n’y a pas de réponse dans les livres, dans lequel il s’agit surtout d’apprendre et de participer, en faisant que l’enthousiasme partagé n’évite pas de regarder le mouvement réel en face, sans trop le théoriser quand il vient à peine de naître.
Chaque mouvement social construit sa propre grammaire. nous pouvons comprendre plus ou moins difficilement les grammaires de l’écologisme, du féminisme, du syndicalisme… Mais nous avons plus de peine à comprendre la grammaire de ce nouveau mouvement, parce qu’il se construit maintenant, entre consensus et conflits, dont nous ne savons pas où ils vont aller, ni même s’ils déboucheront sur un mouvement social articulé.
En tout cas, le mouvement du 15 mai est maintenant sans aucun doute « le mouvement réel qui critique l’ordre existant », ou pour le dire d’une autre manière, « l’anticapitalisme social réellement existant ». il a sans doute devant lui un avenir difficile, très exigeant. Mais nous pouvons dire avec confiance que plus rien ne sera comme avant et que tout sera meilleur qu’avant.
I. Je voulais commencer par une note d’espoir, parce qu’il y a peu de raisons d’espérer dans les pays concernés par mon exposé : le Portugal, l’Irlande, la Grèce et l’Espagne. Trois d’entre eux sont déjà soumis aux plans de sauvetage de la « troïka » barbare : Fonds monétaire international (FMi), Union européenne (UE) et Banque centrale européenne (BCE). Le quatrième – mon pays, l’Espagne – se trouve sur une frontière mouvante et peut connaître dans ces prochains mois une situation similaire, selon la volonté des « marchés ». Un guignol – parmi tous les chroniqueurs qui sévissent dans les pages d’opinion des grands médias – s’est cru spirituel en baptisant ces quatre pays « PIGS », c’est-à-dire « cochons ».
Le cochon est un animal sympathique, particulièrement généreux pour l’alimentation humaine. Si l’on veut utiliser son nom comme insulte, il faudrait l’appliquer à cette « troïka » d’agents de la finance, mal déguisés en services publics, ou à leurs dirigeants en fonction, ou qui ont récemment démissionné.
On parle d’« aide », de « plan de sauvetage ». Quel sauvetage ? Le Bloc de Gauche (Portugal) a dénoncé très clairement le contenu de ces plans : sur la supposée « aide » de 78 milliards d’euros accordée récemment au Portugal, 12 milliards sont destinés aux banques portugaises ; 50 milliards aux créanciers étrangers (en majorité de grands groupes financiers européens) ; de plus, les intérêts de cette « aide » coûteront au peuple portugais des montants s’élevant à 30 milliards d’euros.
Ainsi, en même temps que l’on détruit l’« État-providence » pour la population, on crée un « État providence » pour la finance, dont les classes travailleuses payent le coût avec le chômage, les baisses de salaires, les coupes dans les services publics et la perte de droits sociaux.
Le chômage est le problème social le plus grave de ces pays : son taux est de 16 % en Irlande, de 20 % en Espagne. il est bien plus élevé pour les jeunes : 45 % en Espagne.
On comprend bien la nature de ces aides, en constatant qu’en Grèce – qui a déjà enduré une année de « sauvetage », mille emplois disparaissent chaque jour. Nul ne doute que des processus similaires se dérouleront dans ces pays durant de longues années, si l’on ne réussit pas à imposer une résistance efficace à cette version européenne des néfastes « plans d’ajustement structurels », qui – sous l’égide du FMI – ont dévasté tant de pays du Sud dans les années 1980.
Dans ces conditions, ce qui est étrange, ce ne sont pas les campements sur les places de mon pays. Ce qui devrait nous étonner, c’est qu’ils aient tant tardé et qu’ils ne se soient pas déjà étendus à toute l’Europe.
II. Alors que la plus grande crise du capitalisme de ce dernier siècle dure depuis trois ans, pourquoi des explosions sociales importantes n’ont-elles pas eu lieu ? Je propose quelques idées pour en débattre, qui pourront ensuite servir à mieux définir nos tâches.
1. Socialement, la crise avance comme une inondation lente, mais constante : elle progresse du bas vers le haut de l’édifice social et commence déjà à toucher sérieusement les secteurs de « consommateurs solvables », qui pensent pourtant pouvoir y échapper et sont la base de la stabilité économique et sociale du système ; dans les pays, dont nous traitons, ces secteurs représentent 30-40 % de la population.
« Être sauvé des conséquences de la crise », cela signifie fondamentalement disposer de revenus qui permettent d’acheter sur le marché les services et les droits sociaux dont la majorité de la population se trouve privée par les politiques d’« ajustement ». A mesure que ce pouvoir d’achat se détériore, on valorise les services et les droits sociaux perdus. Ainsi, les consensus sociaux actifs qui soutiennent le système tendent à s’affaiblir et des possibilités de convergences s’ouvrent entre une partie de ces secteurs sociaux et les classes travailleuses qui souffrent déjà des effets de la crise dans toute sa dureté.
2. La majorité de la population est déjà sérieusement affectée par la crise, mais elle ne dispose pas d’outils de lutte sociale et politique pour y faire face. raison pour laquelle elle ne se reconnaît pas elle-même comme sujet collectif, avec une conscience claire de l’adversaire et avec la conviction qu’il est possible de l’affronter et de le vaincre. Dans ces conditions, un malaise fragmenté se fait jour : les victimes de la crise se regroupent en « poches » sans relations entre elles ; elles n’ont pas d’expériences continues d’action commune ; elles manquent d’une expression politique qui orienterait leur désespoir et leur rage contre le capitalisme, et elles se trouvent mal protégées face à la démagogie de la droite et de l’extrême droite.
Après trente ans de néolibéralisme aux effets dévastateurs – non seulement sociaux et politiques, mais aussi idéologiques et moraux -, la dynamique dominante du malaise social ne s’oriente pas naturellement vers la gauche. il existe déjà de nombreuses preuves que ce malaise peut bénéficier à la droite et à l’extrême-droite, bien que dans le cas de nos quatre pays, l’extrême droite n’a pas encore une expression politique autonome significative.
On peut estimer qu’il s’agit d’un paradoxe, mais en réalité, à l’occasion de la plus grave crise capitaliste, il faut ramer à contre-courant pour construire une alternative anti-capitaliste.
3. Les organisations appelés en premier lieu à défendre les intérêts des victimes de la crise sont les « institutions de la gauche » : syndicats majoritaires et partis parlementaires. Leur échec cuisant contribue de manière décisive à la démoralisation et à la désorientation des classes travailleuses.
Il est certain que les syndicats majoritaires sont indispensables pour organiser des mobilisations et des grèves générales (ou qui tentent de l’être). De fait, ils les ont organisées au Portugal, en Espagne et, à dix reprises, en Grèce.
Ce sont les organisations sociales les plus nombreuses dans ces pays : une affiliation syndicale de quelque 40 % en Irlande, 22 % en Grèce, 20 % en Espagne, 16 % au Portugal. Mais, depuis plus de trente ans, ils ont été incapables de résister à l’avance du capitalisme néolibéral. ils ont ainsi développé et consolidé une culture de la négociation à la baisse, en abandonnant les secteurs les plus vulnérables : les chômeurs et les chômeuses, les immigré·e·s, les jeunes précaires…
La chute de cinq points en moyenne de la participation des salaires au revenu national durant la dernière décennie est la conséquence claire de ces politiques. Les syndicats majoritaires n’ont ni la volonté politique, ni la conscience et l’énergie militante pour mener la lutte en faveur d’une alternative à la « dictature des marchés ». Ainsi peut-on comprendre que dans une enquête publiée récemment par le journal El Pais, relative à la confiance des citoyen·ne·s dans les organisations et les institutions, les syndicats arrivent en queue de peloton, au-dessous des banques, juste avant les partis politiques et les multinationales.
Quant au système politique, il repose sur un « bipartisme » tournant, où la droite et les partis dénommés « socialistes » se partagent le pouvoir. Dans le cas de l’Irlande, l’alternance se fait régulièrement entre deux partis nationalistes de « centre-droite », Fianna Fáil [parti républicain légal fondé au milieu des années 1930, après la guerre d’indépendance et la guerre civile, ndt] et Fine Gael [fondé à la même époque par les partisans du traité de partage de l’Irlande en 1922, ndt]. En situation de crise économique, le parti gouvernemental en place perd les élections, sans que cela signifie un déplacement significatif de la population vers la droite ou vers la gauche, ni une changement des orientations économiques fondamentales [1].
4. Enfin, la gauche anticapitaliste ne progresse pas, là où elle a acquis un poids politique important (Portugal, Grèce), et elle est toujours loin d’incarner une référence politique significative en Irlande et dans l’État espagnol ; en Irlande, l’opposition populaire à la politique d’ajustement s’est orientée vers le parti nationaliste Sinn Fein [parti républicain historique, fondé au début du 20e siècle, qui fut pendant plusieurs décennies le bras politique de l’Armée républicaine irlandaise, IRA, et co-gouverne simultanément l’Ulster avec les unionistes protestants, loyaux à la couronne britannique, ndt].
Si nous mettons ces faits en rapport avec la situation difficile du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) en France et les reculs électoraux successifs de Die Linke en Allemagne, alors que les Verts avancent, le panorama n’autorise pas une interprétation générale simple – parce que le Bloco de Esquerda, le NPA, Syriza [coalition électorale de la gauche anticapitaliste grecque, ndt] ou Die Linke, pour nous référer aux plus grandes organisations, mènent des politiques très différentes, mais aucune d’entre elle ne permet d’avancer – et invite à une réflexion de fonds et prolongée, de préférence dans un cadre européen.
III. Comme contribution très élémentaire, je propose quelques thèmes de réflexion :
1. Pour reprendre une idée très stimulante d’Alain Bihr, les partis gouvernants – quelle que soit leur orientation politique – ne cherchent plus prioritairement à être légitimés par la population, mais par les marchés. Dans ces conditions, le répertoire traditionnel des actions de masse et de protestation – grandes manifestations, grèves générales – les affecte peu en soi, lorsque ces actions ne font pas partie de plans de lutte plus larges et prolongées. il faut donc penser à de nouveaux répertoires d’action.
2. Pour les populations, les politiques d’ajustement prennent l’aspect de « mandats impératifs » sur lesquels il n’est pas possible d’agir par les procédures légalement établies : votes lors d’élections, grèves ou autres actions qui acceptent les cadres légaux, chaque jour plus restrictifs et adaptés aux intérêts des « institutions de la gauche ».
3. L’ampleur et la multiplicité des agressions – emploi, retraites, soins, politiques énergétiques, services publics, privatisations, flux de fonds publics vers le secteur privé, directement ou indirectement déterminés par l’ « ajustement structurel » - rendent peu crédibles les objectifs de réforme portant sur des problèmes particuliers et requiert des alternatives nécessairement globales, mais pas forcément anticapitalistes. Dans des conditions de faiblesse des rapports de forces, ces alternatives – y compris comme version actualisée d’un programme de réformes style « Etat social » - semblent inatteignables.
4. L’absence de résultats par la lutte affaiblit la confiance dans l’action collective. Un processus d’accumulation de forces doit en effet se baser sur des succès partiels.
5. En conclusion, l’ensemble de ces facteurs débouche sur l’absence d’espoir de changements positifs dans la majorité de la population. Cela confirme ainsi le slogan néolibéral : « Il n’y a pas d’alternatives », pas au sens programatique, mais quant aux possibilités de changer de manière significative l’évolution de la situation. Le défi, c’est de savoir comment obtenir que les objectifs, considérés comme justes par les classes travailleuses, soient aussi jugés possibles. C’est seulement ainsi que les majorités sociales victimes de la crise capitalistes pourront croire (ou croire à nouveau) à l’utilité de la lutte.
IV. Que faire et comment le faire ? Seule l’expérience de nouvelles luttes sociales peut le révéler. Au mieux, nous pouvons examiner quelques pistes très générales et qui tentent d’être praticables :
1. Les problèmes sont urgents, mais les alternatives et les rapports de force pour y faire face doivent être envisagés à moyen terme. Cette discordance des temps devrait nous inciter à prioriser des campagnes avec une certaine stabilité et un caractère largement unitaire. Pour cela, il est fondamental d’éviter les consensus imposés d’en haut et d’apprendre à gérer démocratiquement les désaccords et les conflits inévitables.
2. il y a une grande convergence dans la gauche sociale et politique sur d’importantes revendications de base (politique fiscale, emploi, opposition à l’énergie nucléaire, services sociaux : santé, éducation, soins, etc.) ; le problème, c’est de leur donner une crédibilité et un appui social. En ce sens, une campagne commune à moyen terme pourrait être très utile : par exemple, pour l’audit de la dette. Cela touche une question centrale de la politique économique, peut servir de « pont » pour relier des problèmes immédiats avec des objectifs anticapitalistes, et peut gagner une large légitimité sociale.
3. il est nécessaire d’élargir nos répertoires d’action en prêtant attention surtout aux nouvelles formes de luttes surgies « d’en bas » : par exemple, les campements actuels ; mais aussi, les expériences de blocage de l’économie réalisées lors des grèves françaises [contre la « réforme » des retraites] d’octobre 2010. Ces actions débordent la légalité et doivent se protéger de la répression policière et judiciaire – qui constitue déjà un grave problème en Grèce. Obtenir une forte légitimité sociale, c’est la première condition.
4. il faudrait donner sens à la gauche politique anticapitaliste en fonction d’une politique à moyen terme. La réflexion et les débats sur les problèmes théoriques et stratégiques sont nécessaires, mais nous ne disposons pas de la base indispensable d’expériences pratiques actuelles pour pouvoir les lier à la politique concrète.
Plus, précisément, l’une des plus grandes difficultés pour la politique anticapitaliste, c’est de trouver des « ponts » pratiquement efficaces pour relier les résistances et les indignations déjà présentes aux objectifs futurs de renversement du capitalisme. Pour cela, il faut éviter ce que l’on pourrait appeler la « fuite stratégique », dans le sens de remplacer par des débats conceptuels et des analogies historiques la difficulté à développer des politiques concrètes, orientées sur le moyen terme.
5. Finalement, il manque des objectifs forts pour donner un sens aux nécessaires résistances immédiates. Mais il faut savoir mesurer bien les temps. Par exemple, parmi ces objectifs, il me paraît spécialement important de briser l’actuel champ politique de la gauche. Un projet qui aspire à être socialement crédible pour affronter la classe capitaliste en défendant les intérêts des classes travailleuses devrait comprendre la nécessité de créer une force politique qui mette fin à la majorité politique des « partis socialistes » au sein du « peuple de gauche » et au régime bipartite d’alternance au pouvoir.
Mais si cet objectif est fixé comme une tâche immédiate sans compter sur le besoin préalable de construire un rapport de forces social puissant – un rapport de force qui semble n’exister dans aucun des pays dont nous avons traité – qui le porte et le rende crédible, il peut se transformer en slogan de propagande vide ou en opération tactique sans avenir.
V. Pour terminer, je vais revenir aux campements.
il serait aventureux de prévoir que ceux-ci réussissent à se muer en mouvement social à moyen terme, capable de confluer et de s’articuler avec d’autres mouvements : féministe, écologiste, syndicaliste combatif… Quelque chose qui pourrait même parvenir à remplacer, à l’échelle internationale, le mouvement « altermondialiste » moribond. Peut-être, devront-ils se borner à être, durant un temps, l’expression active de sentiments et d’aspirations très largement partagées, mais difficiles à formuler en termes concrets d’accord collectif. En tout cas, pour la gauche anticapitaliste – au moins, mais pas seulement, dans l’État espagnol –, il est vital d’y participer, en partageant ses expériences, ses débats, ses espoirs…
Comment être « dedans » ? Pour paraphraser le Manifeste communiste, sans avoir d’intérêts propres qui nous séparent du mouvement ; en ayant pour seul signe distinctif de représenter toujours les intérêts du mouvement dans son ensemble et sa dimension internationale. Ainsi, nous parviendrons à convertir l’indignation individuelle de nombreuses personnes en lutte collective pour la dignité. Voici, en conclusion, un bon résumé de la politique anticapitaliste que nous devons défendre.
Notes
[1] J’ai développé ces idées dans une chronique consacrée aux élections du 22 mai dans l’État espagnol : « Arriba y abajo » (www.vientosur.info). Version française disponible sur ESSF (article 21781) : Etat espagnol : Petite chronique d’une grande assemblée. Cf. aussi le texte de Jaime Pastor : « ¿Del divorcio al choque de legitimidades ? » (www.vientosur. info). Version française disponible sur ESSF (article 21722) Etat espagnol : du divorce au choc des légitimités ?.
* Paru en Suisse dans « solidaritéS » 189 en Cahiers émancipationS". Traduit de l’espagnol par Hans-Peter Renk.
* Miguel Romero est éditeur de la revue « Viento Sur ». Membre de la « Liga comunista revolucionaria » (LCR) depuis la fin des années 1960, sous la dictature franquiste, il milite aujourd’hui à « Izquierda Anticapitalista » (l’une des organisations de la gauche radicale dans l’État espagnol). Ce texte est la version écrite de son intervention à l’Université de printemps de solidaritéS (Suisse), vendredi 20 mai 2011, à Lignerolle (Jura vaudois).