C’est la raison pour laquelle nous sommes reconnaissants à tout le peuple écossais, aussi bien à ceux et celles qui ont voté oui qu’à ceux et celles qui ont voté non, pour leur participation très élevée et pour la leçon qu’ils ont donnée au monde en montrant que les conflits nationaux peuvent être tranchés par des méthodes démocratiques, avec la même « normalité » que quand on discute et l’on prend des décisions sur d’autres problèmes.
L’exemple écossais aura servi afin de mettre clairement en évidence une série de questions importantes :
1. L’Etat et la nation ne sont pas la même chose. Il existe beaucoup d’Etats plurinationaux et beaucoup de nations qui n’ont pas d’Etat. La possibilité de la création de nouveaux Etats indépendants ne constitue pas une relique du XlXe siècle, mais correspond à des désirs du présent, y compris au cœur de la vieille Europe.
2. Les revendications nationales et le droit à l’autodétermination des peuples ne sont pas des stratagèmes de la bourgeoisie pour diviser les classes populaires, même si elles peuvent à l’occasion être utilisées dans ce but. Ce sont des revendications et leur dynamique qui, lorsqu’une nation se sent opprimée, sont transversales à toute la société, y compris les classes populaires, chose qui a été particulièrement évidente en Ecosse.
3. Qui a décidé à propos de l’indépendance ? Ce furent toutes les personnes (ayant le droit de vote) vivant en Ecosse ; et non pas celles de l’ensemble du Royaume-Uni. Même si l’Ecosse est une partie du même Etat que le Royaume-Uni, et cela depuis plus de 300 ans. Ceux et celles qui ont décidé de l’indépendance étaient les habitants de l’Ecosse et non pas celles de l’ensemble du Royaume-Uni. Et ce qui a été valable pour l’Ecosse doit l’être également pour les autres nations [entre autres la Catalogne].
4. Voter sur l’indépendance est une action aussi démocratique que légitime et normale, qui a pu être acceptée y compris par une reine aussi conservatrice qu’Elisabeth II et par un gouvernement aussi réactionnaire que celui de David Cameron.
5. Le fait de voter pour ou contre la séparation ne stimule pas forcément des conflits « ethniques », ne déchire pas les familles et ne compromet pas la coexistence. Le fait de résoudre les problèmes par des méthodes démocratiques est beaucoup plus sain pour la coexistence que le fait de nier leur existence ou de tenter d’étouffer leur expression par des méthodes autoritaires.
6. Le caractère normal du référendum écossais sert également à souligner les traits exceptionnels de la démocratie placée sous tutelle de l’Etat espagnol. La normalité démocratique consisterait à ce que certains événements qui se sont produits en Grande-Bretagne et en Ecosse puissent également avoir lieu en Espagne et en Catalogne. Ainsi, par exemple, Felipe VI [le roi qui a accédé à sa fonction le 19 juin 2014, après l’abdication de son père, Juan Carlos 1er, le 18 juin 2014] devrait pouvoir déclarer que l’indépendance de la Catalogne est une affaire qui doit être décidée par les Catalans. Aucun haut commandement militaire ne devrait pouvoir se prononcer contre le référendum et encore moins proférer des menaces dans le cas d’un Oui. Mariano Rajoy [Premier ministre, membre du Parti Populaire] devrait pouvoir admettre la consultation et voyager à travers la Catalogne en exposant ses raisons pour un Non-Non. Afin d’ éviter le triomphe du Oui-Oui, il devrait pouvoir promettre davantage d’autonomie (le pacte fiscal ou reconnaître la normalisation du catalan comme langue officielle, par exemple). Pedro Sanchez [nouveau secrétaire général du PSOE depuis le 26 juillet 2014] et d’autres dirigeants du PSOE devraient pouvoir se rendre en Catalogne pour débattre respectueusement avec des partisans de l’indépendance, etc.
Les marques de l’héritage franquiste
C’est ainsi que les choses devraient se passer si la démocratie espagnole était « normale », sans être enfermée par le caractère exceptionnel que lui confèrent les incrustations franquistes négociées pendant la Transition [1973-1975 à 1978-1982, selon l’analyse politico-institutionnelle faite] et sans cette sélection que ces empreintes opèrent dans l’ADN de la majorité de la caste dirigeante. Des exemples de ces incrustations sont les paragraphes de notre Constitution qui se réfèrent à « l’indissoluble unité de nations espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols » (article 2) ou le fait que les Forces armées ont pour mission de « défendre l’intégrité territoriale » [et intégralité »] (article 8). C’est cet héritage franquiste que l’on brandit pour nier le droit du peuple catalan à voter, y compris dans une consultation sans caractère contraignant.
Au cours des prochains jours et des prochaines semaines, ce caractère exceptionnel espagnol va devenir encore plus évident, car le contraste entre la normalité démocratique du référendum écossais et la situation espagnole sera très évident. Pourquoi ce qui est normal en Ecosse et dans le Royaume-Uni ne pourrait-il pas l’être en Catalogne et en Espagne ? Pourquoi l’Ecosse peut-elle exercer librement son droit à décider alors qu’il est nié à la Catalogne ?
Il est possible que cela amène beaucoup plus de personnes à comprendre que la question de fond qu’on est en train de trancher n’est pas celle de l’indépendance, mais celle de la démocratie. A comprendre aussi que les centaines de milliers de manifestant·e·s qui – partout en Espagne [le 11 septembre 2014] et en particulier en Catalogne – criaient « Ils l’appellent démocratie, mais ce n’en est pas une » avaient raison. Le droit de décider est une question de démocratie. Si cela devait arriver, ce serait en bonne partie grâce au peuple d’Ecosse, qui n’a pas gagné l’indépendance, mais qui a inscrit fermement le droit de décider dans l’agenda politique. (Publié sur le site Viento Sur, traduction A l’Encontre)
Marti Caussa a publié (avec Ricard Martinez) un ouvrage intitulé : Historia de la Liga Comunista Revolucionaria (1970-1991), Editorial Viento Sur, 2014 ; il est actif dans le Procès Constituent en Catalogne. Voir son article publié en date du 16 septembre 2014 sur ce site : Catalogne : la mobilisation du 11 septembre, l’échéance du 9 novembre, la question nationale et sociale