Tiré du blogue de l’auteur.
Dans Le Monde, à deux reprises dans l’Obs (ici et ici), dans Libé, à chaque fois le discours est le même : les rares écologistes ayant décidé de rallier Emmanuel Macron cherchent à expliquer en quoi le programme et la posture d’Emmanuel Macron est compatible avec leurs engagements passés. Qu’ils ressentent le besoin de justifier leur choix est en soit une information : les écologistes soutenant Benoit Hamon ou Jean-Luc Mélenchon n’ont pas eu ce besoin, les programmes des deux candidats se suffisant à eux-mêmes. Ce qui n’est pas le cas de celui de Macron.
Daniel Cohn-Bendit, Jean-Paul Besset et Matthieu Orphelin ont néanmoins raison sur un point : « les citoyens ne sont pas des imbéciles ». Ils savent qu’on ne bâtit rien de sérieux, rien de solide, rien de sincère sur des sables mouvants qui ne cessent de se déplacer au gré d’arbitrages tacticiens visant à engranger de nouveaux soutiens. Ils ont appris du quinquennat Hollande que l’absence de cap, que l’inconstance érigée en politique, que le refus de trancher conduisent à l’impuissance. Et, fatalement, à l’échec.
Annoncer que tout va changer pour que rien ne change - et pour que tout empire – ne peut que générer de nouvelles désillusions. Le CICE et la primeur donnée à la compétitivité des entreprises - avec des dividendes records pour le CAC40 à la clef - sont un échec en termes d’emplois ? Qu’importe, Emmanuel Macron voudrait les pérenniser et ne surtout pas les conditionner à des objectifs sociaux ou écologiques. Les services publics ne cessent de se dégrader par manque de moyens humains ? Le candidat propose de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires.
Les salariés n’en peuvent plus de la détérioration de leurs conditions de travail et des risques qui pèsent sur leur avenir ? Dans la droite ligne de la loi El Khomri et du gouvernement Valls, Emmanuel Macron propose d’affaiblir le droit du travail et les régimes d’assurance-chômage et de retraite. Le poids de la finance et ses logiques de rentabilité étranglent l’économie réelle et bon nombre de projets liés à la transition écologique ? L’ancien banquier veut affaiblir l’imposition du capital et les règles prudentielles en vigueur depuis la crise de 2008.
Quel rapport avec la transition écologique direz-vous ? Bien qu’affaiblis, notre modèle social, nos services publics et les capacités d’intervention des pouvoirs publics offrent des garanties pour engager le pays, et nos concitoyens, sur les chemins escarpés et difficiles de la transition. Une transition qui, à juste titre, questionne nos certitudes et génère des craintes sur notre avenir personnel et collectif. Les affaiblir un peu plus serait contre-productif au moment même où nous en avons besoin comme d’un pôle de stabilité face aux grandes transformations à mener dans un monde de plus en plus incertain.
Alors que le caractère insoutenable de notre système économique productiviste et consumériste ne devrait plus faire débat, l’ex-ministre de l’économie veut pourtant « libérer la croissance » dans le droit fil de la commission Attali et de la loi Macron I qui préconisaient d’ « accélérer les grands projets » et « simplifier le droit de l’environnement ». Son programme est clair sur ce point. La transition écologique reste subordonnée à « la modernisation de l’économie », qu’il faudrait libérer « des carcans et des blocages » pour enclencher un « nouveau modèle de croissance ». Sans même être qualifiée de « soutenable », « durable » ou « climato-compatible », cette croissance n’est conditionnée à aucun objectif climatique, écologique ou même sanitaire.
Tout montre pourtant qu’il est urgent de revoir les règles qui organisent le commerce international et la mondialisation financière pour les rendre compatibles avec l’Accord de Paris sur le climat et conformes aux exigences sociales et démocratiques. Emmanuel Macron est pourtant le seul candidat à soutenir fermement le CETA, cet accord entre l’Union européenne et le Canada que les propres services de Ségolène Royal ont qualifié de climato-incompatible.
Il faudrait programmer la fermeture d’une vingtaine de réacteurs pour revenir en deçà de 50% de nucléaire dans le mix électrique en 2025 comme le prévoit la loi ? Celui qui a toujours soutenu EDF et Areva lorsqu’il était à Bercy affirme que « le nucléaire n’est pas une maladie ». Il se refuse donc à planifier la fermeture de ces réacteurs et à organiser la reconversion industrielle et professionnelle du secteur, rendant illusoire le respect des objectifs fixés par la loi. Dans le droit fil du quinquennat Hollande.
Les porte-paroles du candidats opposent à cette longue liste d’éléments structurants qui façonnent l’orientation politique d’un programme, quelques engagements pour le bio et le local dans les cantines, quelques mesures classiques sur la rénovation des logements ou même de très récentes inflexions du candidat sur le Diesel. Répétées en boucle et ajoutées les unes aux autres, ces mesures, aussi louables soient-elles, s’inscrivent dans une stratégie de petits pas qui échoue piteusement, comme en témoignent l’aggravation du dérèglement climatique, l’effondrement de la biodiversité et l’augmentation de l’empreinte écologique des Européens.
A la veille du premier tour de l’élection présidentielle, il est temps de lever les ambiguïtés et de clarifier les débats. Un exemple est des plus frappants : quand Emmanuel Macron affirme vouloir « placer la France en tête du combat contre les perturbateurs endocriniens », son programme précise que c’est à condition qu’il existe des « solutions scientifiquement reconnues comme moins toxiques ». Autrement dit, les lobbies industriels, dont on sait les capacités à instrumentaliser des recherches scientifiques pour faire douter de la pertinence des solutions alternatives, pourront manœuvrer en coulisses pour maintenir un statu quo injustifiable et faire primer leurs intérêts sur la santé de nos concitoyens et la protection de l’environnement. Rien d’étonnant finalement pour un candidat qui n’a jamais caché le peu d’engouement qu’il accorde au principe de précaution.
Sous des vocables différents, cela fait plus de trente ans qu’institutions internationales et bonimenteurs en tout genre nous expliquent que de petites modifications à la marge des soubassements matériels de nos économies insoutenables permettront de régler les défis auxquels nous sommes confrontés. L’expérience, les faits et les données accumulés montrent qu’il n’en est rien. Usées jusqu’à la moelle, notamment par le quinquennat Hollande dont il a été une des chevilles ouvrières, incapables de surmonter la crise économique, les recettes d’Emmanuel Macron aggraveront donc la crise écologique et feront, un peu plus encore, le lit de l’exaspération sociale et des replis identitaires.
Selon Albert Einstein, c’est le propre de la folie que de faire la même chose, encore et encore, et d’en attendre des résultats différents. Nos concitoyens ne sont ni fous ni aveugles. Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon sont aujourd’hui les deux seuls candidats qui essaient d’emprunter ce chemin escarpé qui fait primer la transition écologique sur le business as usual. Ce chemin est suffisamment difficile pour ne pas ajouter de nouvelles embuches. Empruntons-le avec eux. Pas contre eux.
Maxime Combes, économiste, auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, Anthropocène)
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