Pourtant du côté de la voyoucratie qui fait semblent d’être un gouvernement, il y a un projet, un vrai projet, qui va bien au-delà des coupures dans les salaires et les services publics. Ce projet, c’est dans la lignée des révolutions conservatrices qu’ont infligé des gouvernements passés aux États-Unis et en Angleterre, et que tente de déployer Harper. Il ne s’agit pas de gouverner, mais de tout transformer. Dans l’approche néolibérale, il n’y a pas de société, il n’y a pas de citoyens. Il y a des clients, des acheteurs et des consommateurs. Ce qui reste de la société est un ensemble déchiqueté et disloqué, un amalgame d’individus atomisés, craintifs les uns des autres, seuls contre tous. Ces individus désincarnés doivent « choisir » d’acheter un diplôme ou l’éducation pour les enfants. Ils doivent décider s’ils se feront soigner le dos ou les dents. Vont-ils s’occuper de leurs vieux ou faire réparer le toit qui coule ? Sauver nos villes, sauver nos régions, non ce n’est plus faisable.
Aux rapports sociaux se substituent des relations marchandes, acheteur/vendeur où seul le vendeur a des droits, protégé par la « loi » dont le but principal est de rendre le pouvoir et l’argent opaques et intouchables. La solidarité intergénérationnelle, la coopération entre les pairs, l’idée du don deviennent des vieilleries qu’on confiera aux quelques rares chercheurs qui existeront en dehors des projets cannés pour inventer des gadgets.
La bonne nouvelle est qu’il y a un sentiment d’indignation croissant parmi la multitude. Le piège est trop gros, d’autant plus que le 1 % ne cesse d’étaler ses richesses accumulées dans les paradis fiscaux et les arnaques financières. Cela donne l’impression que les mouvements sociaux, s’ils le veulent, pourraient faire lever la mobilisation. En tout cas s’ils ne le font pas, il risque d’y avoir un sérieux débordement. C’est également une opportunité ou un « moment » pour la « nouvelle » gauche qui prend forme un peu partout, qui n’a pas peur de sortir des sentiers battus et de confronter, d’une manière réfléchie et rationnelle.
Le printemps 2012, ça ne fait pas 1000 ans. Il y a trop de gens qui s’en souviennent. À cette époque, le désarroi des puissants a révélé leur faiblesse, leur ignorance et leur bêtise. Le leadership étudiant s’est tenu droit, sans croire aux miracles, ni se laisser intimider par ceux qui leur disaient de lâcher prise. Organisation, stratégie, accessibilité ont nourri une mobilisation exprimée par la base, et pas par une poignée de chefs bien intentionnés.
On dira, l’histoire ne se répète pas. C’est vrai, ce qui ne veut pas dire qu’on doive réinventer la roue à chaque fois.