Édition du 29 octobre 2024

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Extrait du chapitre 7, Le peuple et sa révolution

Le peuple et sa souveraineté

Pour autant je ne veux pas en rester à des descriptions « vues de l’extérieur » pour montrer le peuple comme acteur de l’histoire. Ni même prendre le risque de faire croire qu’il se confond avec l’occupation des lieux d’où part son action. Ce n’est pas la place qui fait le peuple, même s’il est décisif qu’il l’occupe. La mutation de la multitude s faisant peuple s’opère à partir de ressorts concrets qui travaillent la pâte humaine de l’intérieur. Ce sont les actes politiques qu’il pose qui font du peuple sujet politique.

La multitude devenant peuple par son action collective obéit à une logique de situation. Au fond il s’agit de mettre l’espace au service de la population qui l’occupe. Autrement dit : se soumettre les services qui rendent possible la vie urbaine. On pourrait dire que le peuple se les approprie. Il le fait aussi bien par les lieux qu’il choisit que par les revendications qu’il met en avant. Ce processus porte un nom simple : la souveraineté. La multitude devient le peuple quand elle fait acte de souveraineté. C’est une tendance profonde du comportement humain qui s’accomplit à cette occasion. L’ethnologue Maurice Godelier nous l’a enseigné : les communautés humaines ne sont pas d’abord dessinées par les liens familiaux. Cela peut paraître étrange, curieux et aller contre l’évidence. N’empêche.

Non, elles le sont par des liens culturels qu’elles entretiennent en leur sein et entre elles, et ces liens culturels sont destinés à poser des actes de souveraineté sur des territoires qu’elles occupent. Quelle que soit la taille de ces territoires, quelle que soit la taille de la communauté humaine, celle-ci se définit d’abord comme sa capacité à exercer une souveraineté sur les individus qui la composent et sur le lieu où elle vit.

Je suis frappé d’observer que, dans tous les cas de révolution citoyenne observée, un véritable organe d’action se constitue. L’assemblée citoyenne se substitue aux autorités défaillantes et instaure de fait la loi des citoyens en nombre. Le plus significatif est que cet organe se met souvent en place, comme en Égypte, en Tunisie ou en Équateur, pour assurer la sécurité d’un quartier pendant les événements. La souveraineté n’est donc pas un accessoire de la puissance, un ornement de l’identité d’un groupe humain, et elle en est le point de départ. La souveraineté est le moteur politique d’une société autant que son liant. Jaurès ne s’y trompait pas :« La démocratie politique s’exprime en une idée centrale ou mieux encore en une idée unique : la souveraineté politique du peuple. »

Peuple constituant ou rien

Ma thèse : la multitude informelle devient le peuple en cherchant à assurer sa souveraineté sur l’espace qu’il occupe. Ce raisonnement conduit à donner une place essentielle aux processus constituants dans les révolutions de notre temps. Car en définissant la constitution, le peuple s’identifie à ses propres yeux. Il ne se constitue lui-même en quelque sorte. Par exemple en disant quels droits sont les siens, en organisant sa façon de prendre les décisions, en définissant l’ensemble des pouvoirs qui agissent pour faire fonctionner tout cela.

Le processus constituant est l’acte fondateur de la conquête de la souveraineté par le peuple. Ce n’est pas un à-côté de la stratégie révolutionnaire de notre temps, c’est son vecteur politique. Dans cette approche, se battre pour la convocation d’une assemblée constituante, c’est se battre d’abord pour l’existence même du peuple comme acteur de l’histoire. Le peuple est constituant ou il n’est rien, comme Marx disait du prolétariat qu’il était révolutionnaire ou bien qu’il ne serait rien. Ce seul fait vient à rebours d’une tendance lourde. Aujourd’hui tout est fait pour que les gens ne s’occupent pas de leurs affaires. C’est logique. Le règne de la finance n’accepte aucune régulation extérieure à lui. Le pouvoir politique produit des lois et règlements. Il est la source de toutes les régulations. L’oligarchie ne peut le supporter. Partout où elle agit pour « dissoudre » le peuple politique.

La nouvelle organisation de l’Union européenne depuis le traité Merkel – Sarkozy adopté par Hollande en est un sommet. À cette volonté d’expulser correspond un retrait politique de ceux qui se sentent de trop. L’abstention prend alors l’apparence d’une autodissolution du peuple. Elle réjouit profondément les dominants. Des médiacrates compréhensifs n’hésitent pas à flatter ce qu’ils appellent la « fatigue démocratique ». Ils dénoncent le trop grand nombre d’élections. Ils en dépolitisent les enjeux en personnalisant à outrance toutes les confrontations. Ils éliminent la scène médiatique ceux qui perturbent leurs tableaux simplistes. Bref, ils tiennent leur rôle de chiens de garde.

Tout cela souligne l’importance d’une reconstitution solennelle du peuple politique. Je parle donc bien de convoquer une assemblée constituante. Sans sa convocation, sans les élections qui la forment, sans les auditions de toutes sortes qu’elle doit organiser, la Constitution n’est qu’un coup de force supplémentaire. On en a assez vu ! Car depuis la promulgation de la constitution de 1958 en France, le texte a été changé vingt-deux fois sans consultation populaire. Et bien sûr sans aucune participation des citoyens. Ici il ne s’agit pas de changer la règle du jeu mais de prendre le pouvoir. La constituante pour la 6e République dont je parle n’est pas un arrangement technique pour peaufiner les rouages. C’est une révolution de l’ordre politique pour instaurer le pouvoir du peuple.

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