Si, en ce début d’année, nous regardons un planisphère, nous remarquerons immédiatement le clignotement de plusieurs points rouges. Quatre d’entre eux recèlent des niveaux élevés de risque : l’Europe, l’Amérique latine, le Proche-Orient et l’Asie.
Au sein de l’Union européenne (UE), les Bourses continuent de flamber [2] mais l’année 2013 sera, du point de vue social, la pire depuis le début de la crise en 2008. L’austérité comme unique credo et les coups de hache sur l’État-providence se poursuivront. Ce sont des exigences de l’Allemagne. Pour la première fois dans l’histoire, Berlin domine l’Europe et la dirige d’une main de fer [3]. Les autorités allemandes n’accepteront nul changement de cap avant les élections législatives du 22 septembre prochain qui pourraient voir la réélection de la chancelière Angela Merkel pour un troisième mandat.
« Homme malade » de l’UE, l’Espagne verra les tensions politiques augmenter à mesure que la Catalogne précisera les termes du référendum qu’elle compte organiser dans la perspective de son autodétermination. Un processus que les nationalistes au pouvoir au Pays Basque suivront avec la plus grande attention.
Concernant l’économie espagnole, dont l’état est déjà désastreux, son évolution dépendra de ce qui se passera ... en Italie lors des prochaines élections législatives du 24 février. Et des réactions des marchés à une éventuelle victoire de la coalition conservatrice présidée par Mario Monti (qui a le soutien du patronat, de Bruxelles, de Berlin et du Vatican) ou du candidat de centre-gauche Pier Luigi Bersani, le mieux placé selon les sondages. Cela dépendra également des conditions (certainement brutales) qu’exigeront l’Union européenne (UE) et la Banque centrale européenne (BCE) en échange du plan de sauvetage de l’Espagne que le président du gouvernement Mariano Rajoy pourrait finir par demander. Sans parler de l’intensité des protestations qui continuent de se propager comme une coulée d’essence avant de trouver une allumette allumée...
Des explosions pourraient aussi éclater dans d’autres pays d’Europe du Sud (Grèce, Portugal, Italie) exaspérés par la dégradation sociale. L’UE ne sera pas sortie du tunnel en 2013. Et tout pourrait même s’aggraver si les marchés (encouragés par les néolibéraux [4]) s’attaquaient à la France du très modéré socialiste François Hollande.
En Amérique latine, l’année 2013 est aussi pleine de défis. D’abord au Venezuela, un pays qui, depuis 1999, joue un rôle moteur dans les changements progressistes du sous-continent. La rechute inattendue du président Hugo Chavez, réélu le 7 octobre 2012, introduit un élément d’incertitude. On ne peut exclure de nouvelles élections présidentielles dès les prochains mois. Désigné par Chavez, Nicolas Maduro serait alors le candidat de la révolution bolivarienne. Actuel vice-président (équivalent à premier ministre), c’est un dirigeant très solide, doté de toutes les qualités requises, humaines et politiques, pour s’imposer. Mais on imagine que tous les adversaires de cette révolution, à commencer par les faucons du Pentagone, vont se mobiliser pour tenter de lui barrer la route.
Il y aura aussi des élections, le 17 février, en Équateur : Malgré les attaques [5] dont fait l’objet le président Rafael Correa, autre grand leader de l’Amérique latine, sa réélection ne fait pas de doute. Élections importantes aussi, le 10 novembre, au Honduras, un pays où, le 28 juin 2009, le président Manuel Zelaya avait été renversé. Son successeur, Porfirio Lobo, ne peut se présenter pour un second mandat consécutif. En revanche, le Tribunal électoral a autorisé l’entrée en lice du parti de la Liberté et de la Refondation (LIBRE), dirigé par Zelaya, qui présentera comme candidate l’épouse de celui-ci, Xiomara Castro.
Scrutin important également au Chili, le 17 novembre. L’impopularité actuelle du président conservateur Sebastian Piñera permet à la socialiste Michelle Bachelet d’y envisager un retour au palais de la Moneda.
L’attention internationale se tournera également, en 2013, vers Cuba. Pour deux raisons. D’abord parce que s’y poursuivent, à La Havane, les négociations entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) pour tenter de mettre fin au dernier conflit armé d’Amérique latine [6]. Et parce que des décisions de Washington y sont attendues, qui pourraient avoir un impact important sur le devenir de la révolution cubaine. En effet, lors de sa victoire aux élections américaines du 6 novembre 2012, Barack Obama l’a emporté en Floride avec 75% du vote hispanique et - très important – avec 53% des voix cubaines. Ces résultats confèrent au président réélu, pour son dernier mandat, une marge de manœuvre certaine pour tenter de mettre un terme, enfin, à l’embargo économique et commercial de l’île. Le fera-t-il ?
Là où tout change pour que rien ne change c’est, encore une fois, au Proche-Orient, « foyer perturbateur » du monde. Les révoltes du « printemps arabe » ont renversé plusieurs dictateurs locaux : Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Egypte, Kadhafi en Libye, Saleh au Yémen. Mais les élections libres ont permis à des partis islamistes très conservateurs (Frères musulmans) d’arriver au pouvoir. Et ceux-ci veulent maintenant, comme on le voit en Egypte, le garder à tout prix. Ce qui consterne la population laïque. Après avoir été en première ligne lors des révoltes, celle-ci refuse d’accepter une nouvelle forme d’autoritarisme égyptien. Problème identique en Tunisie.
Après avoir suivi avec intérêt les explosions de liberté du printemps 2011 dans cette région, les sociétés européennes se désintéressent de nouveau de ce qui s’y passe. Parce que trop compliqué. Un exemple : l’inextricable guerre civile en Syrie. Sur ce théâtre, il est clair que les puissances occidentales (Etats-Unis, Royaume-Uni, France), alliées à l’Arabie Saoudite, au Qatar et à la Turquie, ont décidé de soutenir (avec de l’argent, des armes et des instructeurs) l’insurrection islamiste sunnite. Celle-ci, sur les différents fronts, continue de gagner du terrain. Combien de temps tiendra le gouvernement de Bachar el-Assad ? Son destin semble scellé. Certes la Russie et la Chine, ses alliés diplomatiques, n’autoriseront pas, au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, une attaque des forces de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) comme en Libye en 2011. Mais Moscou et Pékin estiment que la situation du régime de Damas est irréversible. Russes et Chinois ont commencé à négocier avec Washington une issue au conflit qui préserve leurs intérêts.
Face à l ’« axe chiite » (Hezbollah libanais, Syrie, Iran), l’Amérique a constitué dans cette une région un vaste "axe sunnite" (allant de la Turquie et de l’Arabie saoudite au Maroc, en passant par Le Caire, Tripoli et Tunis). Objectif : renverser Bachar el-Assad, pour couper les lignes d’approvisionnement en armes du Hezbollah libanais et priver Téhéran de son grand allié régional. Si possible avant le printemps prochain. Parce que le 14 juin aura lieu l’élection présidentielle en Iran. A laquelle le président actuel Mahmoud Ahmadinejad ne peut se présenter, la Constitution n’autorisant pas plus de deux mandats. Au cours des six prochains mois, l’Iran se trouvera donc plongé dans une féroce campagne électorale opposant les partisans d’une ligne dure contre Washington et les défenseurs de la voie de la négociation.
Face à cette situation, Israël se trouvera, en revanche, en ordre de marche pour une éventuelle attaque visant les installations nucléaires iraniennes [7]. Au sein de l’Etat juif, en effet, les élections législatives du 22 janvier verront probablement la victoire de la coalition ultraconservatrice. Ce qui renforcera le Premier ministre Benyamin Nétanyahou dans son intention de bombarder l’Iran dès que possible.
Cette attaque ne saurait être efficace sans la collaboration militaire des Etats-Unis. Washington y participera-t-il ? C’est peu probable. Barack Obama prend ses fonctions le 21 janvier, et il se sent plus assuré depuis sa réélection. L’idéal pour lui et la diplomatie américaine serait de pouvoir régler, en une seule grande manœuvre diplomatique et sans avoir recours aux armes, les trois principaux problèmes de la région : la dénucléarisation de l’Iran, la sécurité d’Israël et la création d’un Etat palestinien.
Ce n’est pas impossible si Washington, avec le soutien des autres membres du Groupe des Six (Allemagne, Chine, France, Royaume Uni, Russie) chargés de traiter le dossier iranien, parvenait à faire accepter à Téhéran (de plus en plus épuisé par les très dures sanctions économiques) un véritable accord de dénucléarisation. Ce qui délivrerait définitivement Israël de la menace atomique iranienne et garantirait sa sécurité. En échange de quoi, les autorités israéliennes s’engageraient à ne plus faire obstacle à la création d’un Etat palestinien viable. Ce serait un magistral coup diplomatique qui resterait dans les annales et que plusieurs chancelleries encouragent vivement [8].
Le président Obama n’ignore pas que la grande majorité de l’opinion publique américaine ne veut plus de guerres [9]. L’Irak, que les troupes du Pentagone ont quitté le 31 décembre 2011, est loin d’être pacifié. Le front d’Afghanistan reste ouvert au moins jusqu’en 2014. Celui de la Syrie s’intensifie de jour en jour. Un autre encore pourrait s’ouvrir bientôt au nord du Mali... C’en est trop. Le nouveau secrétaire d’État, John Kerry, aura la délicate mission de faire patienter l’allié israélien.
Le Proche-Orient devient moins stratégique pour les Etats-Unis dans la mesure où sa dépendance du pétrole de cette région diminue. La révolution des hydrocarbures non conventionnels (gaz et pétrole de schiste, notamment) vont certainement redonner à l’Amérique un nouveau dynamisme et une plus grande autonomie énergétique. Selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), vers 2020, les Etats-Unis pourraient devenir le plus important producteur mondial de pétrole et de gaz [10]. Un événement dont les conséquences globales pourraient être considérables sur le plan stratégique.
C’est pourquoi Obama regarde de plus en plus vers l’Asie, zone prioritaire depuis que Washington a décidé la réorientation stratégique de sa politique étrangère. En s’appuyant sur leurs partenaires traditionnels - Japon, Corée du Sud, Taïwan -, les États-Unis cherchent à encercler la Chine d’un chapelet de bases militaires avec l’intention de freiner son expansion. Il est significatif que le premier voyage de Barack Obama après sa réélection du 6 novembre, l’ait conduit en Birmanie, Cambodge et Thaïlande, trois pays de l’Association des nations du sud-est asiatique (ASEAN). Une organisation qui rassemble les alliés américains de cette région, et dont la plupart sont en bisbille avec Pékin à propos de leurs frontières maritimes.
Les mers de la Chine sont devenues les zones de plus grand potentiel de conflit armé en Asie-Pacifique. Les tensions entre Pékin et Tokyo, au sujet de la souveraineté des îles Senkaku (Diaoyu pour les Chinois), pourraient s’aggraver depuis la victoire électorale au Japon, le 16 décembre 2012, du Parti libéral démocrate (PLD) dont le chef, et nouveau Premier ministre, Shinzo Abe, est un "faucon" nationaliste connu pour son attitude critique à l’égard de la Chine. Il y a aussi le différend du Vietnam avec Pékin à propos des îles Spratley. Là encore, le ton monte dangereusement surtout après que les autorités vietnamiennes aient officiellement placé l’archipel, en juin 2012, sous leur pleine souveraineté et accordé des permis de recherche d’hydrocarbures en mer à l’Inde...
Élu secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC) en novembre 2012, Xi Jinping sera désigné président de la République populaire de Chine en mars prochain. Celui-ci, au cours de sa première réunion avec le haut commandement des forces armées, a lancé un avertissement très clair à ses voisins en encourageant ses états-majors à « s’adapter à l’ère de l’information » et à « améliorer l’aptitude à combattre dans des conflits régionaux [11] ». La Chine modernise à grande vitesse sa flotte de guerre. Le 25 septembre 2012, elle a lancé son premier porte-avions, le Liaoning, dans l’intention d’intimider tous ses adversaires. Pékin refuse de plus en plus la présence militaire des Etats-Unis en Asie. Entre les deux géants, une dangereuse « méfiance stratégique [12] » est en train de s’installer qui marquera sans doute la politique internationale du XXIe siècle.