Une lecture biaisée du Rapport de l’Institut Pembina
Dans l’une des capsules (section Youtube du site forumschiste.com « Stéphane Gosselin de l’APGQ parle de l’étude de l’Institut Pembina et de la Fondation David Suzuki »), Monsieur Gosselin émet des commentaires sur le rapport de l’Institut Pembina - Fondation David Suzuki intitulé:Le gaz naturel est-il une bonne solution pour contrer le changement climatique au Canada ? Une nouvelle étude révèle de nombreux problèmes quant à l’expansion de la production de gaz naturel. Ce rapport est accessible à l’adresse Internet suivante : http://pubs.pembina.org/reports/dsf-pembina-natgas-report-fr-final.pdf).
Celles et ceux qui ont lu le rapport de l’Institut Pembina se rendront compte que les constats du directeur général de l’APGQ au sujet de celui-ci manquent de rigueur et ne semblent pas refléter correctement le contenu du document. Cela augure mal : qu’en sera-t-il de la qualité des autres informations fournies via le Forum, qui sert de plate-forme de relations publiques aux promoteurs de l’industrie du gaz de schiste.
Dans cette capsule vidéo, Monsieur Gosselin fait trois constats. Le premier est à l’effet que « le gaz naturel représente l’énergie fossile la plus propre qui est disponible présentement. » À ce sujet, voici ce qu’on peut lire dans le rapport de l’Institut Pembina : « Il est généralement admis que le gaz naturel entraîne des émissions de GES considérablement inférieures à celles d’autres combustibles fossiles au cours de son cycle de vie entier.
Mais certains chercheurs remettent en cause cette hypothèse, car ils soupçonnent que le volume de méthane (un puissant GES) émis pendant le cycle de vie du gaz naturel pourrait être considérablement plus élevé que les estimations d’usage. L’information sur ce sujet est clairsemée et il faudrait mener de nouvelles recherches sur la question. »(Résumé du rapport, p. 2)
Le deuxième constat de Monsieur Gosselin a trait au risque de pollution de l’eau : « ... on était heureux de lire que, malgré les recherches qu’ils ont faites, ils n’ont trouvé aucun cas documenté de contamination de nappe phréatique due à la fracturation hydraulique. » Par rapport à cette question, l’Institut Pembina mentionne ceci : « En 2009, le Department of Environmental Protection de la Pennsylvanie a déterminé que lacimentation ou le tubage inadéquats de puits de gaz de schiste récents avaient causé la migration de gaz dans l’eau approvisionnant 14 foyers. D’autres preuves de contamination d’eau potable au méthane en Pennsylvanie associée à l’extraction de gaz de schiste ont été réunies dans une étude récente publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences.
L’étude établit des preuves solides selon lesquelles le méthane provient du gaz de schiste et non de sources biologiques de surface, les coupables probables étant plutôt les fuites dans le tubage des puits. » On lit aussi : « De même, en novembre 2010, des inspecteurs du gouvernement du Québec ont détecté des concentrations de méthane très élevées – plus de 20 pour cent – dans l’air qui entourait quatre puits d’exploration de gaz de schiste. Le ministère de l’Environnement de la province a confirmé que dans au moins un des cas, le méthane provenait du gaz de schiste et non de sources biologiques » (p. 17).
Ces types de contamination (eau potable et air) sont aussi une conséquence de travaux d’extraction de gaz de schiste (fracturation hydraulique ou autre) et font donc partie du problème également. De telles contaminations demeurent aussi préoccupantes que celle des nappes phréatiques (pour lesquelles les recherches se poursuivront). Ne parler que de la contamination de celles-ci correspond à une approche réductrice de l’ensemble de la problématique des risques de contamination associés à la fracturation. Rappelons que le principe de précaution - l’un des 16 principes de la Loi sur le développement durable du Québec - devrait être également un principe de base appliqué en industrie.
Enfin, dans son troisième constat, Monsieur Gosselin affirme : « Si le Canada et les ÉU faisaient une utilisation importante du gaz naturel dans l’avenir, ça pourrait leur permettre d’atteindre leurs objectifs de réduction des gaz à effet de serre qui ont été fixés à l’échelle internationale pour 2020. »
Or, les recommandations de l’Institut Pembina ne vont pas dans le sens d’un appui au gaz naturel, bien au contraire. « En l’absence de politiques suffisamment fermes pour assurer le respect des cibles de GES nationales et provinciales susmentionnées, les approbations gouvernementales de nouvelles installations de production devraient être ajustées à un niveau de production et d’utilisation du gaz naturel plus faible que ce qui se produirait en vertu du statu quo »(p. 42).
L’Institut affirme également que « les gouvernements ne doivent pas offrir de soutien financier pour le remplacement du charbon ou des produits pétroliers par le gaz naturel (…) Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux doivent supprimer toute incitation fiscale pour la production pétrolière et gazière, mesurée par rapport à un système fiscal neutre »(p. 45).
Utilisation du gaz naturel dans le camionnage et non pour l’automobile
Par ailleurs, certaines autres affirmations de monsieur Gosselin sur l’utilisation du gaz naturel en transport demandent à être clarifiées. Celui-ci déclare qu’en « introduisant davantage de gaz naturel dans le transport, au Québec, permettrait (sic)donc de réduire notre utilisation du pétrole et de diminuer grandement nos gaz à effet de serre. On sait d’ailleurs que Gaz Métro a une entente avec Transport Robert, Transport Robert qui vient de commander une flotte de près de 200 camions. »
L’Institut Pembina est beaucoup moins affirmatif sur les bénéfices de l’utilisation du gaz naturel dans les véhicules : « Selon Ressources naturelles Canada, le gaz naturel produit des émissions de GES de 21 à 30 pour cent inférieures au diesel, dans tout son cycle de vie, s’il est utilisé dans des véhicules moyens et lourds.Mais il faudra des études supplémentaires pour confirmer cette statistique » (p. 35).
Bien que le site du Forum traite du gaz de schiste, il faut remarquer que le directeur général de l’APGQ parle ici de gaz naturel sans préciser si c’est du gaz dit « conventionnel », du gaz de schiste ou encore du biogaz/biométhane (une source organique de gaz naturel provenant des déchets). Or, ne pouvons-nous pas faire l’hypothèse que c’est justement le gaz de schiste qui pourrait limiter le niveau de réduction des émissions de GES ?
Monsieur Gosselin mentionne par ailleurs que« Gaz Métro va de son côté installer des stations-services qui vont faire le lien entre Québec, Montréal et Toronto. » On parle ici des stations-service qui serviront sans doute principalement au camionnage lourd et non à la voiture individuelle. La raison en est simple : comme l’hydro-électricité se trouve en abondance au Québec, c’est cette source d’énergie qui sera favorisée ici.
Mais cette tendance se dessine également pour l’Amérique du Nord, comme l’indique l’Institut Pembina :« Par exemple, dans le scénario 450 des Perspectives énergétiques mondiales de l’AIE (associé à des politiques climatiques ambitieuses), si les véhicules au gaz naturel comptent pour seulement deux pour cent des ventes de véhicules légers en 2035, les véhicules entièrement électriques et les véhicules hybrides rechargeables comptent pour environ 40 pour cent »(p. 36).
En Suède, un réseau de biométhane sans gaz de schiste !
C’est pourtant surtout de voitures personnelles dont monsieur Gosselin parle puisqu’il mentionne par la suite l’exemple de la Suède en disant : « Peut-être qu’un jour, nous ressemblerons à des pays comme la Suède où ils sont déjà rendus à plus de 25 000 véhicules qui fonctionnent au gaz naturel. » Dans ce cas-ci, le directeur général de l’APGQ semble faire preuve d’une grande méconnaissance de la situation et des ambitions énergétiques de ce pays nordique.
Il faut savoir que le développement du parc automobile roulant au gaz naturel en Suède est lié au développement du biométhane et non à celui du gaz de schiste, ce qu’omet de préciser monsieur Gosselin. Là-bas, le gaz naturel conventionnel (et non le gaz de schiste) est encore mélangé au biométhane mais il est en diminution rapide. En effet, selon l’Agence suédoise de l’énergie, en 2010, 64 % du gaz naturel vendu comme biocarburant était du biométhane.
L’exemple suédois est toutefois fort intéressant pour le Québec puisque l’AQLPA a démontré lors des audiences du BAPE que le biogaz peut remplacer la consommation actuelle de gaz naturel, sans utilisation des terres agricoles ou de grandes quantités d’eau. Il conviendrait donc de transformer le commentaire de monsieur Gosselin de la façon suivante:Peut-être qu’un jour, nous ressemblerons à des pays comme la Suède où ils sont déjà rendus à plus de 25 000 véhicules qui fonctionnent au biométhane, donc de source naturelle ! C’est une toute autre réalité !
À la lumière de cette analyse d’une capsule vidéo du Forum Schiste, on comprend à quel point il faut accueillir avec scepticisme l’information qui est offerte sur ce site. Le principe de précaution s’applique donc ici également !
Kim Cornelissen
Membre du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste au Québec
Vice-présidente AQLPA
Lucie Sauvé
Professeure titulaire, UQAM
Porte-parole du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste au Québec
Cet article est tiré du site web de gaïa Presse