Édition du 11 février 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections fédérales 2015

Le financement des organisations non partisanes dans les élections fédérales, des règles électorales confuses

Nora Loreto est une auteure, une musicienne et une militante vivant à Québec. Elle est l’auteure de Demonized to Organised, Building the New Union Movement et est un éditrice de la série rabble.ca Up ! Canadian Labour Rising. Nora est en congé de l’Association canadienne de la presse syndicale afin de prendre soin de deux jumeaux qui sont encore des nourrissons.

(tiré du blogue de Nora Loreto)

Traduction PTAG

Je ne prévois pas retirer mon affichette contre Postes Canada de notre porte avant le 19 octobre. La campagne est loin d’être terminée et je crois profondément que la livraison du courrier à domicile est une question sociale d’importance.

Quand j’ai vu le débat sur Facebook portant sur les nouvelles règles concernant les dépenses des parties tierces, je croyais qu’on allait me demander de retirer l’affichette du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes de ma fenêtre. Je me suis immédiatement dit : "oh pas question" et je me suis retrouvé au coeur du débat qui va sûrement occuper les campagnes et le personnel juridique des syndicats à travers le Canada.

Les Conservateurs ont traficoté les règles de cette élection en leur faveur. Ils ont changé les règles électorales pour rendre le vote plus difficile. Élections Canada ne peut plus renseigner sur la façon de voter et privilégie les électeurs qui sont plus aguerris (ou plus vieux). La longueur considérable de la campagne est une bonne nouvelle pour les partis qui sont les plus riches.

Et les dépenses des tierces parties ont été sévèrement limitées.

Je suis favorable à la limitation des dépenses des tierces parties. Je pense que les dépenses que peuvent faire des organisations non politiques pour soutenir un parti politique ou un-e candidat-e doivent être limitées et qu’elles doivent rendre des comptes à Élections Canada.

Mais les changements apportés aux règlements par Élections Canada vont bien au-delà des limites concernant les dons. Kevin Grandia a produit un bon texte sur les fondements des nouvelles politiques d’Élections Canada, et c’est une lecture obligatoire pour quiconque tente de comprendre ce nouvel environnement réglementaire.

Ce qui est clair cependant repose sur ceci :

"La publicité électorale est la transmission au public par tout type de support au cours d’une période électorale, d’un message publicitaire favorisant ou contrecarrant un parti enregistré ou l’élection d’un candidat, notamment par une prise de position sur une question à laquelle un parti enregistré ou un-e candidatE s’est identifié."

Cela signifie que toute campagne qui confronte directement Stephen Harper tombe probablement sous les règles des parties tierces. Les syndicats qui ont planifié de promouvoir explicitement un-e candidat-e devront s’enregistrer en tant que tierce partie et faire rapport de leurs dépenses.

Ce qui est beaucoup moins clair, c’est la seconde moitié de ce paragraphe : « notamment par une prise de position sur une question à laquelle un parti enregistré ou un candidat s’est identifié." Si un syndicat mène une campagne pour sauver la livraison porte-à-porte du courrier par Postes Canada, ce nouveau règlement nécessite que la campagne soit enregistrée et les dépenses soient transmises à Élections Canada ?

Depuis le bref réglementaire paru il y a trois jours, les tierces parties (les organisations non partisanes) n’ont presque pas fait de déclarations politiques. Harper a promis un crédit d’impôt pour la rénovation domiciliaire, peut-être, et les libéraux et le NPD pourraient faire des annonces similaires avant que la campagne ne soit terminée. Voilà.

Comment Élections Canada peut-il réglementer ce qui n’existe que virtuellement ? Le STTP est-il vraiment responsable de tous les feuillets, affichettes, pancartes distribuées qui appellent à sauvegarder la livraison du courrier à domicile ? Je me suis moi-même imprimée mon affichette. Devrait-je faire rapport au bureau de ma section locale du STTP ? Dois-je garder une trace au cas où mes dépenses dépasseraient la limite de 200 $ si je peignais “va chier Harper” dans mes fenêtres ?

Et quel est le point de référence pour déterminer si une intervention concerne un parti ? Google le mentionne ? C’est dans les statuts d’un Parti ? Des annonces sur une politique particulière ont été produites à ce sujet ? Dans une ère de campagnes néolibérales, les Conservateurs pourraient facilement changer de position sur une politique particulière. Dans une campagne de 11 semaines, sûrement toutes les politiques seront mises de l’avant ou rejetées dans l’ombre par l’un ou l’autre des partis.

Une campagne non déclarée pour un salaire minimum à 15 $ serait-elle illégale ? Et une campagne parlant d’une augmentation de x% du salaire minimum serait-elle légale ? Qu’est-ce donc qui se passe si les Libéraux volent le slogan et la promesse d’une relance de l’économie ?

Rien de tout cela n’a été testé en Cour et il n’y a pas de réponses aux questions que je pose. Il y a seulement de bonnes ou de mauvaises hypothèses.

Ces changements réglementaires ciblent évidemment les mouvements sociaux et les syndicats. Les entreprises et les riches ont d’autres mécanismes pour soutenir les partis politiques et ils ne sont pas susceptibles d’être aussi inquiétés de ces changements que ne le sont les syndicats et les organismes sans but lucratif. Le peu d’organismes de droite sans but lucratif pourront facilement faire leur plaidoyer durant 11 semaines et de prendre le temps de présenter leurs pseudo-expertises sur les réseaux de la presse nationale canadienne.

Face à cela, qu’elle est le meilleur plan d’action que devront déployer les syndicats ?

Les syndicats qui se battent pour renverser les politiciens devront probablement s’enregistrer en vertu des règlements sur les tierces parties. Ces changements réglementaires offrent aux syndicats la possibilité de redoubler les méthodes d’organisation traditionnelles, tout en refusant de se laisser intimider par ces terribles règlements. Le langage utilisé est volontairement flou. Les syndicats ne peuvent pas reculer dans la mobilisation de leurs membres et adopter la version conservatrice de ces règles.

Les organisateurs syndicaux devraient lancer des campagnes basées sur des questions qui appellent tous les partis à répondre à leurs demandes. Ils devraient centrer leurs campagnes sur les valeurs fondamentales de leurs membres et s’efforcer de parler directement à chaque membre du syndicat sur ce qui est en jeu lors de cette élection. Les syndicats doivent voir cette élection comme une occasion d’engager les bases syndicales dans tous les lieux de travail partout au Canada pour parler du genre de gouvernement que ces bases veulent.

Et, les syndicats doivent faire preuve de créativité. Ils devraient examiner comment utiliser au mieux ces exemptions pour promouvoir leur message :

 la diffusion au public d’un éditorial, d’un débat, d’un discours, d’une interview, d’une chronique, d’une lettre, d’un commentaire, ou de nouvelles ;

 la distribution d’un livre, ou la promotion de la vente d’un livre, à moins de sa valeur commerciale, si le livre a été prévu pour être mis à la disposition du public indépendamment de savoir s’il devait y avoir une élection ;

 la diffusion d’un document par une personne ou par un groupe directement aux membres, employés ou actionnaires, selon le cas ;

 la diffusion sur Internet par une personne, sur une base non-commerciale, des opinions politiques personnelles de cet individu.

Les syndicats doivent être prêts aussi à faire face à cette loi devant les tribunaux. Si les syndicats ne sont pas disposés à contester les lois injustes qui sont écrites par des dirigeants injustes, il n’y a pas beaucoup d’espoir de sauver un Canada progressiste. Soyez audacieux dans l’interprétation de ces lois. Soyez prêt à payer des amendes. Crime, soyez prêt à faire de la prison.

Il n’y a pas beaucoup de Canadiens moyens qui peuvent affronter les attaques bureaucratiques qui leur sont faites par Stephen Harper. Les syndicats existent pour aider à redonner le pouvoir au peuple et pour représenter démocratiquement le désir de leurs membres. Harper a depuis longtemps déclaré la guerre aux syndicats. Si les syndicats veulent avoir une chance de gagner cette guerre, ils doivent définir les règles de cet affrontement dans leurs propres termes, et pas laisser Harper le faire pour eux.

(Nora Loreto n’est pas une avocate et on devrait toujours s’en rappeler. Faites circuler ce texte dans les syndicats ! Il n’y a pas de campagne d’une tierce partie selon la loi).

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