Kevin Morgan, Professeur de gouvernance et développement à l’Université Cardiff
Red Pepper, 25 janvier 2021
Traduction : Alexandra Cyr
C’est sans aucun doute une vieille blague, mais le Royaume-Uni ne fonctionne plus vraiment en pratique non plus. Plusieurs pensent qu’il en est à sa fin et qu’il ne faut plus se demander si mais bien quand (il éclatera). Les présages s’accumulent de jour en jour. Les sondages révèlent qu’une constante majorité (de la population) écossaise est en faveur de l’indépendance. En Irlande du Nord, spécialement chez les plus jeunes, les sondages semblent suggérer une ouverture à l’unification avec la République d’Irlande. Au pays de Galles, oui, même au pays de Galles comme le disent souvent les commentateurs.trices, on observe une montée constante du mouvement YesCymru (organisation galloise apolitique qui prône l’indépendance du territoire pour en améliorer la gouvernance. N.d.t.). En même temps, de nouveaux partis politiques, comme le Northern Independence Party, en appellent carrément à la dissolution de l’Angleterre elle-même.
On peut penser que deux éléments soutiennent ces résultats de sondages. D’abord, la crise de la COVID- 19 a mis en lumière l’incompétence du gouvernement de Westminster. Elle a aussi démontré que les premiers ministres d’Écosse et du pays de Galles jouissent de plus de confiance de la part de leurs commettants.es que Boris Johnson pour la gestion de cette crise. De plus, les Tories (conservateurs.trices) semblent s’acharner à rendre inopérantes les dévolutions attribuées aux nations celtiques, ce qui, de fait, les affaiblit. Par exemple, la part de pouvoir supplémentaire arrachée de cette manière par le gouvernement Johnson avec l’adoption de la loi United Kingdom Internal Market Act 2020, (UKIMA) a donné au pouvoir central l’autorité d’intervenir dans certains domaines tels l’alimentation, l’environnement et le développement économique, domaines de responsabilités dévolues.
Parmi les trois administrations jouissant de dévolutions, le gouvernement du pays de Galles a traditionnellement été celui le plus en phase avec le pouvoir central. Mais, avec l’adoption de cette loi, il a pris la tête du mouvement de contestation légale à l’égard de B. Johnson. Il a requis une révision juridique de l’ampleur des effets de l’UKIMA parce qu’elle « limite les pouvoirs dévolus au gouvernement gallois, ostensiblement, quoiqu’ implicitement ».
Le fait, que le gouvernement gallois, dominé par les Travaillistes, ait été vraiment dérangé par les ambitions de centralisation de B. Johnson est probablement l’indice le plus sûr que l’intégrité du territoire du Royaume-Uni est de plus en plus remise en question.
Nous le peuple ; le plaidoyer en faveur du « fédéralisme radical »
Ce n’est pas par hasard si le Parti travailliste gallois a pris l’initiative de proposer une réforme des structures territoriales du Royaume-Uni avec ce concept dit du « fédéralisme radical ». Le 14 janvier de cette année, il a publié un document intitulé : Nous le peuple ; le plaidoyer en faveur du fédéralisme radical. D’entrée de jeu, on peut y lire : « (procéder) à des réformes radicales de la constitution n’est plus un choix, c’est une nécessité absolue. Il faut résoudre les éternels conflits enfouis dans la structure du Royaume Uni. Ce document est une contribution pour amorcer le débat, expliciter les raisons qui militent en faveur de cette réforme établir les principes qui serviront de base à son élaboration et le processus qui y mènera. Nous croyons que les populations écossaises, galloises, nord-irlandaises et anglaises doivent avoir la possibilité de faire des choix, d’envisager et de participer à la création d’une démocratie moderne, collaborative, ouverte à la portée de tous et toutes, pour un Royaume-Uni transformé ».
Lors du lancement (du document), j’ai salué son arrivée parce qu’il tente de donner une vision convaincante de ce dont un Royaume-Uni progressiste pourrait avoir l’air. J’ai aussi endossé cette vision parce qu’elle souligne qu’il y a, en ce moment, deux modèles de dévolution à l’œuvre et qu’ils sont également importants.
Le modèle national de dévolution vers les nations celtiques, écossaise, galloise et nord-irlandaise, a dominé le débat sur cette question depuis le siècle dernier, surtout depuis 1999, moment où elles ont pu se doter de parlements élus directement.
Plus récemment, le modèle infranational de dévolution est apparu pour limiter les pouvoirs dévolus aux cités-régions et aux maires élus directement. Le tout a commencé avec le Grand Manchester en 2014. Le texte du Parti travailliste gallois accorde une égale valeur à ces deux modèles : « Nos pays, régions et cités méritent un avenir meilleur que celui que leur offrent les nationalistes et les conservateurs.trices en ce moment. Le processus d’élaboration et de planification de ce futur doit commencer maintenant ; c’est une urgence ».
Peut-être est-ce trop peu trop tard ? Mais sans une autre proposition entre le statut quo réactionnaire et des incertitudes liées aux indépendances, on peut penser que les Écossais.es décideront de se séparer du Royaume-Uni. Beaucoup de forces progressistes y sont en faveur, par exemple, Common Weal qui fait campagne pour l’égalité économique et sociale, pour le bien-être, l’environnement, la qualité de vie, la paix et pour la justice. Autrement dit, on ne devrait pas diaboliser le mouvement indépendantiste écossais. Il s’agit d’une large coalition politique et civique que les progressistes dans le Royaume ne doivent pas réduire à d’étroites caractéristiques ethniques.
Pour constituer une troisième option crédible, les promoteurs.trices de ce document doivent faire la démonstration que des réformes constitutionnelles sont pertinentes et essentielles en regard des enjeux « de pain et de beurre », ceux qui déterminent la qualité de la vie quotidienne, tels le logement abordable, une vie digne pour les personnes âgées, la sécurité alimentaire, la pauvreté, l’énergie et la lutte contre les gaz à effet de serre.
Il se peut que le « fédéralisme radical » soit la seule option pour préserver l’intégrité du territoire parce que, sans ce genre de proposition, le Royaume-Uni va à sa perte. Par contre, pour que ce soit effectif, cette option doit passer le test de Raymond Williams, soit de rendre l’espoir possible et pratique si nous voulons vraiment être radicaux.ales.
Ce test ne sera réussi qu’en prouvant que réformer la constitution, (incluant la réforme électorale), n’est pas un enjeu marginal, mais qu’il s’agit d’une partie intégrale du programme de décentralisation du pouvoir vers les nations, les régions et les localités, et ce, pour un Royaume-Uni plus démocratique et plus durable.
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