Tiré du blogue de l’auteur.
Dans la nuit du 7 au 8 novembre, de nombreux supporters israéliens du Maccabi de Tel Aviv ont été agressés physiquement dans les rues d’Amsterdam. Certains des auteurs de ces actes motivés par le contexte géopolitique devront en répondre devant la justice. Comment pourrait-on cautionner le fait de s’en prendre à des personnes en raison de leur appartenance nationale ?
Mais qualifier ces agissements de "pogrom antisémite" (comme a pu le faire Isaac Herzog, le président israélien, dont les propos sur l’absence supposée de civils innocents à Gaza sont bien connus et cités dans la requête sud-africaine accusant Israël de génocide devant la Cour internationale de justice [1]), ou de "chasse aux juifs" (comme a pu le faire Laurent Wauquiez, président du groupe parlementaire de La Droite républicaine ; mais aussi Geert Wilders, le chef du Parti pour la liberté, le principal parti d’extrême-droite néerlandais), relève d’une manipulation grossière des faits.
Celle-ci a été entretenue par les dirigeants, représentants et propagandistes de l’Etat d’Israël, ainsi que par ses soutiens inconditionnels en Europe (au premier rang desquels on trouve des politiciens français de droite et d’extrême droite, ainsi que de nombreux responsables politiques en France, en Allemagne et aux Pays-Bas). C’est aussi une insulte à la mémoire des victimes des pogroms − réels − qui se sont multipliés en Europe centrale et orientale entre la fin du XIXe s. et les années 1940. Le roi des Pays-Bas est allé jusqu’à comparer la situation de la communauté juive dans son pays occupé par les Nazis pendant la Seconde Guerre mondiale avec celle des supporters du Maccabi pourchassés et molestés par des "Arabes", un terme souvent utilisé dans les témoignages [2].
Les descendants des victimes du judéocide nazi apprécieront cette analogie pour le moins honteuse. Yad Vashem, le musée officiel de la Shoah en Israël, a fait le parallèle entre le prétendu pogrom d’Amsterdam et la Nuit de Cristal, qui a marqué le début de l’élimination physique des Allemands juifs par le régime nazi [3]. Cette institution a constamment servi, depuis sa création en 1953, à instrumentaliser la mémoire des 6 millions de Juifs européens assassinés au service du projet d’Etat colonial et d’apartheid en Palestine [4], alors même que le sionisme était un mouvement minoritaire au sein du monde juif de la première moitié du XXe siècle. On peut aussi rappeler que le Mémorial de Yad Vashem jouxte les ruines du village palestinien de Deir Yassin, où les milices sionistes ont massacré plus de 250 hommes, femmes et enfants en avril 1948, durant l’épuration ethnique qui a accompagné la création d’Israël. La même institution a rejeté la requête d’une cinquantaine de spécialistes de la Shoah et des études juives lui demandant de condamner les multiples incitations publiques à la destruction de Gaza et de ses 2 millions d’habitants [5].
On sait à quoi sert l’amalgame intentionnel entre les Israéliens et les Juifs : polir l’image internationale d’un Etat occupant et génocidaire, lequel a battu tous les records, durant le premier quart du XXIe s., en termes de meurtres d’enfants, de journalistes et de professionnels de santé. Les ressortissants israéliens attaqués après le match sont issus du même groupe de supporters surpris avant la rencontre en train d’arracher un drapeau palestinien sur la façade d’un immeuble aux cris de "Fuck you Palestine !" et d’entonner des chants en soutien à leur armée qui s’applique à raser Gaza et à massacrer et mutiler chaque jour des dizaines − au minimum − d’hommes désarmés, d’enfants et de femmes ("Que Tsahal gagne pour niquer les Arabes !" ; ou encore "Il n’y a pas d’écoles à Gaza parce qu’il n’y a plus d’enfants !") [6]. La chasse à l’homme − condamnable − dont ils ont fait l’objet par la suite suffirait donc à blanchir de telles apologies de crimes contre l’humanité (celles-ci ne font que s’ajouter à la très longue liste d’appels à commettre des actes génocidaires contre un peuple occupé et déshumanisé par Israël depuis des décennies, des appels qui se matérialisent sur le terrain depuis 13 mois) ? A la différence des auteurs des violences arrêtés par la police de leur pays, ces ultra-nationalistes israéliens ne seront jamais traduits en justice.
Notes
[1] https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/192/192-20231228-app-01-00-fr.pdf : page 73 ; le président Herzog est aussi l’un des nombreux Israéliens à avoir écrit des messages sur les bombes destinées à être larguées sur Gaza.
[3] https://www.yadvashem.org/press-release/08-november-2024-07-53.html
[4] D’après l’historienne israélienne Idith Zertal (Université hébraïque de Jérusalem), dans son ouvrage Israel’s Holocaust and the Politics of Nationhood (Cambridge University Press, 2005, p. 100) : « Le transfert de la situation [des Juifs d’Europe] durant la Shoah dans la réalité du Moyen-Orient... n’a pas seulement créé le faux sentiment d’un danger imminent de destruction massive. Il a aussi complètement déformé l’image de la Shoah, éclipsé l’ampleur des atrocités commises par les Nazis, banalisé l’agonie incomparable des victimes et des survivants, et diabolisé totalement les Arabes et leurs dirigeants. »
[6] https://www.liberation.fr/sports/football/supporters-israeliens-attaques-a-amsterdam-ce-que-lon-sait-des-faits-du-contexte-et-des-reactions-20241108_6ZLLITQWIFBCNMUUWVIKV23FTE/?utm_source=pocket-newtab-fr-fr ; https://www.lemonde.fr/international/article/2024/11/08/amsterdam-ce-que-l-on-sait-des-violences-contre-les-supporteurs-israeliens-apres-un-match-de-ligue-europa-entre-l-ajax-amsterdam-et-le-maccabi-tel-aviv_6382760_3211.html ; https://www.nouvelobs.com/sport/20241108.OBS96076/a-amsterdam-des-violences-eclatent-apres-un-match-de-ligue-europa-israel-denonce-une-attaque-antisemite-premeditee.html
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