Édition du 17 décembre 2024

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Le dilemme des Kurdes

En 2003, la grande ville irakienne du nord avait été « libérée » par les combattants kurdes (Peshmergas) qui agissaient en tant que supplétifs de l’armée américaine. Les soldats kurdes avaient tué bon nombre de civils et surtout, ils avaient systématiquement pillé la ville, non seulement les banques et commerces, mais les habitations civiles qu’on vidait à pleins camions téléviseurs et ordinateurs pour filer vers Erbil, la capitale du Kurdistan irakien contrôlé par le chef tribal Massoud Barzani. Les habitants de Mossoul s’en souviennent encore.

Pas loin de là à la même époque, les Kurdes s’installaient à Kirkouk, une ville multiethnique où coexistaient Kurdes et Arabes. Or aujourd’hui, 13 ans plus tard, cette ville reste sous contrôle kurde (malgré les engagements kurdes et américains faits au gouvernement irakien post-Saddam). En plus, Kirkouk a été en partie « nettoyée » ethniquement, les Arabes ayant été « encouragés » » à quitter.

Aujourd’hui, les Kurdes ont agrandi de 40 % « leurs » territoires, bien au-delà du Kurdistan irakien « traditionnel ». Cette occupation illégale se fait dans l’indescriptible chaos qui sévit en Irak et où le gouvernement, les oppositions, les milices, se tapent dessus pêle-mêle, sans compter les incursions et manœuvres des États-Unis et des puissances régionales comme la Turquie et l’Iran, qui ont les yeux tournés vers le nord de l’Irak qui regorge de pétrole. À la frontière avec la Turquie, ce sont les Peshmergas.qui contrôlent le trafic illégal du pétrole. Les revenus tirés de ce trafic sont accaparés par le clan Barzani, sans faire partie du budget officiel de ce qui est de facto un État indépendant.

On ne peut s’étonner alors des craintes actuelles de la population de Mossoul, majoritairement arabe, majoritairement sunnite. En 2014, Daesh, qui s’était présenté comme le « défenseur » des sunnites, avait réussi à conquérir la ville sans opposition, pas tellement parce que les Irakiens sont stupides, mais parce qu’ils avaient subi les attaques et le pillage des forces « libératrices » commandités par les États-Unis.

Entre-temps, le gouvernement régional de la partie ouest du Kurdistan (divisé entre deux « gouvernements ») est dirigé d’une main de fer. Comme son père Mustapha, Massoud Barzani gère le territoire comme son fief personnel. Il n’y a pas eu d’élection telle que prévue en 2015. L’essentiel de la gouvernance actuelle est de mener la guerre avec plus de 100 000 soldats (dont la solde émarge du budget militaire des États-Unis), ainsi que de la gestion des trafics divers de et vers les pays voisins (la Turquie et l’Iran, essentiellement). Des dispositifs répressifs visent les opposants politiques, les journalistes, les homosexuels et les membres de minorités nationales, notamment les Assyriens (arabophones chrétiens). Certes, l’administration kurde n’est pas pire ni meilleure que ce qui sévit dans le reste de l’Irak.

Parallèlement, le régime Barzani entretient d’excellentes relations avec Israël, qui entraîne les troupes kurdes et achète une bonne partie du pétrole que les Kurdes exploitent dans la région de Kirkuk. Israël est un des rares États-membres de l’ONU à se faire explicitement l’avocat de l’indépendance du Kurdistan. Fait à noter, l’opposition kurde en Turquie, menée par le Parti des travailleurs (le PKK), est combattue par le gouvernement de Barzani qui lui refuse l’accès à son territoire.

Au bout de la ligne, les dirigeants kurdes font partie du dispositif mis en place par l’occupation américaine pour fragmenter l’Irak en entités hostiles les unes aux autres et faire du territoire une base militaire américaine permanente dans la région. Cette histoire de victimes devenues bourreaux n’est pas la première ni la dernière dans cette région tourmentée.

Juste pour être explicite, cela n’est pas la même configuration dans les régions kurdes de Syrie où domine le PKK, adversaire historique du régime turc et de son allié-protecteur américain (le PKK y opère sous le nom du Parti de l’union démocratique). La situation sur le terrain est cependant bien confuse puisque les États-Unis appuient présentement les combattants kurdes-syriens, selon la formule sordide qui dit que « l’ennemi de mon ennemi est mon ami » (les kurdes combattent Daesh). Il faut se souvenir qu’avant de devenir les grands ennemis des États-Unis, les Talibans avaient été eux-aussi leurs alliés dans la guerre pour renverser le gouvernement afghan.

Pour finir par le commencement, il semble évident que les habitants de Mossoul seraient ravis d’être libérés de Daesh, mais pas au prix de tomber dans les griffes d’une autre force occupante. Aujourd’hui, les personnes et les organisations, au Québec et ailleurs, qui combattent pour la paix et la fin de l’occupation en Irak et de la guerre en Syrie, seraient bien avisées de ne pas se faire les instruments d’une stratégie impérialiste bien établie du « divide and rule ». Les Kurdes ont certainement des droits à défendre, et leur aspiration à l’autodétermination est tout à fait légitime, à condition qu’elle ne s’exerce pas en opprimant d’autres peuples et en devenant des mercenaires des États-Unis qui, faut-il le rappeler, n’ont pas abandonné le projet de procéder à la « réingénierie » du Moyen-Orient. Ce qui veut dire, la guerre, le carnage et le pillage sans fin.

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