Édition du 18 juin 2024

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Le dernier livre d'Éric Laurent : Le scandale des délocalisations

« Jamais le monde des affaires ne s’est révélé aussi hostile aux intérêts des travailleurs.  » Deux phrases plus loin : « Depuis 2001, les dirigeants politiques, industriels et financiers tentent de mentir à l’opinion. » Vous avez compris que ce grand reporter qu’est Éric Laurent n’utilise pas la langue de bois, ce qui rend son livre fascinant. Plein d’exemples concrets, plein de statistiques viennent appuyer ses propos.

Selon M. Laurent, « il n’existe pas d’argument plus stupide pour justifier les soi-disant « bienfaits » de la mondialisation que celui qui la présente comme un phénomène où toutes les parties sont gagnantes. » Il cite Stiglitz qui en parlant de cette mondialisation précise : « ... peu en bénéficieront en Occident alors que la majorité en souffrira. » L’auteur déboulonne les raisons évoquées pour justifier les délocalisations notamment celle alléguant qu’ici on va garder et développer des emplois de haut niveau.

Les entreprises délocalisent pour bénéficier non seulement des bas salaires de la Chine, de l’Inde, mais aussi pour s’esquiver de l’impôt. Ceci exerce une pression à la baisse sur les salaires d’ici mais le pire c’est qu’en plus les impôts des travailleurs servent à subventionner les entreprises qui vont créer des emplois à l’étranger : « les dirigeants politiques continuent d’octroyer des aides scandaleuses à des entreprises tout en sachant qu’elle s’empresseront de délocaliser. » Ces aides ne sont jamais remboursées.

Un chapitre est consacré à Wal-Mart, qui plus que toute autre entreprise a bâti sa fortune sur ces délocalisations. Les statistiques fournies par l’auteur illustrent clairement comment Wal-Mart vit non seulement au crochet des travailleurs d’ailleurs et d’ici qu’elle exploite honteusement, mais également au crochet de tous les contribuables, notamment aux États-Unis, où les gens ne bénéficient pas de système de santé public.

Les lecteurs resteront estomaqués en lisant le chapitre La folie des délocalisations : au mépris de tous les dangers. Rien de rassurant. Je me retiens pour ne pas en dire plus.

Si pour les entreprises de l’Occident, la globalisation à court terme ce fut avantageux, sur le long terme c’est désastreux. « La mondialisation a été pour les pays riches une véritable spirale qui les a tirés vers le bas. »

D’après l’auteur « Pour la première fois, l’Occident n’est plus maître du jeu. » et les entreprises ne semblent pas encore s’en apercevoir. Elles n’ont pas réalisé que les bas salaires de la Chine et de l’Inde, c’était un piège. La Chine ne se gêne pas pour mettre son veto au rachat de ses entreprises - contrairement à nos gouvernements mollassons qui laissent aller plusieurs entreprises d’ici. Par contre « racheter des firmes occidentales est parfaitement inutile puisqu’elles acceptent, sans bourse délier, de transférer en Chine leur technologie et leur recherche-développement  » , et offrent à ce pays ce qu’il veut sur un plateau d’argent. Certaines refusent, mais Bombardier comme bien d’autres acceptent.

D’après l’auteur, la Chine et l’Inde sont en train d’acquérir une suprématie mondiale. Déjà en Inde, dans des secteurs de haute technologie, " trois firmes [...] font désormais partie des dix premiers groupes mondiaux  » Avant, la « fuite des cerveaux » se faisait des pays en développement vers l’Occident. Cela vaut encore pour l’Afrique, - qu’on continue de voler honteusement de cette façon- mais maintenant « juste retour du balancier » le processus est inversé pour les pays comme l’Inde et la Chine.

Éric Laurent observe « un basculement de pouvoir ». et dénonce une « véritable reddition du monde des affaires occidental. » Il soutient que « le monde des affaires aura provoqué l’affaiblissement inexorable de nos économies », que « les firmes ont programmé leur suicide. »

Il se prononce sans équivoque : « De nombreux historiens se pencheront plus tard sur ce phénomène sans équivalent dans l’histoire du monde : des pays riches et prospères ont abdiqué toute volonté. Pour un gain immédiat, ils ont renié les travailleurs et les citoyens de leurs pays et fourni à de futurs adversaires les moyens de les dominer. »

L’auteur ne mâche pas ses mots pour nommer les responsables de ce déclin de l’Occident capitaliste qui résulte « d’une abdication de ses élites politiques et économiques. Un pays est en danger quand il est trahi par ses dirigeants. » « C’est le secteur privé qui dicte les règles du jeu » nous confirme-t-il. « Les politiques sont à la fois complices et désarmés. Ils n’ont ni le moyen ni le courage d’affronter le secteur privé  » Sur ce dernier point je suis en désaccord avec l’auteur. Si les politiciens voulaient vraiment, ils pourraient se réapproprier les pouvoirs qu’eux-mêmes ont abdiqué aux mains des oligopoles en signant les accords de libre-échange. Le premier pas d’un gouvernement courageux serait d’oser informer la population des conséquences désastreuses de cette capitulation. Pourtant « face à ce malaise grandissant, le pouvoir politique réplique par l’omerta. »

Cet omerta n’est pas le seul apanage des gouvernements. Quels sont les médias qui parlent des méfaits de la globalisation ? M. Laurent rapporte les paroles d’un conseiller en communication : « Tout ce qui n’est pas dans les médias n’existe pas » et commente : « sous-entendu : employons-nous à dissimuler au public certaines informations et il n’aura pas connaissance de la gravité du sujet. » « L’industrie des médias ne sert pas la vérité mais le gouvernement et les groupes de pouvoir qui l’entourent. » Non ce n’est pas quelqu’un de la gauche qui a dit cela mais Paul Craig Roberts, l’ancien sous-secrétaire d’État au Trésor de Reagan.

Quel politicien aura assez de courage pour lever l’omerta ? A mon avis, une population consciente ne demanderait pas mieux que d’appuyer un gouvernement qui décide de se réapproprier son pouvoir afin de mieux assumer son mandat de gardien du bien commun.

Si Charest, Harper, et Éric Duhaime, toujours intoxiqués par l’idéologie néolibérale lisaient Le scandale des délocalisations, ils risqueraient de voir clair. A moins que ça leur rapporte de rester aveugles.

Ce livre se lit comme un roman. Votre frère, votre tante, votre ami-e, votre collègue, et même ceux qui ne sont pas habituellement de grands lecteurs, seront captivés. Les syndicats devraient en recommander fortement la lecture à leurs membres.

Ceux qui croient encore aux soi-disant « bienfaits » de cette mondialisation réaliseront avec stupeur au fil des pages, comment cette folie de la course aux profits les concerne plus qu’ils ne pensent. Dès lors, ils seront plus habilités à choisir aux élections les candidats qui leur diront la vérité.

Françoise Breault

Après une carrière en enseignement, dont un an avec les Échanges France-Québec, j’ai poursuivi en travail social auprès des familles. Vers l’âge de cinq ans, je me demandais pourquoi il y avait des pauvres et ce que je pouvais faire. Sans en prendre pleinement conscience, cette interrogation m’a habité toute ma vie. Une année en Amérique du Sud ne m’avait toujours pas apporté de réponse. Cela m’a pris du temps à voir clair... Maintenant que la lumière est allumée, je ne peux et ne veux la refermer... Tous les faits, toutes mes lectures me confirment comment le système économique actuel contribue à ce fossé grandissant entre riches et pauvres. Me voici maintenant à ma 3e carrière, celle où je peux mettre tout mon temps et énergie à sensibiliser les gens aux graves enjeux d’aujourd’hui, afin de vivre dans un monde plus juste... « mais nous, nous serons morts mon frère... ».

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