Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Féminisme

Le colloque international de la Marche mondiale des Femmes à Québec

Le 10 et 11 septembre dernier s’est tenu, à l’Université Laval, un colloque organisé par la Coalition régionale de Québec de la Marche mondiale des Femmes et le regroupement de groupes de femmes de la région de la Capitale-Nationale.

Le Colloque a pu faire venir les femmes membres de la Coordination mondiale de la MMF. C’est donc autour des exposés de ces cinq représentantes continentales de la MMF que le colloque s’est déroulé.
Le tout a débuté jeudi avec l’accueil en chant , en tambour et en prière à la Terre-Mère avec les militantes autochtones de la maison Misnack suivie des discours d’ouverture de mesdames Simard et Isabelle Boily suite au financement par l’Entente spécifique sur la condition féminine de la Capitale-Nationale, d’un petit historique sur l’origine de la Marche avec les filles de Rose du Nord et d’une chorale pour entonner du Pain et des Roses avec des femmes du Centre femmes d’aujourd’hui. Madame Émilia Castro membre de la Coordination mondiale de la MMF et Ariane Gauthier du Centre ressources Beauport ont fait l’animation de l’après-midi en français, en anglais et en espagnol dans l’esprit de mondialisation de la Marche. Madame Chantal Locat, porte-parole de la Coordination québécoise de la Marche a aussi fait une rapide mise en situation. Le tout suivi d’un coquetel fort apprécié en poésie, musique et échanges.

Le lendemain, chaque représentante de la coordination mondiale de la Marche a fait un exposé rapide de la situation dans son pays et dans son continent.

Madame Sophie Ogutu du Kenya a choisi de nous décrire la pauvreté dans son pays et par extension dans l’Afrique. Même si l’Afrique est le continent le plus riche en matières premières, le tiers de la population en Afrique subsaharienne vit avec moins de 1.50 $ par jour. La faim affecte la population tout comme l’accès difficile à l’eau potable. S’en suivent les maladies, dont la malaria. Pour les femmes, cette situation de misère s’accentue avec les violences en tout genre, un faible accès à l’éducation (moins de 20 % des filles vont à l’école) et des dangers lors de la grossesse, de l’accouchement et de la mort des enfants en bas âge. Elle mentionne aussi que cette pauvreté est patriarcale, car tout repose sur les femmes. Les hommes partent souvent ailleurs pour gagner de l’argent et les femmes restent seules avec les enfants. Souvent pour survivre, elles n’ont pas le choix de se prostituer. Mais tout demeure sous le contrôle de l’homme, les femmes n’ont pas d’autonomie économique et comme elles ont peu accès à l’éducation ne connaissent pas leurs droits et leurs possibilités.

Madame Souad Mahmoud de Tunisie nous a parlé de la situation des femmes dans le monde arabe en insistant sur l’intégrisme religieux. Cet intégrisme se nourrit de la crise du capitalisme, mais aussi développe un discours populiste et totalitaire. Le printemps arabe de 2010-2011 a pris racine dans une société en crise économique et en crise politique et a revendiqué des emplois, de la liberté et de la justice sociale pour tout le monde. En Tunisie les femmes ont gagné un statut de reconnaissance comme personnes : la polygamie y est interdite depuis 1956. Mais la nouvelle constitution affirme encore que les femmes sont le complément de l’homme, et ce, malgré des manifestations de plus de 200,000 femmes. Si le parlement a accepté cette constitution, c’est que des femmes au parlement ont défendu ces idées de droite. En Tunisie, il y a une parité verticale pour les partis politiques, mais pas horizontale ce qui limite la place des femmes au parlement et par conséquent la défense des intérêts réels des femmes.

Madame Yildiz Temürtürkan de Turquie et représentante de l’Europe nous a fait part d’une réalité peu connue au Québec : la guerre, les violences extrêmes et la nécessité de l’autodéfense. Elle a expliqué comment les femmes se sont mobilisé pour organiser en pays kurdes, en Turquie et en Syrie la caravane de la Marche mondiale des Femmes qui va se promener dans toute l’Europe, mais qui a pris la Turquie comme point de départ. Elle nous a montré des photos des femmes armées pour défendre leurs villages et organisées en commando militaire. D’autres femmes organisaient dans leurs villages de l’autodéfense avec armes à la main. Les femmes qui sont fait prisonnières sont vendues comme esclaves ou sont torturées sexuellement, tuées et étalées sur la place publique pour faire des exemples. Mais les femmes résistent et se mobilisent contre ces violences. Elles font des contingents de femmes avec des drapeaux blancs. Elles organisent aussi dans les zones libérées des structures politiques fédérées avec assemblées démocratiques. Les valeurs de l’écologie sont aussi à l’honneur dans ces zones. Les femmes y ont une représentation égalitaire et s’organisent pour se défendre contre les violences conjugales. Les photos étaient très surprenantes pour nous qui ignorons la réalité de la guerre.

Nouvelle députée guatémaltèque, madame Sandra Ninet Moran Reyes pose le questionnement de comment lier nos luttes, car nous avons un ennemi : l’impérialisme américain qui pille et contrôle les ressources naturelles. Le continent sud-américain compte une moitié des gouvernements progressistes et tous ces gouvernements sont sous les attaques de l’impérialisme américain. Cet impérialisme tue tout : la vie, la terre, tout cela pour l’argent. Même les femmes sont vendues pour le tourisme sexuel. Pour obtenir le respect de tous et toutes, il va falloir changer de système. Et bâtir une nouvelle vie. Mais il va falloir aussi sortir de nos têtes l’impérialisme américain. Il va nous falloir changer. Et ça, selon madame Moran Reyes c’est le plus dur. Mais les femmes sont des survivantes donc elles peuvent changer et en finir avec la militarisation, l’esclavagisme, le contrôle sur les vies des gens, l’intégrisme, et la pauvreté. Les femmes sont fortes et capables d’aller plus loin. Elles changent dans leur tête et changent la société. Et cela peut se faire sans violence. Au Guatemala, les changements entre avril et septembre se sont faits sans violence. Les femmes ont dit non à la violence : c’est fini. Elles ont rendu réels leurs rêves. Les femmes peuvent aller plus loin et briser le silence. Madame Moran Reyes a illustré l’importance de cette réflexion en interprétant un poème composé par des femmes guatémaltèques contre les violences faites aux femmes.

Madame Ana Maria Ronquillo Nemenzo des Philippines nous a parlé de la réalité des femmes en Asie. Son pays, à 80 % catholique, a combattu la dictature de Marcos. Mais le pays est encore aux prises avec la pauvreté. Ce qui caractérise les Philippines c’est l’exportation des travailleurs et travailleuses à travers le monde. Pour éviter de trop gros taux de chômage, Marcos exportait les travailleurs et travailleuses partout dans le monde. Ces exportations favorisaient l’exploitation capitaliste. Mais le patriarcat était aussi présent. Les femmes philippines sont ainsi devenues des domestiques à travers la planète et ont subi aussi les harcèlements sexuels qui vont souvent de pair avec le travail domestique. Dans leur pays, elles subissent aussi la prostitution avec le tourisme sexuel. Ces femmes prostituées ont souvent été abusées et violées dans leur enfance. Ce système prostitutionnel proliférait autour des bases militaires. En 1992, en même temps que la dictature, les femmes avaient réussi à mettre ce réseau dehors du pays. Mais l’impérialisme américain veut revenir, veut reprendre ses droits sur les femmes à partir cette fois de l’exploitation des ressources naturelles. De plus, les désastres naturels qui sont en fait des désastres écologiques dûs à la pollution et aux changements climatiques affectent particulièrement les femmes. Madame Ronquillo Nemenzo nous laisse sur deux réflexions importantes. Premièrement : le viol n’est pas une violence contre la chasteté, mais une violence contre une personne. Deuxièmement : nous sommes la moitié de l’humanité, il y a nécessité de solidarité.

Ces cinq exposés nous alimentent, nous énergisent et nous portent à la réflexion. En après-midi, le colloque se poursuit en atelier sur cinq thématiques : austérité, pauvreté, violence, militarisation et environnement. Chaque atelier doit conclure les discussions sur une lutte à prioriser et une stratégie à mettre de l’avant.

À la fin de la journée, la plénière permet de mettre en commun les visions des militantes. À retenir les éléments suivants :

 lutter pour la vie
 défaire le discours sur la militarisation
 lutter contre les coupures dans les programmes sociaux
 lutter contre la criminalisation des femmes militantes
 lutter pour l’autonomie économique des femmes
 lier capitalisme-patriarcat et austérité

Dans les stratégies de lutte, c’est l’éducation populaire, la formation politique et l’information qui se sont dégagé dans presque tous les ateliers. L’accent était mis sur l’importance de la conscientisation.
À la fin de la plénière, il y a eu la lecture de la déclaration du colloque. Un texte mobilisateur qui parle de la pauvreté des femmes, des violences qu’elles subissent et des luttes nécessaires pour gagner. Le mot de la fin est venu de l’animatrice de la journée en parlant de la nécessité de faire des alliées, de développer des solidarités et de renforcer notre unité.

Un beau colloque qui a mobilisé les femmes du mouvement des femmes de la région de Québec et qui a nourri les réflexions. Merci à toutes les femmes qui ont participé à l’organisation de cet événement. Il y aura sûrement des suites…dans la rue.

Ginette Lewis

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