Il faut observer la vitesse avec laquelle le groupe de pression pro-israélien a utilisé l’affirmation initialement fausse de l’Université de Cambridge (que son refus était motivé par des raisons de santé) pour dénoncer le mouvement en faveur du boycott. Et ensuite son dépit quand quelques heures plus tard l’Université a dû corriger le tir avec honte. Hawking a clairement indiqué aussi que s’il avait assisté au congrès, il aurait utilisé cette opportunité pour critiquer les politiques d’Israël envers les Palestiniens. Tandis que les journalistes parlaient de lui comme « l’exemple par excellence du boycott académique » et que se réjouissaient ceux qui soutiennent le Mouvement Boycott, Désinvestissements et Sanctions (BDS), le journal « Ha’aretz », le plus progressiste de la presse israélienne, attirait l’attention sur le langage incendiaire utilisé par les organisateurs du congrès, qui se disaient « indignés », - un terme bien plus fort que « regrettant » - par la décision de Hawking.
Que le scientifique le plus célèbre du monde ait reconnu la justesse de la cause palestinienne représente potentiellement un tournant pour la campagne BDS. Et que cette position ait été approuvée par une majorité de deux contre un dans le sondage effectuée par « The Guardian » après son annonce montre à quel point l’opinion publique s’est retournée contre l’expropriation des terres et l’oppression implacable perpétrées par Israël.
Le rejet public de Hawking s’est produit après celui de chanteurs, d’artistes et d’écrivains notables comme Brian Eno, Mike Leigh, Alice Walker et Adrienne Rich, qui ont tous publiquement repoussé des invitations en Israël. Mais ce qui fait particulièrement mal aux autorités israéliennes, c’est le fait que ce rejet provienne d’un scientifique célèbre et que c’est précisément la science et la technologie qui impulsent leur économie. La décision de Hawking menace d’ouvrir la boîte de Pandore d’un nombre sans cesse croissant de scientifiques qui finiront par voir Israël comme un Etat paria. Et Israël doit coûte que coûte protéger ses connexions de recherche avec des scientifiques européens et nord-américains.
Le fait qu’Israël, un pays du Moyen Orient, soit parvenu à devenir membre du « European Research Area » et qu’il existe de nombreux liens de collaboration avec des laboratoires européens souligne l’importance de ces rapports. Quand des membres du Parlement européen ont remis en question cette condition de membre à cause des nombreuses violations israéliennes des résolutions des Nations Unies et au nom des conventions européennes des Droits de l’Homme, la Commission européenne a répondu que la recherche scientifique était au dessus des droits humains.
La science et la technologie d’Israël ne constituent pas seulement une source de prestige et d’innovation, elles renforcent également ses capacités militaires. C’est un ingénieur israélien qui a développé les « drones », les avions sans pilote qui sont aujourd’hui abondamment utilisés par les Etats-Unis. Les armes chimiques israéliennes sont aussi nombreuses et dangereuses que celles de la Syrie et les universités israéliennes approvisionnent généreusement les Forces de Défense d’Israël en méthodes sociologiques, psychologiques et technologiques pour supprimer les protestations palestiniennes contre l’occupation.
La complicité du monde académique avec la politique d’Etat d’Israël ne fait aucun doute. Mais c’est cependant la première fois qu’un scientifique de la stature de Hawking adopte une telle position aussi publique et la réponse outrée des organisateurs du congrès israélien (il convient de noter que l’Université hébraïque de Jérusalem, où allait se tenir le congrès auquel Hawking était invité, est construite sur un territoire illégalement annexé) n’a fait que démultiplier sa répercussion.
Finalement, ce sont les multiples débats publics sur la justesse ou pas du boycott académique qui ont attiré l’attention sur la servilité des universités israéliennes vis-à-vis de l’Etat. Jusqu’au début de la campagne de boycott, les critiques internes étaient rares et dispersées et certains des plus radicaux, comme Ilan Pappé, avaient été exclus. Mais cette soumission commence à se fissurer. Quant, en 2012, le ministre de l’Education a tenté de fermer le département des Sciences Politiques de l’Université Ben Gourion pour « raisons académiques », on a immédiatement interprété cela comme une attaque politique contre l’un des rares départements dont le personnel académique n’hésitait pas à qualifier Israël d’Etat d’apartheid. Le professeur Gilad Haran, de l’Institut Weizmann, a alors lancé une pétition dans laquelle il déclarait : « Nous avons l’impression que la liberté académique du système d’éducation supérieure d’Israël est gravement mise en danger ». Le département est toujours en activité, ce qui représente une petite victoire.
Hilary Rose, sociologue des sciences et féministes, professeure émérite de l’Université de Bradford. Steven Rose, professeur émérite de neurosciences à l’Open University. Tous deux sont membres fondateurs du BRICUP [www.bricup.org.uk], le Comité britannique pour les Universités de Palestine.
Publié dans « The Guardian » les 9 et 13 mai 2013
Traductions françaises pour Avanti4.be : G. Cluseret