OK Boomers !!!
Semble-t-il que ce slogan fait florès sur les réseaux sociaux. Je ne consulte ni n’utilise les réseaux. Ne m’y cherchez pas, je n’y serai jamais. Mais ces dernières semaines ce « phénomène » a aussi alimenté les radios et les télés. On comprend que cet appel de plus jeunes (???) veut dire à la fois : « Décollez on vous a assez vus.es » ou encore : « Vous avez tout gobé, rien laissé… » et bien d’autres choses du genre.
Ne vous inquiétez pas, je ne me mettrai pas ici à défendre cette génération. Ce qui me turlupine, c’est l’analyse sociale et politique basée sur le concept de génération. Il fausse la réalité d’hier et d’aujourd’hui. Il donne peu d’outils pour décider et orienter nos luttes et batailles politiques et économiques.
Le mot « génération » désigne un groupe de personnes nées à un moment bien circonscrit de l’histoire. Les bébés boomers sont nés de la fin de la dernière guerre mondiale, grosso modo 1945, et ce, jusqu’au début des années soixante. Et le pouvoir ne leur est pas tombé dans les mains à la naissance, sauf pour ceux et celles dont la famille y participait déjà. En faire un groupe homogène trahit la réalité sociale, politique et économique de cette génération comme n’importe quelle autre.
Dans les sociétés capitalistes, l’analyse de classes sociales s’impose. Les « bébés boomers » s’y sont inévitablement retrouvés.es, depuis le balayeur, le bûcheron, à l’ouvrière de l’industrie textile et le P.D.G. Leur niveau de participation et sa valeur politique et économique à la transformation des sociétés de leur époque, n’est absolument pas équivalent. Cette génération a grandi au cours de ce qu’on a baptisé « les trente glorieuses », pendant le règne de la doctrine keynésienne qui préconisait l’implication des gouvernements dans le développement économique et les droits des travailleurs.euses, dans le contexte des années d’après-guerre où le capitalisme occidental prend un essor incomparable. En Europe, le plan Marshall (américain) a injecté l’argent nécessaire pour reconstruire ce qui avait été détruit. Il a ainsi injecté ce qu’il fallait également pour que triomphent les sociétés de marchés ; pas question de laisser le développement aux communistes (cf. en France et en Grèce notamment). L’Amérique du nord, les États-Unis en tête, a aussi pu donner le coup de fouet nécessaire pour que les capitaux soient orientés vers les secteurs développés durant la guerre : avionnerie, automobiles de toutes sortes, donc acier, aluminium, industrie minière, énergies et denrées alimentaires en développant l’agriculture industrielle, entre autres avec la révolution dite verte, etc. etc. Mais aussi vers de nouveaux secteurs qui ont bénéficié de l’expertise développée durant la guerre : appareils ménagers, construction résidentielle, outils de communication, développement des services de santé et sociaux. L’accumulation capitaliste a connu une époque dorée en même temps que la bourgeoisie lâchait du lest sur les enjeux sociaux, tant la peur du communisme était présente. Car ce fut aussi l’époque de grandes grèves, de combats pour l’éducation, la sécurité de la vieillesse et autres bénéfices sociaux, luttes combien difficiles, mais qui donnaient des résultats non négligeables (cf. le New Deal de Roosevelt entre autres). De nouveaux droits étaient gagnés ; les classes laborieuses obtenaient des améliorations dans leur vie et au travail, même si c’était inégal.
Au Québec, cela prend une allure particulière. Ici, les capitaux sont détenus par la bourgeoisie d’origine anglaise et pour une bonne partie, américaine ; ensemble ils font la loi. Les gouvernements successifs, jusqu’à celui de Duplessis, leur ont laissé les coudées franches. L’Église catholique participe à cette politique qui lui permet de tenir en laisse la population majoritaire, mais ce modèle de développement basé sur l’extraction proprement dite montre ses limites. Il faut surmonter le « retard économique » du Québec, moderniser la province. Une mise à jour s’impose. Le capitalisme a besoin des conditions optimales pour son accumulation. Ce sera la fameuse « révolution tranquille ».
Et ce ne sont pas les « bébés boomers » qui l’ont faite. En 1960, toutes ces personnes n’avaient qu’environ 15 ans. Les G.É. Lapalme, J. Lesage et R. Lévesque ne sont pas de cette génération, ils sont de la précédente. Mais le vent de changement qui grondait a atteint les jeunes de cette époque. Et selon leur place dans la société, ils et elles ont pris le train en marche et, plus tard, l’ont fait avancer économiquement et socialement. Certains.es se sont retrouvés.es dans des postes de pouvoir, comme c’était le cas antérieurement, car les fondements de classes n’ont pas disparu dans la période où « les bébés boomers » sont entrés.es dans les rouages sociaux ; ni 1968 ni la lutte nationale n’ont éliminé cette réalité. L‘allure a changé tout simplement. Une partie de ceux et celles de cette génération qui ont atteint les postes de pouvoir y sont encore aujourd’hui, bien sûr. Leur âge est maintenant celui de la retraite et, comme en général, ils n’ont pas fait beaucoup d’enfants, c’est aussi celui de la pénurie de main d’œuvre.
Donc, méfions-nous des généralisations et ne fuyons pas des cadres d’analyse efficaces, sous prétexte qu’ils sont « vieux ».
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